Justice | | 27/09/2022
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Peut-on juger des vieillards ? le cas d’école de la chaufferie de la Défense

Peut-on juger des vieillards ? le cas d’école de la chaufferie de la Défense © CD

Les juges peuvent-ils annuler un procès, si l’enquête qui l’a précédé a traîné en longueur ? Si oui, pourquoi et comment ? La Cour de cassation a examiné, jeudi, la question du “délai raisonnable” en se penchant sur une rarissime annulation d’un procès en 2021

La plus haute juridiction judiciaire s’est réunie dans sa plus large composition, en audience plénière, pour étudier les impacts de ce “délai déraisonnable” sur une procédure judiciaire concernant un vaste dossier de corruption.

Comme cas d’école, la “chaufferie de la Défense”, une affaire de corruption pour laquelle cinq chefs d’entreprise sont accusés d’avoir faussé, entre 1999 et 2003, l’attribution du juteux marché du chauffage et de climatisation du quartier d’affaires de La Défense (Hauts-de-Seine), aux portes de Paris.

Ces cinq chefs d’entreprise devaient être jugés pour corruption en 2021 à Nanterre (Hauts-de-Seine), mais le tribunal correctionnel, puis la cour d’appel de Versailles, ont annulé l’intégralité des presque vingt ans d’enquête, craignant un procès inéquitable.

Pour les magistrats de ces deux juridictions, impossible de juger correctement sans pouvoir confronter les prévenus. Or, l’un d’entre eux est presque centenaire, un autre est atteint de Parkison… et le bénéficiaire présumé de ce schéma de corruption, l’ancien sénateur et maire de Puteaux Charles Ceccaldi-Raynaud, est décédé.

Le parquet général a contesté cette annulation, demandant à la Cour de cassation de statuer.

“Plusieurs voies s’offrent à nous”, a déclaré jeudi sa rapporteure : conserver notre “jurisprudence traditionnelle” ou “choisir l’option de l’annulation”, ce qui impliquerait de régler des “difficultés procédurales” comme la question “des droits des parties civiles en cas d’annulation”.

Certains pays européens y ont déjà réfléchi, note-t-elle. “Depuis plusieurs décennies”, l’Allemagne prévoit l’annulation de la procédure et d’autres “ont prévu d’intégrer la réflexion sur le délai déraisonnable dans le prononcé de la peine”, permettant de la réduire voire de l’abandonner.

Mais pour l’avocate générale, Alexia Bellone, une telle innovation n’est pas nécessaire, ni “satisfaisante” pour des prévenus qui pourraient bénéficier d’une relaxe. “Des mécanismes” et “des garanties” permettent d’assurer un procès équitable même en situation de délai déraisonnable de procédure, assure-t-elle. Par exemple, en cas de prévenus trop fragiles pour participer à une confrontation, le tribunal peut “amoindrir certains éléments à charge”, souligne-t-elle.

Ce n’est pas l’avis de Patrice Spinosi, avocat de deux prévenus âgés, pour qui aucun procès ne peut “réparer” certaines violations “irrémédiables” des droits de la défense. “Avec le temps, ces prévenus ne seront pas moins vieux, moins malades”, note-t-il.

“Dans certains cas, il faut le concéder, la justice est échec et mat : il n’y a plus rien à juger, car l’acte de juger est devenu impossible”, argue-t-il.

Les juges de Nanterre et de Versailles “vous expriment une réalité crue et dure”, poursuit-il, “ils vous demandent que vous ne leur imposiez pas de juger des vieillards”.

“Ce n’est pas l’écoulement du délai, mais la constatation concrète de l’atteinte irrémédiable aux droits de la défense” qui doit entraîner une sanction, a abondé Bertrand Périer, avocat au conseil de deux autres prévenus.

Les deux conseils soutiennent l’idée qu’une annulation doit être justifiée au cas par cas, par une “motivation circonstanciée”: un délai déraisonnable n’ayant pas les mêmes conséquences sur la capacité de se défendre des prévenus, ne serait-ce que du fait de leur âge.

Ainsi, la cour d’appel de Versailles a annulé le volet corruption du procès de la chaufferie, mais maintenu un autre volet concernant les abus de biens sociaux pour deux prévenus plus jeunes.

Dans sa conclusion, Me Spinosi a enjoint à la Cour de cassation d’adopter une “position novatrice”. L’actuelle jurisprudence d’indemnisation “n’a jamais permis d’améliorer l’état de déliquescence” des procédures judiciaires, a-t-il relevé. 

Si la Cour ouvrait la voie aux annulations, “les juges accéléreraient les procédures, le législateur interviendrait pour encadrer les délais” d’enquête, anticipe-t-il.

Depuis l’affaire de la chaufferie, une demi-douzaine de jugements d’annulation ont été rendus. Presque tous frappés d’appel, ils sont suspendus à l’arrêt de la Cour, qui sera rendu le 9 novembre.

par Clara WRIGHT

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