Deux gifles qui partent trop vite. Un peignoir serré autour du cou. Une femme brutalement poussée contre le mur. A l’occasion d’une audience spéciale violences conjugales, les gestes de violence du quotidien sont sortis de la sphère privée des couples pour être jugés par le tribunal de proximité de Saint-Denis.
Exerçant la justice de proximité, le président du tribunal de Bobigny
Peimane Ghaleh-Marzban et le procureur de Seine-Saint-Denis Éric Mathais tiennent chaque mois, en personne, une “audience foraine” délocalisée dans le minuscule tribunal de Saint-Denis.
Jeudi, pour la première fois, celle-ci se dédiait exclusivement à la
thématique sensible des violences conjugales, sujet de société qui a
pris de l’ampleur ces dernières années.
Pendant huit heures, avec dix dossiers, une montagne de disputes,
vexations, rancœurs, coups de pied, claques, insultes, morsures et
menaces s’accumule progressivement dans le petit prétoire niché à un jet
de pierre de la basilique des rois de France.
Bedonnant ouvrier du bâtiment, les cheveux tirés en arrière pour masquer
une calvitie, Noureddine B., 51 ans, est poursuivi pour avoir menacé son
ex avec un cutter en janvier dans une pharmacie de Pierrefitte-sur-Seine.
Revenant avec colère sur le contexte de leur relation, la victime
raconte avoir été battue pendant des années. Devant les magistrats, elle
s’agenouille pour mimer une fellation qu’il l’aurait forcée à pratiquer,
sous la menace d’un “grand couteau comme ça, comme pour égorger un mouton”.
Un témoignage que dément le prévenu, au casier judiciaire vierge:
– “Il y a beaucoup de mensonges!”, s’agace-t-il.
– “Madame dit quand même des choses qui sont…” avance le président
Ghaleh-Marzban.
– “Oui, parce que c’est une femme!”
Dans l’attente de la décision du juge, une altercation éclate dans le
couloir entre les deux bords, obligeant l’huissière à les séparer.
Noureddine B. écope de quatre mois de prison avec sursis.
Plaintes retirées
Souleymane B. a posé sa journée pour venir à son procès. Conducteur
d’autobus, il a donné l’été dernier deux gifles à sa compagne de
l’époque, alors qu’il la quittait. Cette dernière n’a pas porté plainte
et n’est pas non plus présente à l’audience.
Ses réponses sont aussi tristement banales que les faits. “J’ai juste
voulu prendre mes affaires et repartir, ce qu’elle n’a pas accepté.
C’est ce qui a engendré cette situation que je regrette profondément”.
Un mois avec sursis, condamnation qui ne sera toutefois pas inscrite sur
son casier judiciaire.
Un couple de jeunes trentenaires s’avance. Grands et élancés, cet homme
et cette femme ont la particularité de comparaître à la fois comme
prévenus et victimes pour des violences volontaires lors d’une dispute
déclenchée par la possession d’un oreiller. Se tenant de part et d’autre
de la barre, ils s’évitent du regard.
Lui baisse la tête, comme penaud. Elle se montre vindicative. Mais les
explications restent embrouillées, la scène confuse. Seule certitude
dans ce dossier, conclut Éric Mathais, “il vaut mieux que ce couple se
sépare”. 1 500 euros d’amende chacun et 800 euros de dommages-intérêts
accordés à “madame”.
Le responsable sécurité Areki A. et son épouse ne comprennent pas ce
qu’ils font devant le tribunal. Pour expliquer son œil au beurre noir,
la victime, dont la carrure frêle et la voix timide contrastent avec le
corps tout d’un bloc bâti de son époux, parle bien aujourd’hui d’“une
frappe”, mais “involontaire”.
La femme a même retiré sa plainte. “Je ne voulais pas faire de problème,
je ne voulais pas perdre mon couple”, plaide cette Algérienne diplômée,
arrivée en France pour son mariage et dont le compagnon lui interdit de
travailler. Elle s’excuse presque d’avoir dérangé la justice.
Rien n’y fait. “Dans les disputes, les gestes violents ne sont pas
admissibles”, rappelle le président Ghaleh-Marzban. Pour “monsieur”, ce
sera donc deux mois avec sursis.
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Par Alexandre MARCHAND
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