Histoire | | 09/06/2022
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Limeil-Brévannes : bataille autour de la dépouille d’un héros de la Commune de Paris

Limeil-Brévannes : bataille autour de la dépouille d’un héros de la Commune de Paris © FB

Qui gît sous la tombe de Rose Caubet, “la seconde Louise Michel”, enterrée en 1923 dans le cimetière communal de Limeil-Brévannes ? Un historien spécialisé dans le sauvetage de sépulture et une conseillère municipale d’opposition passionnée sont persuadés que son époux, Fortuné Henry, héros de la Commune de Paris, est enterré avec elle. La municipalité n’est pas de cet avis et ne souhaite pas que le site devienne un lieu de commémoration. Le bras de fer mémoriel bat son plein

Si quelques ouvrages de référence en histoire sociale signalent la présence de Fortuné Henry à Limeil-Brévannes, sa trace s’est perdue au fil du temps. Mais Guy Decoulonvillers, un historien spécialisé dans la quête de personnalités défuntes oubliées, s’est penché sur ce cas début 2020. Et en lisant l’inscription sur la pierre tombale, il a fait le rapprochement. “C’est comme des hiéroglyphes. Le nom de Rose Caubet (1842-1923) est gravé, mais elle a aussi fait écrire Veuve Henry. Ce n’est pas anodin, elle a voulu signaler que son mari se trouvait ici”, affirme la conseillère d’opposition Delphine Borgna. Son fils également, Emile Henry (1872-1894), anarchiste, guillotiné après un procès pour des attentats à la bombe, doit reposer ici également. Mais les condamnés à mort n’ont pas droit à voir leur nom inscrit. J’ai découvert plus tard un échange de courrier entre le maire de Brévannes et le sous-préfet. Elle souhaitait faire poser une plaque sur la tombe avec ce message : Victime de la société, mais on le lui en a défendu”.

Surtout, Delphine Borgna indique qu’il a été retrouvé dans les registres des cimetières parisiens la preuve du transfert de la dépouille de Fortuné Henry, enterré en 1882 dans le cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine, à celui de Brévannes. “La sépulture de Fortuné Henry à Ivry était devenue un lieu de réunion pour les anarchistes. La mairie s’était plainte de troubles à l’ordre public et a ordonné qu’on aille l’enterrer autre part, discrètement. A ce moment là, Rose Caubet était cafetière à Limeil-Brévannes face à l’hospice qui deviendra plus tard l’hôpital Emile Roux. Elle l’a donc fait transporter ici”, explique l’élue.

Samedi 28 mai, une vingtaine de personnes se sont donc réunies au cimetière de Limeil-Brévannes, devant la tombe présumée de Fortuné Henry (1821-1882) pour commémorer les 140 ans de la disparition de cette figure du socialisme, de l’anarchisme et de la Commune de Paris. “Initialement, nous devions avoir un maître de cérémonie, Michel Mougnot, une personnalité de la ville qui a écrit trois livres sur Limeil. Quatre discours devaient être prononcés et une chorale montée pour l’occasion devait chanter La semaine sanglante et Le temps des cerises. Comme cela nous a été interdit, nous nous sommes contentés d’un moment de recueillement“, regrette Delphine Borgna. “Faute d’autorisation d’un propriétaire ayant-droit, nous ne pouvions pas donner notre accord”, motive-t-on au cabinet de la maire.

La Commune de Paris en bref
Suite à la défaite militaire de la France en mars 1871, la Prusse attend la reddition de Paris assiégée depuis l’automne précédent. La nouvelle République, présidée par Adolphe Thiers, conservateur, ordonne le désarmement de la capitale où une insurrection éclate. La Commune, un régime socialiste (séparation de l’église et de l’Etat, école gratuite, gestion des affaires publiques par des comités de vigilance) est instaurée. Au terme de deux mois d’expérience, le gouvernement, basé à Versailles, met fin à la révolte. Le bilan est de 25 000 morts.

Quelques jours plus tard, quelques bouquets de fleur, des pots et une lettre laissés sur la pierre tombale vieillie témoignent de cette réunion. “Tu as donné ta vie pour la Justice et ton combat restera toujours dans notre cœur et dans notre âme. Tu croyais en l’espérance, tu croyais en l’homme et au peuple et en voyant ce peuple s’acharner à survivre pour que des très riches puissent toujours s’enrichir encore plus, tu as dit : Non, maintenant, Place au peuple, place à la commune ! Ton combat est toujours notre combat. Madame Lecoufle, maire de Limeil-Brévannes et Versaillaise dans son cœur veut nous arracher de cet espoir de vivre mieux de Justice et d’égalité en refusant de célébrer l’homme et le combat que tu as incarné”, peut-on lire sur la missive manuscrite.

Et pourquoi pas le général de Gaulle ?

En mairie, on se désole de la tournure de ce dossier.Mme Lecoufle n’est pas Versaillaise. Il n’y a pas d’idéologie. Nous n’avons aucun soucis avec l’épisode de la Commune de Paris. Simplement, la concession s’arrête, les tombes sont renouvelées. Il est étonnant que ces gens se manifestent maintenant en 2022, alors que les 150 ans de la Commune ont été célébrés l’année dernière”, réagit-on au cabinet de la maire. “Nous sommes évidemment allés chercher dans les archives de la communes. Il aurait été transféré du cimetière d’Ivry-sur-Seine mais nous ne le voyons pas apparaître dans nos registres d’entrée. Il n’est donc pas dans notre cimetière. A ce compte là, pour nous faire plaisir, nous pourrions prétendre que le général de Gaulle est enterré ici!”

Un vote du conseil municipal mi-2023

Contre la clôture rouillée qui encercle la tombe de Rose Caubet, la mairie a fait clouter sur un pieux un avis d’information aux descendants. Ce document daté du 17 août 2020 et signé par le maire-adjoint Daniel Gasnier, en charge notamment du cimetière, indique qu’une constatation d’état d’abandon a été réalisée le 30 septembre 2020. La municipalité doit maintenant attendre l’expération d’une période de trois ans après l’affichage pour faire voter à son conseil la reprise de la concession funéraire. “Nous allons continuer à nous battre“, prévient Delphine Borgna, qui compte sur le soutien des associations de la Libre Pensée du Val-de-Marne et des Amis de la Commune 1871.

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