Pendant une semaine, ces adolescents ukrainiens prennent un peu de recul par rapport à la guerre, dans un centre PEP (Pupilles de l’enseignement public) de Mandres-Les-Roses. Une parenthèse d’insouciance avant de repartir dans leur pays retrouver leur famille. Reportage.
Après deux journées intenses à visiter le Louvre et le château de Versailles, c’est jour de détente ce jeudi au centre Paris-Mandres. Une quarantaine d’adolescents ukrainiens et leur quatre accompagnatrices sont accueillis depuis une semaine dans ce complexe bordé d’espaces verts qui héberge habituellement des colonies de vacances, des classes découverte et des centres de loisirs. Six animateurs ont été recrutés pour encadrer le séjour qui se poursuit ensuite en Normandie la semaine prochaine.
Ce mardi après-midi, c’était concours de danse, après répétition au rythme de vidéos TikTok. “Les journées sont bien remplies, nous chantons, nous jouons, nous dansons. Tout se passe bien avec les autres jeunes. Pourtant, au départ, ce n’était pas évident parce que nous ne nous connaissions pas“, explique Diana, 17 ans. Le groupe est composé de jeunes de 11 à 17 ans qui vivent dans la région de Khmelnystskyï, au centre de l’Ukraine, entre la capitale Kyiv et la grande métropole de l’ouest, Lviv. “Je connaissais Paris des films et des dessins animés mais le voir de mes yeux, c’est impressionnant. La tour Eiffel éclairée la nuit, le luxe du château de Versailles, la Joconde au Louvre. C’était très cool. Nous découvrons aussi une culture différente comme les repas. Habituellement, nous mangeons très vite, là, nous passons beaucoup de temps table. J’ai découvert la flammekueche. C’est très bon“, raconte Anna, 14 ans.
En journée, les adolescents sont autorisés à garder avec eux leur téléphone portable. Il constitue leur lien avec les familles et les amis restés au pays. C’est aussi un outil fiable pour traduire et communiquer avec les animateurs français. “Le soir, nous gardons les appareils. Sinon, ils resteraient avec toute la nuit à jouer à des jeux vidéos. Et puis, les téléphones sont programmés pour recevoir des alertes en cas de bombardement. Il nous est arrivé un soir qu’une alarme se déclenche. C’est un peu anxiogène. Ils ne peuvent pas complètement couper le lien avec le pays”, explique Kévin Fouert, le responsable du séjour. Pour assurer un lien entre l’équipe d’animation et les enfants, quatre accompagnatrices ukrainiennes sélectionnées parmi des institutrices et des infirmières participent. Elles assurent le soutien émotionnel des adolescents. “Nous les avons recontrés la première fois quand nous nous sommes retrouvés au bus avec des mamans qui expliquaient les problèmes de leurs enfants. Beaucoup ont perdu un papa à la guerre. Nous vivons loin du front mais sommes régulièrement touchés par des bombardements. Les réseaux d’électricité, de chauffage, les télécommunications sont très affectés. J’ai été touché de recevoir des témoignages de parents qui me disaient que leurs enfants paraissaient moins déprimés, plus détendus”, relate Uliana, enseignante d’anglais.
Une bouffée d’oxygène pour une jeunesse sacrifiée
Benjamin Abtan est à l’origine de cette initiative. Enseignant à Science-Po Paris passé par les cabinets ministériels de Bernard Kouchner et Christiane Taubira ainsi que l’organisation philanthropique de Georges Soros, Open Society Fondation, il a lancé le projet Europe Prykhystok (refuge en ukrainien) au printemps dernier. “Je me suis rendu sur place et j’ai constaté que deux mois après le conflit, l’attention baissait alors que les besoins des populations locales s’accroissaient. En parallèle, il y avait tout un tas d’acteurs humanitaires sur place qui ne savaient pas comment travailler efficacement. Ils ont pour habitude d’agir dans des zones où il n’y a plus d’Etat. Or, en Ukraine, les institutions, les collectivités ont tenu“.
La coopération décentralisée (les projets de partenariat entre des collectivités territoriales, des associations étrangères) existe pour les temps de paix mais est peu développé pour les périodes de conflit. Benjamin Abtan a donc tenté de mettre le l’huile dans les rouages. “Nous avons pris contact avec les autorités régionales de Lviv, Tcherkassy et Khmelnytskyi. L’objectif était de partir de leurs besoins pour proposer des actions. Les personnalités politiques locales et la société civile nous ont demandé d’accompagner les enfants, traumatisés par la guerre. C’est ce qui nous a conduit à lancer un appel en France pour organiser des séjours de vacances dès cet été“, poursuit-il.
La fédération générale des PEP, une structure créé en 1915 pour venir en aide aux orphelins de guerre, s’est portée candidate. “Nous avons accueilli 170 adolescents en mobilisant nos ressources internes, une dizaine de centres appartenant à nos associations départementales dont Mandres-Paris. Il a fallu gagner la confiance des autorités locales et des familles. Les services de l’Etat nous ont aidé à boucler le projet financièrement pour que ça ne coûte rien aux familles. Les autorités ukrainiennes ont mobilisé leurs administrations pour faciliter le transfert des enfants. Tout s’est organisé plutôt rapidement, nous avons recruté des professionnels de l’animation pour encadrer les séjours. C’était souvent le premier voyage à l’étranger pour ces adolescents. C’était quelque chose de très fort humainement à vivre”, se souvient Jean-Christophe Paris, chargé de mission Europe et international à la fédération générale des PEP.
Besoin de financements
Cet hiver, à l’approche des vacances de fin d’année, un nouveau groupe sera accueilli en France. Mais cette fois, les PEP devront trouver d’autres moyens de financer ces séjours estimés à 650 euros par enfant. “Localement, les autorités nous demandent également de développer des séjours axés sur les programmes scolaires. Il faut imaginer que la situation vécue par les écoliers français pendant les confinements scolaires, les jeunes Ukrainiens continuent de la vivre. Il y a un retard important à rattraper”, souligne Benjamin Abtan. Uliana, témoigne des difficultés d’enseigner. “Quand une école n’offre pas d’abri, les élèves ne sont pas obligés de venir en cours. Nous avons des endroits où nous protéger en cas d’alerte. Impossible de faire cours quand nous sommes repliés dans les salles sécurisées. Il y a trop de bruit. Nous avons aussi le problème des coupures de courant intermittentes ainsi que de l’instabilité du réseau internet. Les élèves qui suivent la classe à distance ne peuvent pas toujours se connecter”.
Pour pérenniser l’opération et développer le partenariat, la fédération générale des PEP et EuropePrykhystok lancent une campagne de financement de solidarité. Ils proposent aux particuliers, aux collectivités, aux sociétés de faire des dons en faveur de ce programme. “Quelques semaines loin du conflit avec des temps de vacances ou de scolarité représententun enjeu éducatif d’avenir pour cette jeunesse ukrainienne. Cette initiative œuvre aussi à la construction de l’Europe de demain, une Europe de paix”.
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