Histoire | Seine-Saint-Denis | 29/08/2022
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Le Canal de l’Ourcq, 200 ans d’histoire #2 : de l’industrialisation à la gentrification

Le Canal de l’Ourcq, 200 ans d’histoire #2 : de l’industrialisation à la gentrification

Inauguré en 1822, le canal de l’Ourcq a porté l’industrialisation de la future Seine-Saint-Denis durant plus d’un siècle avant des fermetures d’usines en série. Après une période de friche, ses berges ont entamé leur mue, valorisant ce paysage et participant de la gentrification de l’est parisien.

C’est en 1822, un an après la mort de Napoléon, que les premiers bateaux circulent sur le canal de l’Ourcq. Dans un premier temps, le canal occupe une fonction de transport de marchandises. Avec les canaux Saint-Denis et Saint-Martin, achevés respectivement en 1821 et 1825, il représente les deux tiers du trafic fluvial parisien en 1872. Les voies d’eau permettent d’acheminer d’importantes quantités de charbon, bois, matériaux de construction et autres matières premières jusqu’à La Villette qui est en 1882 le quatrième plus grand port de France. 

Inauguré en 1822, le canal de l’Ourcq fête cette année ses 200 ans. Citoyens.com revient en trois volets sur l’histoire du plus long des cours d’eau franciliens (108 km), témoin et symbole des grandes dynamiques de la région parisienne et de la Seine-Saint-Denis.
#1 : des radeaux aux péniches
#2 : de l’industrialisation à la gentrification
#3 : nouveaux arbitrages entre logements, bureaux, nature

À partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, le canal contribue fortement au développement industriel de l’Est parisien, et de ce qui s’appellera plus tard la Seine-Saint-Denis. Les usines parisiennes peuvent ainsi acheminer leurs matières premières. “Les voies d’eau étaient ce qu’il y avait de plus moderne pour acheminer des matériaux lourds à l’époque. C’est le canal qui a permis le développement industriel de la Seine-Saint-Denis et pas l’inverse”, affirme Patrick Bezzolato, auteur et responsable du Conservatoire Historique d’Études et de Recherches du XIXe arrondissement.   

De nombreuses usines vont ainsi s’implanter sur les berges, notamment à Pantin, épicentre du passé industriel du département avec Saint-Denis et Aubervilliers. On peut par exemple citer la distillerie Delizy-Doistau de Pantin, qui s’installe à proximité du canal dès 1851. En 1863, c’est le fabricant de parfums et savons Wertheimer qui s’installe le long du cours d’eau. L’entreprise est rachetée et agrandie en 1891 par le groupe Bourjois, encore présent dans la ville, qui profitera des graisses et des suifs rejetés par les abattoirs de La Villette, construits en 1867, pour la fabrication de ses produits de beauté. En 1881, ce sont les blanchisseries Leduc, désormais connues sous le nom d’Elis, qui s’installent sur les rives. Et un an plus tard, ce sont les fameux Grands Moulins de Pantin qui sortent de terre.

© Bernard Gendre - Au Fil de l'Ourcq
Les Moulins de Pantin, vers 1935 – Collection BerGus

Cette industrialisation, qui se poursuit au XXe siècle, s’étend aux communes plus lointaines de Paris, comme Bobigny, qui accueille les fabriques d’appareillages électriques Grivolas et Philips à partir des années 1910, ou encore Sevran où s’installent les usines Kodak en 1925. À Pantin, l’industrialisation continue avec l’arrivée emblématique de Motobécane en 1926, qui s’étendra ensuite à Bobigny dans les années 1940. “Boboche” attire ensuite des activités de métallurgie à partir des années 1930, comme Le Bronze Industriel, arrivé en 1934. Ce fort mouvement industriel se poursuit jusque dans les Trente Glorieuses : les usines Pouchard, spécialisées dans l’étirage de tubes acier, construisent de nouveaux ateliers qui ouvrent en 1954.

© Département de la Seine-Saint-Denis
L’usine Motobécane de Pantin

Déshérence et renaissance

Viennent ensuite les chocs pétroliers des années 1970 et la désindustrialisation. Celle-ci se manifeste rapidement autour du Canal de l’Ourcq, qui connaît son premier coup dur dès 1974 avec la fermeture des abattoirs de La Villette. De 1973 à 1983, le trafic annuel sur l’ensemble des canaux est divisé par 3, passant de 4,5 millions de tonnes par an à moins d’1,5. Rapidement, les pouvoirs publics réagissent en entamant la transformation du canal de l’Ourcq en un espace dédié aux loisirs. “C’est à ce moment-là que l’on s’est rendu compte qu’un plan d’eau pouvait représenter un atout sur le plan urbain”, raconte Patrick Bezzolato. Première étape : la signature en 1976 d’une convention entre la Ville de Paris, propriétaire du canal et des rives, et le département de la Seine-Saint-Denis, pour la création d’une piste cyclable le long des berges. Prolongée depuis jusqu’en Seine-et-Marne, entre 800 et 1000 cyclistes l’utilisent tous les jours. 

Progressivement, de nombreux espaces industriels sont reconvertis en parcs. Deux ans après la fermeture des abattoirs, l’Atelier Parisien d’Urbanisme (APUR) lance ainsi un concours pour la créations d’espace verts pour remplacer les anciennes Halles. C’est l’idée d’un parc dédié aux sciences et à la culture qui l’emporte, et en 1987, le parc de La Villette, hôte de la philharmonie de Paris, le Zénith, la Géode et la Cité des Sciences et de l’Industrie, sort de terre. En 1980, c’est le parc de la Poudrerie, situé sur les vestiges de l’ancienne poudrerie nationale, qui ouvre ses portes, à cheval sur les communes de Vaujours, Livry-Gargan et Sevran. Et à Bobigny, c’est le parc de la bergère qui s’installe sur d’anciennes terres maraîchères en 1988.

© Francisco Gonzalez
Le Parc de la Poudrerie à Sevran

Cette dynamique de reconversion des friches en espaces verts est aujourd’hui encore en cours. En témoigne l’ouverture au public des sites des anciennes usines Kodak de Sevran en 2013, ou encore l’installation de “La prairie du canal”, une ferme éphémère présente sur l’ancien site de l’usine MBK de Bobigny depuis 2017. 

Quant aux ex-usines plus proches de la capitale, celles-ci sont souvent réinvesties par de grands groupes, qui en font des bureaux, à l’instar des Grands Moulins et des Magasins Généraux de Pantin. Les premiers, qui cessent définitivement leur activité en 2004, sont investis par la banque BNP Paribas cinq ans plus tard. Les seconds ferment en 2001. Laissés à l’abandon, ils constituent un haut lieu du graff parisien tout au long des années 2000 avant d’être réhabilités et investis par BETC, grand groupe de communication, et le Dock B, lieu culturel branché, en 2016. Aujourd’hui, la mue se poursuit. D’ici 2023, le port de Pantin devrait accueillir ses premiers bateaux de plaisance.

© Jeanne Manjoulet
Les Magasins Généraux de Pantin en 2013
© Jeanne Manjoulet
Les Magasins Généraux de Pantin en 2016

Entre péniches-concerts, cafés branchés et nouvelles résidences modernes, le changement de population est déjà largement palpable sur les berges de Pantin. Avec un prix du mètre carré avoisinant les 7000€, la ville est d’ores et déjà sur le podium des immobiliers les plus chers de la Seine-Saint-Denis. Et sans surprise, ce sont les habitations situées en bordure du canal qui tirent les prix vers le haut. À terme, cette dynamique devrait se propager aux restes des communes du canal : en plus de la Zone d’Aménagement Concerté (ZAC) du port à Pantin, 4 autres ZAC ont été lancées à Bobigny, Noisy-le-Sec, Romainville et Bondy. Déjà bien entamés, les travaux devraient voir sortir de terre 6600 logements, 72 000m2 de commerces, et 470 000m2 de bureaux, d’ici 2030. Après deux siècles d’industrialisation, de déshérence et de renaissance, le troisième siècle du canal pourrait bien être celui de la gentrification. 

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