En plein coeur du Montmartre chic, à l’abri des vieilles pierres, une sourde bataille se joue pour 765 m2 de terrain inconstructible: installé ici depuis cinquante ans, un club de pétanque associatif craint de remiser boules et cochonnets pour devoir faire place à un projet commercial.
Agitant le spectre d’une “expulsion”, le Clap -acronyme de Club Lepic Abbesses Pétanque- sonne la mobilisation. Après une pétition en ligne, le club ouvrait ses portes samedi pour alerter les habitants du XVIIIe arrondissement et compter ses soutiens, anonymes comme illustres.
“Qu’un lieu unique comme celui-là soit en danger, ça me brise le coeur”, a ainsi confié à l’AFP Yannick Noah, venu en voisin, en adhérent et en bouliste amateur. “C’est bien qu’il y ait des projets économiques mais il y a peut-être quelque chose de plus important, c’est ce lien entre les gens”.
C’est fin septembre que le Clap a pris “une claque”, selon son vice-président Nicolas Jammes: ses 257 licenciés ont appris qu’un opérateur privé – un hôtel adjacent – avait déposé un dossier à la mairie de Paris pour obtenir le droit d’exploiter cette parcelle jalonnée d’arbres centenaires et bordée par la très huppée avenue Junot.
A quelles fins précises? Installer une guinguette? Organiser des cérémonies de mariage? D’autres opérateurs se sont-ils manifestés? A Montmartre, personne ne le sait vraiment mais chacun a sa petite idée. Une certitude toutefois: cette procédure sonne la fin d’une époque pour le Clap qui prospère depuis 1972 dans un grand flou juridique.
“On s’est autogéré depuis cinquante ans”, admet Maxime Liogier, chargé de la communication du club.
Quand le Clap s’installe à l’époque avec la bénédiction des services de la Ville, aucune convention n’est passée et aucune ne le sera par la suite. “Le lien n’a jamais été formalisé”, concède M. Jammes.
La Ville, qui avait racheté ce terrain à l’héritière du peintre orientaliste Félix Ziem, n’a longtemps rien trouvé à redire à cette situation insolite. Elle raccordera ainsi gratuitement le terrain et sa buvette aux réseaux d’eau et d’électricité.
Mais plus récemment, le club a fait grincer quelques dents et se voit parfois accusé de favoriser un certain entre-soi entre gens de bonne condition. “L’entre-soi, c’est tout sauf chez nous”, se récrie Cathia Voelker, secrétaire générale du Clap, assurant que leurs huit terrains de pétanque voient défiler PDG comme allocataires du RSA.
Surtout en 2017, la loi Sapin a rebattu les cartes en encadrant les mises à disposition gratuites de l’espace public. Le Clap affirme alors avoir voulu régulariser la situation avec la mairie centrale mais reconnaît avoir tardé à le faire avant que le Covid ne vienne encore compliquer l’équation.
“Les dirigeants du club font semblant de ne pas comprendre. Ils bénéficient d’une situation acquise depuis longtemps et ne veulent pas perdre ce qu’ils considèrent être un dû”, indique à l’AFP le maire PS de l’arrondissement Eric Lejoindre, assurant qu’il “faut clarifier ça”.
Le Clap a désormais jusqu’à la fin novembre pour déposer son dossier et promettre de s’ouvrir davantage aux autres associations du quartier. “On veut rentrer dans les clous”, assure M. Liogier, espérant convaincre la commission ad hoc de la mairie qui départagera les candidatures.
En attendant l’issue finale, beaucoup au Clap se souviennent du combat mené par leurs prédécesseurs. Au début des années 1990, un projet de parking sur la parcelle avait hérissé les habitants et conduit plusieurs célébrités, dont Pierre Richard ou Jean-Pierre Cassel, à s’attacher aux arbres. Leur bataille, victorieuse, avait conduit au classement du terrain comme site protégé en 1991.
“S’il le faut, on fera pareil”, promet M. Liogier.
par Jeremy TORDJMAN
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