Sur les 15 lits de réanimation médicale du service de médecine intensive de l’hôpital Bicêtre, l’un des 2 centres hospitalo-universitaires de l’AP-HP dans le Val-de-Marne, 8 ont fermé progressivement depuis l’été 2021, faute de personnel paramédical. Comment en est-on arrivé là ? Quelles conséquences ? Le chef de service, Jean-Louis Teboul, qui vient de cosigner une lettre ouverte du collectif Santé en danger à l’attention du président de la République, alerte et explique.
“Avant, quand je disais à une patiente “je reviens”, je revenais vraiment. Avant, je pouvais les regarder droit dans les yeux en leur assurant que le meilleur serait fait. Avant, je partais bosser avec tellement de plaisir. Avant, je me souvenais de chaque nom de chaque patiente. Aujourd’hui, en plus de me sentir complice d’un système de santé qui meurt, je suis épuisée et je m’évertue à éviter le pire à défaut de pouvoir faire le mieux. Aujourd’hui, je passe mon temps à m’excuser de ne jamais avoir pu revenir. Aujourd’hui, j’ai appris à prier très fort pour qu’on ne me pense pas maltraitante, simplement parce que je n’ai plus le temps. Aujourd’hui, je refuse de devenir une soignante qu’on m’impose d’être faute de moyens. Aujourd’hui, je n’y crois plus, tout simplement”, c’est par ce témoignage d’une soignante que le collectif Santé en danger, association lancée à l’été 2020 par le médecin anesthésiste Arnaud Chiche dans le sillon du Ségur de la Santé, et qui compte aujourd’hui près de 6 000 adhérents, commence sa lettre ouverte au président de la République publiée ce lundi 14 novembre.
Un “système de santé qui s’effondre” avec “10 millions de concitoyens qui peinent à trouver un médecin de famille”, des “nourrissons transférés à des centaines de kilomètres de leur famille”, des personnes invalides qui ne trouvent pas d’aide à domicile… Le constat du collectif est sévère.
“Les soignants de ce pays sont déçus et découragés de ne pas se sentir entendus par leurs tutelles, souffrent de ne pouvoir offrir les meilleurs soins aux patients et sont las de devoir se battre à chaque niveau des prises en charge qui leur incombent. Les médecins parlent de déplaquer ou de se déconventionner. Les internes sont en grève et désespérés, les étudiants abandonnent en cours de formation. Les paramédicaux fuient les établissements de santé, se reconvertissent ou s’expatrient. La souffrance au travail, pour ceux qui restent, est à son paroxysme”, poursuit la lettre ouverte, qui invite l’exécutif à ouvrir en grand et d’urgence le chantier de la santé pour “simplifier”, “apaiser”.
De 15 à 7 lits de réanimation en 18 mois
Parmi les cosignataires de cette lettre ouverte, le professeur Jean-Louis Teboul témoigne de la situation dans son établissement, l’hôpital Bicêtre, où il est chef de l’un des services de réanimation, celui de la réanimation médicale (il y a aussi des services de réanimation chirurgicale et pédiatrique). Ce service de médecine intensive – réanimation comprend en principe 25 lits dont 10 lits de surveillance continue et 15 lits de réanimation proprement dite. Pour accueillir des patients dans ces 15 lits, la loi impose la présence de 2 infirmiers pour 5 patients. Mais aujourd’hui, le compte n’y est pas. Faute de personnel paramédical, le nombre de lits de réanimation est ainsi passé de 15 à 7 en l’espace de 18 mois.
“Nous avons commencé à fermer des lits en juillet 2021, après la troisième vague de Covid. Au départ, il s’agissait d’une mesure estivale classique. Nous fermons toujours 5 lits pendant environ 6 semaines l’été. Mais cette fois, nous n’avons pas pu les rouvrir en raison de départs non remplacés. Depuis, nous avons dû encore fermer trois lits supplémentaires en 2022 car nous n’arrivons pas à recruter de nouveaux infirmiers ou infirmières. Au contraire, nous voyons se profiler d’autres départs”, témoigne le professeur auprès de 94 Citoyens.
Les motifs de ces départs ? Des “burnouts, changements de profession, déménagement en dehors de la région parisienne, passage dans le privé”, énumère le médecin. Des raisons qui reflètent l’immense lassitude ressentie après la traversée de la crise sanitaire. Une période de pression intense durant laquelle société et politiques ont semblé prendre conscience du rôle crucial des soignants avant de passer à autre chose, après un Ségur de la santé qui n’a pas permis de remotiver les troupes ni de sortir de la crise sanitaire par le haut.
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“Il y a toujours un turnover important dans la réanimation car c’est très formateur mais aussi pénible. Les personnels restent en général 2 ou 3 ans, note Jean-Louis Teboul. Le problème est que cela s’accélère et que nous ne trouvons plus de remplaçants car ce n’est pas assez attractif. Nous n’avons presque plus de demandes pour rejoindre le service.” Des journées de service de 12 heures avec un salaire qui ne permet même pas de se loger à proximité en raison des coûts du foncier dans l’agglomération parisienne, cela ne passe plus.
“Pendant des années, l’hôpital a subi des diminutions structurelles du nombre de lits pour réduire les coûts. Aujourd’hui, nous supprimons les lits faute de personnel”, alerte le médecin.
Garder les patients moins longtemps pour faire face
Les conséquences pour le service sont déjà concrètes, alors que celui-ci tournait déjà à plein régime l’hiver avant même la crise du coronavirus. Pneumonie, insuffisance respiratoire, insuffisance rénale, problèmes cardiovasculaires aigus, AVC, comas non traumatiques… les situations médicales qui impliquent un passage en réanimation sont nombreuses et plutôt en croissance au regard du vieillissement de la population.
“Nous essayons de transférer les malades dès qu’ils vont un peu mieux dans des services intermédiaires, pour faire de la place. On fait de la débrouille mais cela épuise les équipes. Nous ne pouvons plus non plus admettre des patients que des collègues souhaitaient nous envoyer parce que nous sommes un service de pointe, reconnu”, regrette le chef de service.
“Il est urgent de rendre attractifs les métiers paramédicaux”, presse le médecin, rappelant que la France “n’est déjà pas très bien placée en nombre de lits de réanimation par rapport à d’autres pays d’Europe.”
C’est dans ce contexte que s’inscrit, pour ce soignant comme pour les autres membres du collectif Santé en danger, la lettre ouverte au président Emmanuel Macron et au gouvernement.
Arrêter de diviser, libérer du temps médical, former des soignants
“Soyez assuré que, si vous ouvrez réellement ce grand chantier, si vous décidez de tout simplifier, si vous apaisez… Les soignants vous suivront, et nous continuons à croire que la population aussi. Quel bien est plus précieux que la Santé ? L’attractivité passera sans conteste par une revalorisation de toutes les professions du soin à hauteur de leurs compétences. Pour garder et fidéliser ceux qui restent, faire revenir ceux qui sont partis et trouver de nouveaux soignants”, invite la missive du collectif qui fait plusieurs propositions pour les établissements de santé et la médecine de ville. Dans les premiers, le collectif propose notamment de “supprimer les primes diverses et variées qui augmentent les divisions et les intégrer dans le salaire de base”, grâce à “des grilles salariales claires, justes et équitables”. Il invite aussi à “supprimer les charges administratives, qui pèsent tant sur nos soignants. Développer des outils numériques plus performants. Mettre en place des nouveaux métiers : logisticiens, méthodologistes et responsables santé environnementale.”
Concernant la formation des soignants, le collectif appelle à “laisser nos jeunes faire les études qu’ils souhaitent et leur en faciliter l’accès.”
Voir toutes les propositions dans la lettre ouverte
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Comment ne pas ressentir une honte quand on voit ce que devient notre pays, qui longtemps fut plutôt un modèle sur bien des points ?
“système de santé qui s’effondre”, éducation nationale à la dérive, désindustrialisation massive, justice qui s’effondre et classe ‘sans suite’ des milliers de plaintes pour alléger la charge, immigration hors de contrôle, disparition des services publics surtout en province, transports en grandes difficultés, prix des logements (en achat ou en location) qui les rendent inaccessibles, soumission à la finance internationale, etc …
Quelle honte, quelle classe politique incapable …
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