Logements | | 25/05/2022
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Montreuil: le squat d’EIF veut se transformer en tiers-lieu culturel

Montreuil: le squat d’EIF veut se transformer en tiers-lieu culturel

Assignées devant le tribunal judiciaire de Bobigny, la vingtaine de personnes qui occupent l’ancienne usine d’EIF à Montreuil (Seine-Saint-Denis) tentaient de faire valoir leur qualité “d’habitant”. La cour d’appel de Paris a confirmé le 20 mai la décision d’expulsion. Pour rester, ils proposent un projet de tiers-lieu culturel après la dépollution.

Bienvenue à EIF!“, lance Sunni en ouvrant le portail bleu ciel du 97 rue Pierre de Montreuil qui marque l’entrée dans l’ancien site industriel EIF. 5 000 mètres carrés occupés depuis septembre 2020 par une vingtaine de personnes.

Menace d’expulsion

Cette usine est occupée parce qu’un projet immobilier avait été lancé incluant un programme de démolition pour dépolluer 15 tonnes de trichloréthylène et 10 tonnes de benzène. C’est l’un des sites les plus pollués d’Ile-de-France. On restera tant qu’il n’y aura pas programme de dépollution satisfaisant et tant qu’il n’y aura pas de solutions de relogement pour les habitants qui vivent dans la précarité“, prévient Sunni.

Mais la jeune femme, chercheuse en science politique à l’école des haute études en sciences sociales (EHESS), a conscience qu’ils peuvent être mis dehors à tout moment. La cour d’appel de Paris vient, en effet, de confirmer la décision d’expulsion sans délai prononcée par le tribunal judiciaire de Bobigny, saisi par l’Etablissement public foncier d’Ile-de-France (EPFIF) qui a racheté le site en 2013.

Ce cas reflète le problème du mal-logement, mais aussi celui de ces bâtiments dont on ne fait rien et qui restent vides. Or, tout un projet socio-culturel s’est mis en place en cointérêt avec les riverains“, estime Me Matteo Bonaglia, qui défend les occupants. Reste une dernière carte: la cour de cassation saisie en mars 2021 et qui doit rendre sa décision d’ici la fin de l’été.

© CH
L’ancienne usine d’EIF est occupée depuis septembre 2020.

Squat organisé

A l’intérieur d’EIF, les occupants ont pris possession de l’aile droite où se trouvaient d’anciens bureaux et une fabrique de scie. “C’est la partie la moins exposée à la pollution” précise Sunni.

La zone la plus dangereuse se trouve en effet dans le bâtiment situé juste en face, témoin des activités historiques de nettoyage à sec du site avec l’utilisation de benzine et de solvants chlorés. Là même où ont aussi été fabriquées des pastilles Valda jusqu’à l’installation dans les années 1970 d’EIF, une entreprise spécialisée dans la fabrication de chiffons d’essuyages.

Les locaux squattés sont organisés en espaces bien définis. “On entre par l’endroit le plus important: c’est là où on organise la récupération alimentaire“, dont une bonne partie est effectuée à Rungis avec le concours d’associations comme Les bons petits légumes. Une partie est redistribuée aux habitants du quartier. Au rez-de-chaussée, une vaste halle sert d’atelier de réparation d’accordéons et de garage à vélo, mais aussi d’atelier de peintres et de sculpteurs.

Juste au-dessus, une grande pièce à vivre ressemble à un véritable espace de co-working avec une cuisine collective, une table de réunion et des tableaux d’organisation indiquant qui fait quoi et où.

Car il y a les habitants, comme Sunni, Hélène ou Ousmane regroupés au sein du collectif Garde la Pêche Montreuil! et ceux qui vont et viennent au gré des errances et des événements artistiques. “On est le fruit d’une association entre des accidentés du travail, des migrants, des individus en rupture familiale, des victimes de violences sexuelles, des artistes plongés dans une précarité extrême par la crise du covid, des gens du voyage, des artisans sans ateliers“, décrit Sunni.

Chacun son espace: au 2ème étage s’il y a un “espace en mixité choisie“, toute une zone d’habitations est réservée aux femmes. Les autres bâtiments sont aménagés en salles de répétition, de spectacles, de concert, de projection ou de yoga, en studio de musique, cuisine collective pour les jours de festival ou les visiteurs, atelier de soudure et de métallurgie; autant de lieux au noms évocateurs comme “l’enfer“, “la cathédrale“, “l’école de l’Apocalypse“. Sur une partie de la parcelle envahie par la végétation, des membres du collectif se sont lancés dans un projet de valorisation écologique.

Garde la pêche Montreuil! a entrepris la restauration des anciens verger sur une parcelle du site EIF.

Dépollution

Pour la mairie, cette occupation n’est pas tenable. “Nous avons entendu les préoccupations des riverains concernant la dépollution du site, indique Olivier Madaule, adjoint au maire de Montreuil en charge de la santé. C’est pour cela qu’on a sollicité le Laboratoire centrale de la préfecture de police pour réaliser des mesures de la qualité de l’air qui se sont avérées rassurantes. Nous avons également privilégié une approche de la dépollution par venting, une technique de pompage sans destruction de la structure pour éviter tout déversement de polluant.”

Des garanties ont également été renouvelées concernant un contrôle régulier tout au long de l’opération de dépollution qui devrait s’avérait être longue: entre deux et trois années. Mais elles ne semblent pas encore tout à fait rassurer certains habitants. “L’occupation a eu le mérite d’empêcher la démolition du site avec les conséquences que cela aurait pu avoir et d’amener la mairie à renforcer les contrôles”, explique un riverain membre de l’association Restes ensemble créée en mai 2020 pour exiger une “dépollution maitrisée“. “Il y a quand même le précédent Wipelec à Romainville.”

Cette société de traitement chimique de métaux lourds avait cessé son activité en 2006, laissant le site pollué par des solvants chlorés, notamment par du trichloréthylène (TCE). “Ce sont les gens de l’association Romainville Sud qui ont prévenu les habitants des murs à pêche des dangers des programmes de dépollution accélérée“, rappelle Thomas (son prénom a été changé), habitant de l’EIF. “Tout ça pour lancer au plus vite un projet immobilier. C’est ce qui aurait pu se passer à Montreuil mais le projet de Bouygues a été abandonné.”

UrbanEra, filiale de Bouygues Immobilier, avait en effet été retenu en 2017 comme lauréat de la 1ère édition du concours d’urbanisme Inventons la Métropole du Grand Paris avec un projet de construction de 80 logements et d’un hôtel écologique.

© CH
La salle commune d’EIF.

Reconversion de l’usine

En attendant la réhabilitation du site, “on veut des solutions de relogement temporaire et un dialogue avec la mairie sur les propositions qu’on a faire sur la reconversion de l’usine“, exige Sunni. “Au début on était une dizaine de squatteurs avec l’association de riverains et maintenant ce sont 27 collectifs et associations qui font vivre ce lieu régulièrement en plus des habitants. On compte aussi une vingtaine de soutiens du tissu associatif montreuillois, à commencer par la fédération des murs à pêche.”

Si l’avenir du site reste à définir, Olivier Madaule estime que les occupants actuels du site ne peuvent pas imposer leur revendication au logement. “Montreuil c’est un peu le village gaulois. Mais il faut comprendre qu’on compte aussi 7 000 à 8 000 demandes de logements. Il faut aussi être juste, sans compter le besoin d’espace pour installer des services à la population“, rappelle-t-il.

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