Urbanisme | Seine-Saint-Denis | 20/04/2022
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Seine-Saint-Denis: les juges des expropriations, maillons essentiels de la rénovation urbaine

Seine-Saint-Denis: les juges des expropriations, maillons essentiels de la rénovation urbaine © Charles Henry

Lutte contre l’habitat insalubre, rénovation urbaine, chantiers des jeux olympiques, développement des transports en commun… En Seine-Saint-Denis, le service des juges des expropriations du tribunal de Bobigny tourne à plein régime dans un département populaire en pleine mutation urbaine.

Par une grise après-midi à Saint-Denis, une nuée d’avocats arpente avec une juge des expropriations les 13 000 m2 d’un bâtiment de locaux professionnels à moitié vides, du parking jusqu’au toit. Les uns lui vantent l’emplacement idéal, les autres pointent des taches d’humidité aux murs.

Dans le cadre de la diversification de la Plaine Saint-Denis, morne quartier d’entrepôts et bureaux, un aménageur public a préempté ces locaux au moment de leur mise en vente. Mais acquéreur et vendeur n’ont pu s’accorder sur le prix, nécessitant l’intervention d’une juge des expropriations pour trancher le litige.

Trois juges pour la Seine-Saint-Denis

Ces magistrats spécialisés sont chargés, en cas de désaccord financier lors d’une préemption ou d’une expropriation ordonnée par la préfecture pour un projet d’utilité publique, d’arbitrer la somme que l’acteur public versera au propriétaire forcé de lui vendre.

Cette mission fait de ces juges un maillon essentiel des grands projets d’urbanisme. “Nous sommes là pour assurer un équilibre entre intérêt général et protection des droits individuels et faire en sorte que l’expropriant n’abuse pas des prérogatives dont il dispose“, explique Charline Cheruel, 36 ans, qui a rejoint le service en 2019.

Dans ce département hérissé de grues, la patte des juges des expropriations se retrouve dans de nombreux chantiers emblématiques des évolutions du département: construction du village olympique pour les jeux olympiques de Paris 2024, prolongement des lignes 11 et 14 du métro, des tramways T1 et T4, etc.

En Seine-Saint-Denis les besoins sont tels que le pôle compte désormais trois juges, contre une seule il y a quelques années. Une exception dans le paysage des tribunaux de France qui, dans leur immense majorité, n’ont pas même un seul magistrat consacré à plein temps à ce contentieux souvent marginal.

Rattrapage historique

Cette particularité tient à la transition tardive que traverse actuellement la Seine-Saint-Denis. Historiquement défavorisé et sinistré par la désindustrialisation, ce territoire de 1,6 million d’habitants connaît ces dernières années un indéniable mouvement de revitalisation urbaine, une attention accrue des pouvoirs publics se conjuguant à la pression foncière de la capitale limitrophe.

C’est un département sur lequel la rénovation urbaine ne s’est pas faite. Dans les autres départements autour de Paris, la rénovation s’est faite dès l’après-guerre, ce qui n’a pas eu lieu dans le 93 car les terrains n’étaient pas chers et étaient acquis par des sociétés industrielles qui avaient besoin de surface“, analyse Sylvie Suply, 63 ans, juge des expropriations à Bobigny depuis onze ans.

Habitat insalubre

La lutte contre les marchands de sommeil et l’habitat insalubre, une priorité des autorités en Seine-Saint-Denis, les accapare beaucoup et les amène à écumer des villes comme Aubervilliers, Saint-Ouen et Saint-Denis.

L’opération phare du service actuellement est le plan de rénovation urbaine, étalé jusqu’en 2030, du quartier du Chêne Pointu à Clichy-sous-Bois, copropriété parmi les plus dégradées de France, connue pour avoir servi de décor au film “Les Misérables”.

Pour procéder à la destruction des grandes barres insalubres, un nouvel immeuble est exproprié chaque année, soit plus de 150 nouveaux dossiers qui atterrissent à chaque fois sur le bureau des juges.

 Lors des visites sur place, “on entend dans les cages d’escaliers des dealers siffler pour prévenir qu’ils ne sont plus tout seuls. On va visiter les biens et c’est souvent vraiment terrible. Des cafards qui montent aux murs, une salle de bains avec de la moisissure partout, une multiprise pour l’ensemble des appareils électriques de la famille…”, témoigne Bénédicte Baudoin, 44 ans.

Petit à petit, un urbanisme remplace l’autre dans le département, observe Sylvie Suply: “il y a des créations de quartiers plus que de grands ensembles, avec des immeubles moins hauts, beaucoup de services de proximité comme des petits commerces, des crèches, des jardins aménagés pour les enfants“.

Pour les juges des expropriations en Seine-Saint-Denis, il reste toutefois encore du travail… “pour quelques décennies“.

Par Alexandre Marchand

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