Un an après l’installation des toxicomanes du crack, les maires d’Aubervilliers, Pantin et du 19ème arrondissement de Paris, ont à nouveau demandé à l’Etat de prendre ses responsabilités. Les habitants n’y croient plus.
“Je vais mettre la clé sous la porte“, souffle Salah Kemmache, gérant du restaurant l’Orange Bleue, située rue Magenta à Pantin. Depuis l’installation des “crackeux“, il déplore des vitres cassées, des intrusions forcées dans son établissement.
“Ça s’aggrave, témoigne une autre habitante du quartier qui préfère rester anonyme. On les voit errer le matin, le soir, des fois dans des états lamentables, ça fait mal au cœur. Mais on a peur aussi parce que des fois on les voit dans les halls d’immeubles.“
“Rien n’a été fait”
Le 24 septembre 2021, les consommateurs de crack du jardins d’Eole (18ème arrdt de Paris) étaient déplacés square Forceval, un terrain attenant à la place Auguste Baron (19ème arrdt) en lisière de la Seine-Saint-Denis.
Un an après cette installation qui devait être provisoire et à la veille d’une nouvelle manifestation du collectif Anti-crack 93 organisée ce samedi, les maires de Pantin, d’Aubervilliers et du 19ème arrdt de Paris, ont demandé l’évacuation du campement et la prise en charge médico-sociale des consommateurs de crack.
Devant le “mur de la honte”, passage Forceval, devenu une impasse, les trois élus ont déploré l’absence de réponse de l’Etat. “Depuis un an, nous avons multiplié les manifestations, les saisies [en justice]. A part une visio-conférence en janvier, rien n’a été fait“, s’insurge Bertrand Kern, maire socialiste de Pantin. “Nous dénonçons que le ministre de l’intérieur nous ment depuis un an“, assène-t-il.
Les commerces ont perdu 20 à 30% de leur chiffre d’affaires
“Les gens qui habitent ce quartier vivent l’enfer“, ajoute-t-il, énumérant quelques uns des dommages causés par l’errance des toxicomanes: “Les commerces ont perdu 20 à 30% de leur chiffre d’affaires, le patron de l’Intermarché paye plus cher aujourd’hui ses vigiles que son loyer (…).” Même l’association Emmaüs voudrait partir.
“Il y a un an ça été d’une violence inouïe“, renchérit Karine Franclet, maire UDI d’Aubervilliers. “Ces mots de dire qu’il n’y avait pas de riverains, ça a accentué ce sentiment de relégation.”
“Un terrain propice”
Mais ce discours passe difficilement auprès des habitants présents. “Ça fait déjà au moins quatre ans que ça se dégrade. La rue est devenue sale, il y a le deal de cigarettes, de drogue“, affirme Salah Kemmache. “On est passé de 800 à 20-30 couverts. Les clients sont charmés par le lieu. On a des réservations pour des repas d’entreprise, des mariages, mais quand ils viennent, ils ont peur, ils annulent, même avec des remises de 50%.“
Pour Sabrina Inoughi qui habite le quartier depuis 1998, “c’est un peu facile de tout rejeter sur l’Etat. S’ils [les toxicomanes] ont été installés là c’est qu’il y a un terrain propice. Avant c’était pas comme ça aux Quatre Chemins. Les vendeurs de cigarettes et les dealers se sont tout appropriés“, pointe-t-elle.
Elle ne participera pas à la manifestation ce samedi. “La seule chose à laquelle je pense c’est élever mon fils“, qu’elle a inscrit dans un lycée parisien. “Ici tout l’environnement est agressif, ça pèse et on finit par se sentir minable. Chaque jour, je me dis qu’il faut que je parte.”
Impuissance des élus
Face à la colère des habitants, les élus locaux ne peuvent que dire leur impuissance. “Comment voulez vous que la maire d’Aubervilliers et le maire de Pantin ouvrent une structure d’accueil pour 250 personnes. C’est pas notre compétence et nous n’en avons pas les moyens“, réagit Bertrand Kern.
“Reconnaissons que les pouvoirs publics semblent tolérer ici ce qu’on ne tolérerait nulle part ailleurs“, souligne pour sa part François Dagnaud, maire socialiste du 19ème arrdt.
En l’absence de réponse à leurs recours judiciaires, les maires de Pantin et d’Aubervilliers ont annoncé cette semaine avoir saisi la Défenseure des droits, Claire Hédon, invitant leurs administrés à faire de même. A leur demande, ils doivent être reçus début octobre par le nouveau préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, auquel ils reconnaissent d’avoir accentué les contrôles et les interpellations. “Je vais demander qu’une brigade de sécurité (supplémentaire) soit affectée au commissariat de Pantin“, précise Bertrand Kern qui fait également état d’une actualisation du plan crack à laquelle travaillerait le préfet de région et qui passerait de 9 à 25 millions d’euros.
Selon la préfecture de police de Paris, 385 interpellations ont été réalisées le secteur de la place Auguste Baron depuis le 4 août donnant lieu à 250 gardes à vues ayant conduit notamment à 11 mises en détention pour trafic. Ce jeudi encore, elle indiquait qu’une opération de police avait permis l’interpellation de 10 personnes dont 7 vendeurs de crack.
Mais pour les trois maires la réponse policière n’est pas suffisante. Il faut une mise à l’abri sociale et médicale des consommateurs de crack. “Le crack c’est un sujet nouveau qui nécessite des réponse nouvelles. Cette drogue est la plus pourrie, elle cumule tous les inconvénients, facile à produire, facile à acheter, sans produit de substitution, ça coûte pas grand chose et c’est très vite addictif“, pointe François Dagnaud.
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