A l’origine du téléphone grave danger ou du protocole féminicide, l’Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, premier du genre en France, fête ses vingt ans avec de nouveaux défis comme la formation des policiers, la détection des violences psychologiques, la prostitution des mineures…
“On dit de nous que nous sommes un laboratoire d’innovation. Ce que nous expérimentons en Seine-Saint-Denis se généralise à la France entière”, se réjouit Ernestine Ronai, qui célèbre jeudi ses vingt ans à la tête de cet organisme départemental.
Loin de vouloir “stigmatiser, on a voulu montrer l’ampleur des violences faites aux femmes, qui touchent tous les milieux sociaux, et alerter de la dangerosité des hommes violents”, explique Mme Ronai, militante féministe et psychologue de formation.
La première étude menée par l’Observatoire en 2007 a révélé “qu’une femme sur 10 est victime de violences dans son couple, soit 36 000 femmes. Vingt ans après, on est à 60 000 femmes, l’équivalent de la ville de Pantin”.
“en quatre minutes, la police arrive”
Une fois le constat établi, il a fallu penser des outils pour protéger les victimes.
S’inspirant d’un dispositif espagnol, l’Observatoire imagine avec le parquet de Bobigny, la police et SOS Victime un téléphone mobile “grave danger” qui comprend un bouton d’appel d’urgence préprogrammé.
En Seine-Saint-Denis, “en quatre minutes, la police arrive”. “Le dispositif a fait ses preuves”, affirme Brigitte Broux, la directrice de l’association SOS Femmes 93 qui “dépose tous les jours des dossiers auprès du parquet” pour que les femmes puissent obtenir un téléphone.
Ce dispositif, expérimenté depuis 2009 dans le département, a été généralisé en 2014 au reste de la France, où sont aujourd’hui déployés près de 5 000 téléphones. Le mouvement #MeToo a permis à l’Observatoire, longtemps inaudible, d’être enfin “écouté”, estime la directrice.
Ne pas oublier l’enfant
Une attention particulière est par ailleurs donnée à l’enfant, “covictime” des violences. Le protocole féminicide, lancé en 2015, permet la prise en charge des enfants orphelins dans le cadre des féminicides/homicides conjugaux.
“Le plus souvent, c’est le père qui tue la mère, c’est quelque chose de terrible pour l’enfant. On a donc considéré qu’il fallait hospitaliser les enfants pour qu’ils aient des soins immédiats en psycho-trauma”, détaille Ernestine Ronai.
La fille d’un parent auteur de violences conjugales présente six fois et demie plus de risques qu’une autre d’être victime de violences sexuelles, selon une étude publiée par l’Observatoire en 2021.
Encore du chemin à parcourir
Si des progrès ont été faits dans la prise en charge des femmes violentées, “ils ne sont pas suffisants”, estiment les acteurs de la défense des droits des femmes pour qui il faut poursuivre la formation des policiers et gendarmes. En 2021, 122 femmes ont été tuées en France sous les coups de leur conjoint ou de leur ex-conjoint, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur.
S’y “ajoutent 190 tentatives de féminicide et 209 suicides de dames qui n’en pouvaient plus de subir des violences physiques et psychologiques”, alerte l’Observatoire, qui souhaite instaurer “une présomption de crédibilité pour la victime”.
Dans ce sens, un bus va sillonner à partir de janvier cinq villes de Seine-Saint-Denis pour aller à la rencontre des femmes sur les marchés populaires afin de “leur redonner confiance, leur dire ‘on vous croit’, les informer des outils qui permettent de les protéger”, détaille Mme Ronai.
Prostitution des mineures
Et pour ses 20 ans, l’Observatoire poursuit ses innovations avec notamment la création d’un brevet contre le sexisme qui promeut l’égalité homme/femme et souhaite étendre ce diplôme à tous les collèges de l’hexagone.
La structure s’attaque aussi de front à la problématique de la prostitution des mineures.
Fort de son expertise, l’Observatoire ambitionne désormais “de diffuser son savoir-faire au-delà de ses frontières”, avance Stéphane Troussel, le président PS du département.
Un Observatoire international des violences contre femmes vient d’être lancé, avec comme premiers partenaires la ville palestinienne de Jenine et de la Grande Comore, une des trois îles de l’archipel du même nom.
par Wafaa ESSALHI
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