“Le 7 août 2017, je me réveille 21 jours après mon accident en ne me rappelant de rien. Je ne pouvais plus bouger, ni parler. (…) Le psy et mes parents rentrent dans ma chambre et m’expliquent que ma meilleure amie, qui était avec moi dans cette voiture, est morte. Elle avait 15 ans. Aucune larme ne coule, seule la haine est alors présente en moi. Insoutenable, irrespirable…” Jusqu’au 7 juillet, des témoignages bouleversants accompagnent des œuvres d’art contemporain sur les murs de l’Institut Robert Merle d’Aubigné, spécialisé dans le retour à la vie des personnes amputées.
Pourquoi 102 ? Ces le nombre d’enfants décédés sur les routes de France en 2019. Avant le projet 102, il y a eu le projet 57 dès 2016. “57 oeuvres d’art de 57 artistes, couplées à 57 témoignages de victimes d’un accident de la route, de leurs familles, de soignants, de services de secours, d’associations, d’élus,… pour les 57 personnes décédées sur les routes, en 2016 en Guadeloupe”, explique le concepteur de l’expo, Charles-Henri Coppet, avocat en droit du dommage corporel, à l’initiative.
“Mon métier consiste à réparer les injustices subies par les victimes des accidents. Il faut se battre contre des acteurs (assurances, fonds de garanties,…) qui raisonnent avec des logiques comptables et fonctionnement avec des barèmes. Face à ce manque d’humanité, je me suis dit qu’il fallait s’attaquer aux causes, aux origines de ces drames, et utiliser l’art pour ne pas que les gens détournent le regard”, explique l’avocat.
“On peut encore espérer“
Après la Guadeloupe, il y a eu la Drôme, puis la France. Le projet national a émergé en partenariat avec l’association Vict’w Art, présidée par Aurélie Vernaz, maman d’une jeune fille victime d’un accident de la route. “Nous n’avons pas uniquement choisi des victimes directes parce que ces drames touchent également les familles ou les professionnels de santé. Avec ces 102 témoignages, de nombreuses thématiques sont abordées comme l’enfance, les dangers de la route, le handicap, la colère mais aussi des choses plus positives comme la résilience, la reconstruction, la vie,…”, insiste Vanessa Haddar, coordinatrice du projet, qui a mené les entretiens.
Le premier témoignage donne le ton :
“Je veux dire à tous les jeunes qui ont un fauteuil :
la vie n’est pas finie !
Il y a encore tellement de choses à faire.
On peut aller à la piscine.
On peut manger le bon couscous de maman.
On peut faire du sport et rencontrer des copains.
On peut encore espérer…”
Ainsi parle le très jeune El Mostefa Amara, percuté par un chauffard sous l’emprise de la drogue.
“Je les accompagne ces victimes « responsables », rongées par le regret“
Dans cette exposition hors du commun, les soignants prennent aussi la parole.
“Je les accompagne ces victimes, avec ou sans entourage. (…) Des fois ils ont oublié leur passé, tellement le choc a été violent physiquement et émotionnellement, mais ils s’accrochent toujours à la vie. Je les accompagne ces victimes « responsables », rongées par le regret, la culpabilité et la honte. Je les accompagne ces familles, ces amis, ces collègues qui ne savent pas quoi dire, quoi faire, mais qui ont de l’espoir. Je les accompagne tous, car dans tous les cas de figure, la situation est dramatique…” témoigne Séraphine Nzéyimana, assistante de service social en neurochirurgie.
Après un vernissage à Paris, Halle des Blancs Manteaux, fin février, l’exposition est à voir dans la vaste parc de 3 hectares de cet institut qui œuvre depuis 1969 à redonner espoir aux personnes amputées, pour des raisons de santé ou après un accident, en les encourageant à revivre, refaire du sport lorsque cela est possible, notamment en contribuant à la conception de prothèses adaptées.
Lire : A Valenton, l’Institut Merle d’Aubigné redonne l’espoir par le sport après l’amputation
“La présence de cette exposition à l’Irma répond à l’une des missions de notre établissement qui est la sensibilisation. Nous souhaitons par ailleurs ouvrir davantage l’Institut sur la ville pour être plus visibles auprès des habitants du territoire”, explique Nicolas Touchon, le directeur général de l’Institut. Pour accompagner l’expo, la ville a pour sa part consacré une semaine au handicap (Handi’Valenton) et emmené les jeunes des centres aérés découvrir le projet 102, la semaine dernière.
“c‘est aux chauffards qu’il faut les mettre sous le nez”
“C’est bien joli ces photographies mais c’est aux chauffards qu’il faut les mettre sous le nez. Il faut faire subir aux chauffards ce qu’ils font subir aux victimes”. “Qu’ils essayent de vivre pendant de longs mois sans une jambe et qu’ils se rendent compte des conséquences sur sa vie”, commentent Marielle, Théo et Eric, un trio d’unijambistes, postés devant les œuvres.
N'envoyez que des photos que vous avez prises vous-même, ou libres de tout droit. Les photos sont publiées sous votre responsabilité.