Depuis le début du conflit, Luba, qui tient l’épicerie ukrainienne à Nogent-sur-Marne, et son mari Maryan, entrepreneur en bâtiment, organisent des collectes de dons qu’ils acheminent eux-mêmes à la frontière ukrainienne, repartant à chaque fois avec des réfugiés de la famille. Un élan de solidarité démarré spontanément au premier jour du conflit et qu’il s’agit désormais de gérer dans la durée.
Un drapeau ukrainien flotte dans la rue Paul Bert. Accroché à la devanture, il sert de point de ralliement à ceux et celles qui souhaitent faire des dons aux victimes du conflit en Ukraine. Car depuis le début de l’offensive lancée par la Russie le 24 février, Luba Kharchenko et son mari Maryan se sont donnés pour mission d’aider leurs compatriotes restés au pays.
“On était en vacances au ski lorsque l’on a appris que les Russes envahissaient l’Ukraine. On est tout de suite rentré à Nogent”, raconte Luba, dans un français teinté d’un accent de l’Est. Dès son retour, elle lance un appel aux dons sur la page Facebook de sa boutique. “On avait déjà pas mal de clients, donc je me suis dit que ça pouvait marcher.” L’intuition est bonne : le soir même du premier jour de collecte, Maryan part avec un premier camion rempli pour Przemysl, à la frontière polono-ukrainienne. Au total, c’est déjà trois allers-retours que ce chef d’entreprise du bâtiment a effectué en moins de trois semaines. Revenu dimanche soir, son prochain voyage est prévu pour mardi ou mercredi.
Il y a aussi des Russes qui donnent…
Selon Luba, les dons commencent à diminuer. Mais la mobilisation reste forte : en témoignent les sacs de courses remplis de conserves, couvertures de survie et matériel médical posés à l’entrée de sa boutique. Car l’ukrainienne peut compter sur le soutien de tout un quartier. Son appel aux dons a été largement relayé sur les réseaux sociaux ainsi que par l’association des commerçants de Nogent. À plusieurs reprises, des passants d’origine slave ou française, clients ou non, s’arrêtent pour la saluer, en accompagnant parfois leur visite d’un petit don. C’est le cas de Marques Aurelho, Nogentais depuis 42 ans. D’origine portugaise, il ne peut retenir ses larmes quand il pense aux victimes du conflit. “Vous savez, au Portugal aussi nous avons connu la misère et la guerre. Avant d’arriver en France à mes 17 ans, je marchais pieds nus, parfois je n’avais que du pain moisi à manger. Et puis il y a eu la guerre en Angola, j’ai beaucoup de copains qui y sont restés…” raconte cet ex-employé chez Franprix, venu donner quelques plats préparés.
Parmi les donateurs, Luba raconte même avoir de nombreux Russes, qui lui apportent nourriture, médicaments… et des excuses. “Certains nous disent même qu’ils nous souhaitent de gagner. Tous les dons nous touchent, mais ceux-là nous touchent plus que les autres”, confesse-t-elle.
15 à la maison
Pour Luba et Maryan, la mobilisation s’étend jusque dans leur logement nogentais. Chaque retour de la zone de conflit est l’occasion de ramener des membres de la famille ou des amis qui fuient les violences. En plus de leurs trois enfants, Les Kharchenko abritent désormais les familles de la sœur de Luba, de sa cousine et de la sœur de Maryan – toutes accompagnées de deux enfants, mais sans les papas restés au pays, au cas où ils seraient appelés à rejoindre les forces ukrainiennes. Depuis deux semaines, c’est donc 15 personnes qui se serrent dans leur petit appartement.
“Ça devient impossible à gérer”, rigole Luba nerveusement. Et le flot de réfugiés ne tarit pas : alors que , selon le ministère de l’intérieur, plus de 7700 déplacés ukrainiens sont déjà présents en France, Luba elle-même continue à accueillir certaines de ses connaissances. “J’ai une amie qui est revenue dimanche soir dans le camion de mon mari. Je lui ai dit de prendre une place dans un camping à Tournan-en-Brie [Seine-et-Marne] parce que je n’avais plus la place pour l’accueillir. Mais je dois encore l’aider pour qu’elle fasse sa demande de protection temporaire“, raconte-t-elle entre deux appels de l’amie en question, perdue dans le RER pour venir la rejoindre.
Installée à Nogent depuis 2009, la commerçante a en plus été identifiée par la mairie comme lien entre les nouveaux arrivants et les autorités. Ainsi, Véronique Dubois, la brigadière principale de la police municipale de Nogent nommée référente de l’accueil des réfugiés ukrainiens par le maire, a par exemple redirigé vers Luba une jeune ukrainienne, arrivée il y a quelques jours avec son bébé, pour qu’elle lui fournisse couches et autres produits nécessaires à l’entretien du nourrisson.
Difficultés d’approvisionnement
En plus du poids psychologique de la guerre, le conflit fait aussi peser une incertitude sur le commerce de Luba. “C’est devenu beaucoup plus compliqué pour faire venir mes produits,”, explique la quarantenaire, entourée de charcuteries, harengs séchés et cornichons malossol. “Il me reste du stock pour encore 2 à 3 semaines, et après je ne sais pas comment je vais faire.” D’autant plus que les allers-retours à répétition ont eux aussi un coût. Chaque trajet leur revient à environ 900€ – un coût qui ne risque pas de diminuer, au vu de l’évolution des prix du carburant. Trop préoccupée par la guerre, Luba avoue ne pas avoir encore pensé à une solution. “En ce moment, il y a d’autres choses à faire”, fait-elle comprendre.
Continueront-ils leur mobilisation si le conflit venait à durer ? “Je pense que si la guerre dure longtemps, ça va passer au second plan et les gens oublieront peu à peu”, explique-t-elle, pragmatique. Mais Luba promet de continuer le combat d’une manière ou d’une autre : son mari a déjà puisé dans les économies de son entreprise pour acheter plusieurs centaines de gilets pare-balles et talkies-walkies pour soldats ukrainiens.
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