Présidentielle 2022, paroles d’électeurs # 8 dans un bistrot de Montreuil 

“L’élection ? Je n’ai pas la tête à ça“, s’agace Gérard, 76 ans. Avec Noé, ils ont fait, comme à leur habitude, un tour au marché des biffins de la place de la Croix de Chavaux. L’un vient de Vincennes, l’autre de Fontenay-sous-Bois. Derrière le comptoir, Momo leur sert un café: “Ici les gens ne parlent pas politique“, assure-t-il.

“Attention à un scénario à la Brexit”

Rapidement pourtant, les langues se délient. “Je sais pour qui je vais voter, mais je ne vous le dirai pas“, lâche Noé. Pour lui, “la paperasse” c’est ce qui “étouffe” la France. “Quoique vous vouliez faire, on vous demande d’obtenir des tas d’autorisations. C’est un vrai problème si vous voulez monter une affaire.” L’ancien agent de lycée dénonce ensuite la disparition des services publics: “Maintenant, l’Etat regroupe les guichets et beaucoup de choses passent par internet. Ce n’est pas évident si vous n’êtes pas équipé.”
Pour autant, il réfute tout pessimisme. “Les choses changent, c’est normal. C’est vrai que Mitterrand a été le dernier des grands présidents, mais chacun a ensuite fait de bonnes choses et de moins bonnes. Et il ne faut pas oublier l’Europe: les marges de manœuvre ne sont plus les mêmes.“

“Les élections c’est comme le commerce, chaque candidat arrive avec des promesses”

A côté, un commerçant indépendant, qui ne veut pas donner son prénom, estime “qu’on parle trop d’immigration et de sécurité. Est-ce que vous connaissez un pays occidental qui n’a pas ce genre de problèmes?, questionne-t-il. Au fond, les élections c’est comme le commerce, chaque candidat arrive avec des promesses pour séduire ses électeurs. Pour moi, la première chose qu’il faudrait faire, c’est assurer notre indépendance au pétrole et au gaz russes.” La crise ukrainienne lui a fait prendre conscience que l’on consomme trop d’énergie et de choses inutiles. Il votera pour le président sortant : “A mon avis, c’est le seul à savoir gérer l’économie. Mais les gens sont saturés: après le covid, c’était l’Ukraine, maintenant c’est l’inflation… il faut faire attention à un scénario à la Brexit. Mais je reste optimiste, on n’a pas la choix.“

“La démocratie est bancale”

Tony et Junior s’installent sur le zinc avec Jérémy, un jeune apprenti qui paye son coup. Ce sera un cocktail sans alcool. Ils terminent une journée de travail commencée à 6h00 dans un chantier à quelques pas. “Franchement, je ne reconnais pas un discours humain chez les hommes politiques. Il y a un trop grand décalage entre ce qu’ils disent et notre quotidien. Mais ma chérie travaille dans une collectivité et elle m’obligera à aller voter”, se résigne Tony. Je voterai peut-être Poutou mais par coup de cœur, en sachant que c’est inutile“, s’amuse-t-il. Plus sérieux, il confie: “Dans le bâtiment vous savez, il y en a beaucoup qui se laisseraient tenter par le vote Le Pen, même des immigrés. Peut-être aussi parce que ça devient de plus en plus difficile d’avoir des chantiers à cause de la concurrence des entreprises étrangères.” Junior hésite avant se lancer. “Moi, si je vais voter, ce sera pour Mélenchon. Il a raison, faut changer de système.“

Jérémy a 17 ans et n’a donc pas encore le droit de vote. “Je me sens quand même concerné parce que la démocratie est bancale“, estime-t-il.

Dehors, une jeune femme finit une cigarette en terrasse. Elle prend une pause avant de retourner à ses études. “La campagne présidentielle, je ne l’ai même pas vue passer. Et je m’y suis pas vraiment intéressée. Qu’est-ce que ça va changer d’aller voter? Je vois simplement que tout devient cher et qu’on n’y peut pas grand chose.”