Grand Paris Express | | 30/03/2022
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Ligne 15 Est du Grand Paris Express: les expropriés de Bondy désespèrent

Ligne 15 Est du Grand Paris Express: les expropriés de Bondy désespèrent © CH

Menacée d’expropriation, Denise Kasparian, 83 ans, reste déterminée et refuse de céder son pavillon. Comme celui de ses deux voisins, il est situé sur un terrain que la Société du Grand Paris (SGP), maître d’ouvrage du métro périphérique Grand Paris Express, a requis pour le chantier de la future gare de Bondy sur la ligne 15 Est. Sa fille a lancé un collectif pour protester contre le tracé du métro.

Trente ans d’économie pour en arriver là!“, tonne Denise Kasparian devant sa maison, un petit pavillon situé rue Etienne Dolet face à la crèche départementale Janusz Korczak. Comme elle, ces deux voisins font l’objet d’une procédure d’expropriation. Sa fille, Lydia Kasparian, s’est engagée depuis plus d’un an au sein du collectif “anti-nuisances” de Bondy pour que cette portion du projet de ligne 15 Est soit modifiée.

On a reçu le 8 février une lettre recommandée de l’avocat de la Société du grand Paris (SGP) avec copie au juge des expropriations“, indique-t-elle. Depuis, elles attendent qu’un rendez-vous soit fixé pour la visite des lieux. “On vit avec une épée de Damoclès.

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La crèche départementale Janusz Korczak.

Le chantier de la future gare se trouve de l’autre côté des voies du RER, à côté de l’actuelle gare de Bondy. 120 000 tonnes de terres doivent être extraites pour sa réalisation. Or, selon la SGP, l’emprise de 8 000 mètres carrés où se dérouleront ces travaux “est trop étroite et nécessite le besoin d’une emprise, au plus proche du chantier, correspondant à l’emprise déportée en cours d’acquisition située entre la rue Etienne Dolet, et la rue de la Rampe du Pont et sur laquelle de premières démolitions ont déjà eu lieu.”

Pour Lydia Kasparian “la ligne 15 sera bénéfique pour tous les Bondynois.” “Mais, poursuit-elle, les choix de la SGP pour réaliser ce projet soulèvent beaucoup problèmes. Notre engagement dépasse largement nos motifs personnels.”

Elle montre la crèche départementale située juste devant le pavillon de sa mère. “ Vous imaginez le bruit et poussière que vont générer les aller-retours des 70 camions qu’ils prévoient de faire circuler chaque jour“, se projette-t-elle, avant de se diriger vers la passerelle qui traverse la ligne de chemin de fer. Dotée d’un ascenseur, c’est le seul accès aménagé pour les personnes à mobilité réduite (PMR) permettant de relier le sud de Bondy au centre-ville. Tel que le chantier est envisagé, elle doit être condamnée pour y installer une bande transporteuse reliant les deux emprises. Ce qui obligera les personnes en fauteuil roulant à traverser par le pont Jules Ferry, regrette l’habitante.

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La passerelle PMR au-dessus du RER E.

Les habitants aimeraient des solutions alternatives

Cet ouvrage date de 1914. Il est vétuste. Il est même dangereux“, observe Philippe Fauvel, un Bondynois qui s’est également saisi de l’affaire. Situé sur une friche de la SNCF, le pont est étroit: deux bus ne peuvent pas se croiser; et le trottoir que peuvent emprunter les fauteuils roulants est tout juste assez large. “Si le pont était aux normes et suffisamment large, il n’y aurait aucun problème“, analyse cet ancien cadre de la SNCF. La principale contrainte du projet de la gare de Bondy découlerait de la nécessité de ne pas évacuer les déblais par le centre-ville. L’étroitesse du pont qui réduit la circulation, serait donc la principale justification à la création d’un tapis roulant et d’une emprise complémentaire.

Rédigeant sa propre étude, Philippe Fauvel remet en question toutes les options privilégiées par la SGP et propose des solutions alternatives comme l’évacuation des déblais par train, l’installation de la bande transporteuse le long des voies du tramway jusqu’à une friche sous la route de Rosny, ou encore le doublement du pont Jules Ferry.

Sollicité par le sénateur Gilbert Roger qui réclame la participation de la SNCF aux discussions, Jean-François Monteils, président du directoire de la SGP, a pour sa part expliqué pourquoi ces propositions n’étaient pas envisageables. Lors d’une réunion le 11 octobre avec le collectif “anti-nuisances” de Bondy, tenue en présence de la SNCF, “nous avons pu expliquer que la faisabilité technique de ces solutions n’était pas avérée“, écrit-il, “et surtout qu’elle ne répondait pas au besoin initial d’une emprise complémentaire à proximité de la gare, absolument nécessaire pour la conduite du chantier.” La SGP s’est par ailleurs engagée “à ce qu’aucun camion ne circule dans la rue Etienne Dolet et ne passe donc devant la crèche.”

Dans sa réponse, Jean-François Monteils ajoute: “j’ai néanmoins demandé à ce que la possibilité d’utiliser une troisième emprise (site actuellement utilisé par les services techniques de la ville de Bondy) soit soumise aux candidats dans le cadre de leurs offre.

Marché en conception-réalisation

Pour autant, la SGP prévient que cette troisième emprise située à proximité de l’autoroute A3 est “éloignée de l’emprise principale de plus de 500 mètres et ne répond pas au besoin premier d’espace. Cette emprise pourrait permettre de limiter l’activité et les nuisances sur la seconde emprise.”

Pour les habitants, le sentiment d’incompréhension à l’égard du projet reste néanmoins accentué par le fait que la décision du schéma définitif d’organisation du chantier ne sera pas du ressort de la SGP mais des entreprises qui remporteront le marché.

Dans un courrier adressé à Jean-François Monteils en date du 28 janvier, le collectif “anti-nuisances de Bondy” remarque ainsi: “les travaux du métro à Bondy étant organisés en conception- réalisation, nous ne comprenons pas l’acharnement de la SGP à vouloir acquérir puis démolir les pavillons de la rue Etienne Dolet TANT QUE la SGP n’a pas la réponse des entreprises (…).”

Même si la SGP a établi un cahier des charges, indique, quant à lui, Stephen Hervé, le maire de Bondy, ça ne veut pas dire que ces préconisations seront reprises par les entreprises qui remporteront le marché.” Il concède néanmoins que le projet ne se fera pas sans incidences. “Notre rôle est de les limiter et de maintenir le dialogue avec la SGP. Si l’emprise devait s’étendre au nord des voies du RER, le chantier impacterait encore plus de Bondynois“, tempère-t-il.

Comme lui, l’ancien maire (PS) de la commune Gilbert Roger, regrette les choix déjà actés et, surtout, que la SNCF n’ait pas été sollicitée auparavant. “Le problème maintenant, c’est que beaucoup de temps a été perdu“, indique Philippe Fauvel, convaincu néanmoins que les contraintes exposées par la SGP sont exagérées.

Recours en justice

Reste que, pour la famille Kasparian, le sentiment d’injustice est d’autant plus grand que “la SGP maitrise tout: le temps, l’argent, la justice. Il a fallu se battre pour être reçu.” Un constat sévère renforcé par le sentiment que le projet est conçu unilatéralement. “La première enquête publique a été lancée en 2017. Vous croyez qu’ils seraient venus nous voir directement. Nous sommes tombés des nues lorsqu’on a appris que ma mère allait être expropriée. La concertation, c’est une légende urbaine de la SGP.”

Surtout, la famille estime que le compte n’y est pas, concernant la compensation financière. “Ça représente à peine la moitié de la valeur du pavillon de ma mère et avec ça elle ne pourra jamais se reloger à Bondy“, souffle Lydia qui dirige une agence immobilière dans la commune.

Vent debout contre le chantier, le collectif “anti-nuisance” de Bondy anime la rébellion. Début décembre, plusieurs centaines de personnes ont participé à une manifestation dont de nombreux élus de tous bords politiques. Avec le député (LR) de la Seine-Saint-Denis Alain Ramadier, le sénateur Gilbert Roger et les conseillers départementaux (LR) Philippe Dallier et Oldhynn Pierre, Stephen Hervé a également co-signé une lettre début mars, interpellant Jean-François Monteils, président du directoire de la SGP. “Nous comprenons les riverains qui estiment insoutenable d’imposer un tel niveau de nuisances, et nous sommes inquiets pour les petits et les familles fréquentant la crèche.

Le collectif a également lancé deux pétitions: l’une qui a reçu plus de 3 300 signatures, et l’autre, plus récente, contre la fermeture de la passerelle.

Dernière initiative en date, l’association Environnement 93, accompagné par le Mouvement national de lutte pour l’Environnement 93, membres du collectif “anti-nuisances” de Bondy, a déposé un recours gracieux auprès du préfet de la Seine-Saint-Denis Jacques Witkowski. “On compte s’appuyer sur l’absence de mention de la crèche dans l’étude d’impact”, précise Francis Redon, président d’Environnement 93. Le recours gracieux ayant été rejeté, le collectif envisage désormais de porter l’affaire en justice.

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