Culte | Val-de-Marne | 07/11/2022
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Pourquoi l’ancien évêque de Créteil a-t-il pu mentir sur les vrais motifs de son départ

Pourquoi l’ancien évêque de Créteil a-t-il pu mentir sur les vrais motifs de son départ © CD

Alors que beaucoup de paroissiens et relations de l’ancien évêque de Créteil, Michel Santier, se sont sentis doublement trahis en apprenant les vraies raisons de sa retraite anticipée, le président de la Conférence des évêques de France, Eric de Moulins-Beaufort, a évoqué les faiblesses dans le fonctionnement de l’institution catholique qui ont conduit à mettre la poussière sous le tapis, et annoncé des changements à venir dans la doctrine, à l’occasion d’une conférence de presse exceptionnelle ce lundi après-midi.

Un an après le rapport choc de la Commission Sauvé, qui a donné à voir l’ampleur des actes pédophiles perpétrés au sein de l’église catholique, faisant état de 216 000 victimes de clercs ou religieux depuis 1950 en France, 330 000 en comptant les victimes de laïcs, et environ 3 000 agresseurs, la Conférence des évêques de France, qui se réunit en ce moment à Lourdes, doit à nouveau affronter la tourmente avec l’affaire Michel Santier, ancien évêque de Créteil, dont il a été révélé au grand public il y a quelques semaines, par l’hebdomadaire Famille Chrétienne, que la véritable raison de sa retraite anticipée faisait suite aux révélations en 2019 de deux hommes qui avaient été abusés lorsqu’ils étaient jeunes adultes. Ces derniers étaient invités à se dénuder lorsqu’ils avouaient des pêchés en confession, alors que Michel Santier était prêtre à Coutances, en Normandie, et directeur de l’Ecole de la foi. Depuis ces révélations publiques, de nouveaux témoignages sont arrivés aux oreilles de l’archevêque de Rouen, Dominique Lebrun, lequel a fait un signalement au procureur de la République.

Lire : Sanctionné pour voyeurisme, l’ancien évêque du Val-de-Marne, Michel Santier, accusé par de nouvelles victimes

Deux ans de non-dit

Plus de deux ans après l’annonce publique de son départ en retraite, en juin 2020, le cas Michel Santier est donc devenu public et mis dans les mains de la justice de la République. Pourquoi cela n’a-t-il pas été le cas plus tôt ? Pourquoi aucun signalement au procureur n’a-t-il été effectué dès 2019, date à laquelle les premiers témoignages ont été effectués ? Et pourquoi la vérité n’a-t-elle pas été dite aux paroissiens du Val-de-Marne dont Michel Santier a été à la tête du diocèse pendant 13 années, de 2007 à fin 2020 ? A ces questions qui fâchent, le président de la Conférence des évêques de France a donné ce lundi quelques éléments de réponse à l’occasion d’une conférence de presse exceptionnelle dédiée à la fois au cas Santier mais aussi à un nouveau scoop : le retrait du cardinal Jean-Pierre Ricard qui a avoué avoir eu “une conduite répréhensible sur une jeune fille de 14 ans”. Au total, a chiffré le patron des évêques de France, 11 évêques sont actuellement concernés par des affaires d’abus en comptant les dernières révélations.

ayant traversé d’autres difficultés, en fin d’année 2019” le message sibyllin qu’il eut fallu décrypter

En 2019, après les révélations reconnues par Michel Santier, ce dernier a adressé une lettre de démission au pape qui l’a accepté. “Il avait été prévu que la démission de Mgr Santier prendrait effet le 30 juin 2020. Un tel acte est normalement annoncé par le Saint Siège lui-même mais Mgr Santier l’a fait, de son propre mouvement, dès le 6 juin, en invoquant un motif de santé. Ce dernier motif était d’autant plus crédible qu’il avait passé quelques semaines à l’hôpital en pleine crise sanitaire et en plein confinement, dans un état très grave. La mention qu’il avait faite alors d’autres raisons, est passée inaperçue”, a rappelé Eric de Moulins-Beaufort. Dans son communiqué de l’époque, l’évêque a en effet motivé son départ comme suit : “J’étais habitué au grand air de la Normandie et de la Vendée ; l’air pollué de la région parisienne ne me convient pas, cela a conduit à des difficultés pulmonaires et les médecins ont diagnostiqué de l’asthme qui a entrainé aussi l’apnée du sommeil. Voyant que je n’aurai pas les forces physiques pour poursuivre mon ministère parmi vous jusqu’à 75 ans et ayant traversé d’autres difficultés, en fin d’année 2019 après avoir réfléchi, prié et pris conseil, j’ai écrit au Pape François pour lui remettre ma charge d’évêque de Créteil. Il m’a répondu favorablement et a accepté ma démission.” (Voir son communiqué) Si l’évêque a détaillé son problème pulmonaire, aucune précision en revanche sur la nature de ses “autres difficultés”. Une ellipse pour faire allusion au réel motif de son départ sans pour autant le dévoiler, qui a peut être donné à l’évêque le sentiment de ne pas complètement mentir mais n’a assurément pas permis aux diocésains de connaître la vérité.

Pourquoi la hiérarchie n’a-t-elle pas invité l’évêque à la transparence ?

Au sein de l’église, deux personnes sont officiellement au courant de l’affaire, le nonce apostolique, prélat chargé de représenter le pape, et l’archevêque de Paris, responsable de la province dont fait partie le diocèse de Créteil, Michel Aupetit, lequel a adressé le signalement au Vatican. Eric de Moulins-Beaufort est aussi au parfum mais n’est pas censé l’être car “le droit canonique ne prévoit pas que le président de la conférence des évêques participe à ces procédures“, a-t-il rappelé en conférence de presse. Il est donc au courant “sur la bonne volonté de chacun”. Pourquoi le nonce et l’archevêque n’ont-ils pas exigé du prélat qu’il expose les véritables raisons de son départ ?

Car la révélation publique des sanctions aurait relevé d’une “peine complémentaire”

Dans sa déclaration, le chef de file des évêques a expliqué que la détermination des sanctions à l’égard de Michel Santier, “pas plus que leur publication”, ne “leur appartenait pas“. La publication des sanctions est en effet, “à l’instar du droit français”, une “peine complémentaire”. Il était donc insttionnellement prévu par l’église de mettre le gros tas de poussière sous le tapis.

Un passage de témoin très malaisant

Concernant le nouvel évêque, il ne sera informé que tardivement, avant sa prise de fonction, ce qui va donner lieu à un passage de témoins pour le moins malaisant, comme l’a décrit le président de la conférence des évêques. “Lorsque Mgr Blanchet apprend, en décembre 2020, que le pape l’a nommé évêque de Créteil, il ne sait rien de la situation de Mgr Santier. Il l’a appris plus tard, au cours d’entretiens préalables à sa prise de fonction. Il a donc dû porter seul ce qu’il avait appris, et veillé seul à limiter les adieux et les hommages que les diocésains de Créteil voulaient rendre à celui qui avait été leur évêque pendant treize ans. J’étais témoin de ces efforts, et de la délicatesse et de la force dont il faisait preuve pour contenir au maximum la présence de Mgr Santier sans avoir l’air, aux yeux de ses nouveaux diocésains, de le mépriser ou de le maltraiter.” Une situation de faux semblants, troublante pour les paroissiens.

Pourquoi le Parquet n’a pas été saisi dès 2019 ?

Alors que des victimes se sont déclarées dès 2019, le parquet n’a pas non plus été informé, empêchant la justice de la République de se saisir ou non du dossier. Explications d’Eric de Moulins-Beaufort : “vraisemblablement parce que les faits avaient été commis sur des personnes alors majeures, jeunes adultes” et “que ces personnes ne voulaient pas à ce moment là être interrogées davantage, le temps ayant passé, leur vie s’étant construite.”

Pas d’enquête approfondie en interne non plus

A l’intérieur de l’église non plus, on n’a pas enquêté au-delà des témoignages arrivés spontanément. “La congrégation pour la doctrine de la foi a demandé en mai 2020 à l’archevêque de Paris, Mgr Aupetit, d’ouvrir une enquête préalable, canonique. Cela n’a pas été fait. La définition dans le code du droit canonique de l’enquête préalable n’est pas claire. Elle est faite, dit-on, pour établir la vraisemblance des faits. Or, en l’occurrence, cette vraisemblance était établie puisque le mis en cause les avait reconnus. De plus, la démission était déjà acceptée. Mais dans ces conditions, quand et par ailleurs comment, une véritable enquête est-elle menée pour rétablir l’ensemble des faits qu’aurait pu commettre le mis en cause et le juger en conséquence?” a questionné le président de la conférence des évêques.

Un retour en Normandie comme si de rien n’était

Dans la série des non-dits, le patron de la conférence des évêques rapporte aussi que lorsque Michel Santier revient en Normandie, l’évêque de Coutances “ne sait pas quelle est sa situation exacte ni les raisons véritables de sa démission”. Il ne l’apprendra que lorsqu’une des victimes s’inquiète de “ce qu’elle entend dire des missions” qui pourraient être confiées à l’ancien évêque de Créteil. Ce-sont ces révélations qui permettent à l’évêque normand de prendre de nouvelles dispositions et de prévenir les sœurs chez qui est envoyé Michel Santier. Sans cette alerte, personne n’aurait donc été au courant dans le diocèse de la Manche.

Des changements à venir

Beaucoup de silences gênants, qui ne sont plus tenables en cette fin 2022, un an après les révélations de la Commission Sauvé. “Des insuffisances graves et des dysfonctionnements à tous les niveaux apparaissent clairement à la relecture de cette histoire. Ce constat nous permet aujourd’hui d’envisager des mesures claires et précises pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise. Nous y travaillons et nous y travaillerons encore jusqu’à demain”, a annoncé Eric de Moulins-Beaufort.

“Nous ne sommes ni des magistrats, ni des policiers et nous n’avons pas à le devenir. Il nous fait être conscient de cette incompétence et recourir résolument à l’aide de tiers compétents“, a notamment insisté le représentant des évêques. Un tournant que semble avoir déjà amorcé l’archevêque de Rouen, lequel a annoncé avoir fait un signalement au procureur de la République à la suite de nouvelles révélations liées à d’autres victimes.

Concernant la publicité des faits reprochés à l’évêque, le président de la Conférence des évêques de France a également été très clair. “Un évêque étant un personnage public et revendiquant de l’être, les sanctions le concernant devraient toujours être publiées, sauf si une raison proportionnée conduisait à une autre décision. Et la même réflexion peut valoir pour les prêtres.”

Cellule d’écoute dans le diocèse de Créteil

Dans le diocèse de Créteil, une cellule d’écoute a été mise en place pour permettre à d’éventuelles victimes du Val-de-Marne de se manifester. “Elles seront mises en lien avec Mgr Lebrun, dans le cadre de la nouvelle procédure concernant Mgr Santier”, indique l’actuel évêque de Créteil, Dominique Blanchet qui invite également à trouver le “bon niveau de clarté” entre “transparence et opacité”. Plusieurs paroisses ont également mis en place des temps de parole autour de cette crise, avec leurs fidèles. Au-delà de l’affaire Santier, le diocèse a également un partenariat avec le parquet de Créteil pour signaler les abus qui seraient portés à sa connaissance.

Voir la conférence de presse d’Eric de Moulins-Beaufort

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