Reportage | | 24/03/2022
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Noisy-le-Grand: l’accueil des réfugiés ukrainiens en plein rodage

Noisy-le-Grand: l’accueil des réfugiés ukrainiens en plein rodage © CH

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un dispositif d’accueil d’ampleur s’est mis en place pour accueillir les réfugiés fuyant la guerre. Reportage à Noisy-le-Grand où l’organisation se rode progressivement, confrontée parfois à une politique d’asile à deux vitesses.

En deux semaines, 949 réfugiés ukrainiens ont été accueillis par le groupe SOS en Ile-de-France, dont 124 au centre d’hébergement d’urgence de Noisy-le-Grand.

Parmi les 65 réfugiés actuellement hébergés à Noisy-le-Grand, il y a Tatiana et Mikael. Ils y vivent dans un petit appartement depuis le 16 mars avec leur petit-fils, Mark, âgé de 3 ans et demi.

Kitchenette, salle de bain, lits superposés, juste l’essentiel. Ils n’ont pas d’attaches en région parisienne et n’ont pas forcément envie d’y rester. Comme la très grande majorité de ces Ukrainiens que la guerre a forcé à l’exil, leur souhait est de retourner au plus vite au pays. “Ma fille de 24 ans [la mère de Mark] est restée là-bas pour aider“, lâche en pleurs Tatiana. Le couple relate le départ en catastrophe: “Il fuyait la mort parce qu’ils disent que les Russes rasaient tout sur leur passage“, explique le traducteur qui suit leur parcours.

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Mikael, Tatiana et Mark

De Kiev à Noisy-le-Grand

Anastasia, 30 ans, est quant à elle arrivée le 6 mars, un peu par hasard, avec les enfants de son mari Ahmet, Raïd, 13 ans et Basil, 11 ans. Elle a fui sa banlieue de Kiev, laissant derrière elle sa mère, ses amis et une thèse qu’elle préparait à l’université nationale de l’aviation.

Je n’aurais jamais pensé qu’on m’aurait dit un jour : ‘réveille-toi vite c’est la guerre.’ On est parti cinq jours après le début de l’invasion russe, le temps de prendre conscience de tout ce qui arrivait. On a roulé 1 000 km pendant deux jours, presque sans dormir jusqu’à Lviv, près la frontière polonaise.”

Si Ahmet a réussi à quitter le pays, “c’est par chance“, précise Anastasia, puisque le gouvernement ukrainien a interdit aux hommes de 18 à 60 ans de franchir la frontière. Puis ce fut la traversée de la Pologne. “On pensait ensuite rester en Allemagne parce que c’est un pays culturellement plus proche de l’Ukraine. Mais on a senti qu’on portait un mauvais regard sur nous, y compris de la communauté musulmane“, indique-t-elle. En revanche, l’accueil s’est révélé bienveillant en France. “Ça aide beaucoup à oublier les horreurs qu’on a vécu.

Son mari a rapidement obtenu la protection temporaire, une directive européenne mise en place pour la première fois, accélérant l’ouverture de certains droits aux réfugiés ukrainiens.

Il a aussi retrouvé un emploi de boucher — son ancien métier — à Montrouge. Ne sachant pas parler français, c’est sa connaissance de l’arabe qui lui a permis de s’intégrer rapidement.

Les centres d’hébergement : une étape transitoire avant la province

Pour cette famille recomposée, le séjour en Ile-de-France devrait se prolonger. C’est loin d’être le cas de tous les réfugiés. En deux semaines, le groupe SOS a ouvert 1 234 places sur huit sites, dont celui de Noisy-le-Grand. Mais avec seulement 500 places disponibles à ce jour sur un total de 4 600, la région Ile-de-France est saturée. “La stratégie de la préfecture et des DRIHL (Direction Régionale et Interdépartementale de l’Hébergement et du Logement) est de mettre privilégier l’hébergement des réfugiés en province, résume Louiza Dacia, directrice régionale asile et intégration du groupe SOS.

Gérer psychologiquement ce nouveau départ

Et l’organisation de cet accueil ne se fait pas sans heurts. “La semaine dernière on nous a dit : “il y a un car de 47 places qui part dans le Gard, il faut le remplir”. On n’a eu que quelques heures pour travailler avec les personnes afin d’organiser le départ. C’était un peu difficile parce qu’elles sont déracinées”, relate Hermine Matias, directrice du centre à Noisy-le-Grand. “Tout s’est fait avec l’accord des personnes”, précise Louiza Dacia pour qu’il faut prendre en compte la réalité de l’épreuve qu’elles traversent. “On est sur du psycho-traumatisme. Les mamans qu’on a eues au départ c’est : donnez-moi des médocs et je veux dormir.”

Alors que des arrivées massives sont attendues, la consigne est désormais d’expliquer aux réfugiés dès leur arrivée leur situation de transit vers des structures en province. “On apprend en marchant“, poursuit la responsable du groupe SOS. “On a l’obligation de ne pas leur mentir sur la réalité de l’hébergement et du logement en Ile-de-France. La province va leur apporter un certain apaisement parce que pas mal de collectivités ont proposé des places.

Malgré tout, le dispositif commence à se roder. “On a attendu une bonne semaine pour savoir comment allait s’appliquer la protection temporaire. C’est à partir de cette semaine qu’on a pu orienter les personnes vers la préfecture pour obtenir le récépissé.” Autre avancée récente, l’autorisation de travail va être automatiquement délivrée avec la protection temporaire. Reste à scolariser les enfants. En attendant, l’organisation de la cohabitation solidaire se met en place.

Les étudiants étrangers dans l’angle mort

Le statut des étudiants étrangers reste en revanche en suspens. D’origine algérienne, congolaise ou sri lankaise, ils sont aujourd’hui une dizaine au centre de Noisy-le-Grand. N’étant pas des ressortissants ukrainiens, ils ne peuvent pas prétendre à la protection temporaire. “Le droit d’asile ne peut pas être à double vitesse. Il faut que la même règle s’applique pour tous”, dénonce Stéphane Troussel, président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, venu visiter le centre ce jeudi

“Leur cas n’est pas du tout traité à ce jour”, souligne Louisa Dacia. “On attend les instructions.” Elle cite des exemples de beaux parcours comme celui d’Angeliqua, 24 ans, étudiante congolaise partie après le bac pour faire des études de médecine à Odessa.

Pourquoi fait-on une discrimination parce qu’on n’a pas de passeport ukrainien?”

En 5ème année, la guerre lui est tombée dessus à un an de l’obtention de son diplôme. “J’ai passé six ans de ma vie là-bas. Et je ne peux pas rentrer au pays sans avoir terminé mes études, avec seulement le baccalauréat”, explique-t-elle. “Ici c’est compliqué on nous dit: rentrez chez vous.” Une position qu’elle ne comprend pas: “On a tous fui la guerre, on est tous dans la même situation, pourquoi on fait une discrimination parce qu’on n’a pas de passeport ukrainien.”

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