Les six enseignants de l’école élémentaire Louis Pasteur de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis)ont été déboutés par le tribunal administratif de Montreuil. Ils contestaient leur mutation contrainte par le rectorat au nom de “l’intérêt du service“.
Devant le tribunal administratif de Montreuil, Me Arié Alimi avait dénoncé lundi 9 mai des attaques “que l’on peut qualifier de personnelles, individuelles à orientation politique et idéologique.”
Les six professeurs, cinq femmes et un homme, de l’école Pasteur avaient déposé un référé-liberté aux côtés des syndicats Sud Education 93 et SNUipp-FSU 93, ainsi que d’une vingtaine de parents d’élèves, pour contester leur mutation entrée en vigueur le jour même du jugement.
“Ça sera difficile, avait prévenu Me Alimi avant l’audience, mais il y aura d’autres recours, notamment sur le fond.”
“Intérêt du service”
Cette décision résulte d’une enquête administrative conduite de novembre 2021 à mars 2022 sur le fonctionnement de cet établissement classé REP+ (réseau d’éducation prioritaire renforcé), accueillant environ 300 élèves.
Le rectorat de l’académie de Créteil, représenté par Eva Hong-Bauvert, avait maintenu, pour sa part, que les mutations étaient “dans l’intérêt du service (…) afin de restaurer un climat de sérénité dans l’école, propice aux apprentissages.” Position qu’ont contestée Me Arié Alimi, qui représentait les enseignants et les syndicats, et Me Benoit Arvis, avocat des parents d’élèves.
Or, la juge des référés a estimé que les arguments opposés par les enseignants de l’école Louis Pasteur n’étaient pas fondés, selon une ordonnance consultée par l’AFP.
L’intention du rectorat de l’académie de Créteil n’était pas de les “sanctionner” ni de “remettre en cause” leur engagement syndical, mais d’agir face à “la dégradation du climat” au sein de l’établissement, a-t-elle considérée.
La juge a également estimé que “l’intérêt supérieur de l’enfant” était respecté car des professeurs remplaçants ont été affectés dans les classes concernées. Les enseignants mutés avaient exprimé leurs craintes face à une rupture brutale avec les élèves, dont certains sont en grande difficulté ou porteurs d’un handicap.
Me Alimi a indiqué mercredi à l’AFP que ses clients réfléchissaient à un éventuel appel de cette décision devant le Conseil d’Etat
Colère et incompréhension
Devant le tribunal une quinzaine de parents, dont certains accompagnés de leurs enfants, avaient attendu lundi sous un soleil ardant jusqu’à la fin de l’audience.
“Je n’ai plus confiance en l’éducation nationale“, avait lâché Murielle (son prénom a été changé) venue avec ses trois enfants. “Je ne veux pas les mettre dans le privé mais j’ai quand même commencé à regarder.”
A ses côtés, Marie avait renchéri: “On est encore sous le choc. On ressent beaucoup de colère. Je soutiens bien sûr les professeurs, mais je suis là surtout pour les enfants. C’est eux qui subissent maintenant cette situation.”
Sa fille, Stella, élève de CE1, dont la maitresse fait partie des six enseignants mutés, est là aussi: “Je ne veux pas retourner en classe tant que ma maitresse ne reviendra pas. On en a parlé entre nous.”
En attendant la fin de l’audience, Sylvie, 65 ans, mère de l’une des enseignantes mutées, avait confié son sentiment d’injustice: “Ma fille se démenait pour ses élèves depuis 12 ans. Elles se battait pour organiser des classes vertes, elles menait des projets pédagogiques dont un clip sur l’égalité des sexes diffusé sur France 3. Ils étaient aussi bien contents de la trouver pour assurer la direction de l’école pendant six mois. Avec ces mutations, c’est une toute une vocation que l’on brise. Je ne comprends toujours pas ce qu’on leur reproche, leur dossier est vide. C’est une décision arbitraire“, avait-elle lâché très affectée.
Mutation contrainte
Après une période de vacance à la tête de l’établissement, le climat s’est détérioré avec l’arrivée d’une nouvelle directrice en septembre, selon le récit des enseignants. Un article sur le “gauchisme à l’école“, paru en janvier dans le magazine conservateur l’Incorrect, avait mis le feu aux poudres. La directrice, qui y témoignait anonymement, avait ensuite été affectée dans une autre école de Seine-Saint-Denis. “C’est aussi une lutte contre une intrusion idéologique et politique au sein des établissements scolaires“, avait d’ailleurs pointé Me Alimi, soulignant que “depuis qu’elle est partie tout se passe bien.”
L’Éducation nationale reproche notamment aux enseignants une “posture d’opposition systématique“, des tentatives d’imposer “un cadre d’autogestion” ou encore “une attitude manipulatrice“.
Selon les professeurs, ce sont des “allégations” sans fondement ni preuve, qui sont dans “l’incompréhension” face à des dossiers “vides” de preuves. “En fait, ce qu’on leur reproche c’est d’avoir un conseil des maîtres qui fonctionne, d’être une véritable équipe“, estime Caroline Marchand, co-secrétaire départementale du syndicat Snuipp-FSU.
La mesure aura en tous cas des effets durables. Auprès des élèves, qui en ont eu connaissance le 11 avril, une semaine avant leur annonce officielle, la veille des vacances scolaires. “J’ai vu ma maitresse en pleurs. Je croyais que quelque chose de grave s’était produit“, racontait Stella. “Beaucoup de parents sont allés occuper l’école le lendemain. On a vu les professeurs en pleurs, les enfants ont pleuré et nous aussi du coup.” “C’est vraiment triste“, déplore Hawa, 36 ans, maman de trois enfants. “On a vécu deux semaines terribles. Ces professeurs avaient une vraie écoute avec les enfants, ils leur donnaient confiance en eux.”
Le départ des enseignants implique aussi autant de remplacements dans les nouvelles écoles où ils sont affectés, en plein milieu d’année. Sur les 13 restants à l’école Pasteur, 12 sont en grève pour le moment, dont près de la moitié auraient demandé à changer de poste. Comme Bertrand, professeur depuis sept ans à Pasteur. “Je ne pourrai pas revenir dans ces conditions. On a mis en place beaucoup de projets pédagogiques, des classes vertes… Mes collègues étaient devenus mes amis. Je préfère repartir de zéro.”
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