Annie* n’a toujours pas tombé le masque. Non pas qu’elle ait “peur du virus”, précise-t-elle dans le bureau de sa psychologue: le tissu cache les cicatrices laissées par le couteau d’un ancien compagnon qui n’a “pas accepté la séparation”.
“Ma chance, c’est qu’il m’a crue morte. Il s’est enfui et j’ai pu ramper pour trouver de l’aide”, raconte à l’AFP cette femme élégante de 54 ans en chemisier blanc, suivie par une psy de la Maison Solidarité Femmes 91 de Montgeron (Essonne).
A la fois accueil de jour et hébergement d’urgence, l’établissement ouvert fin septembre par l’association Léa offre aux femmes victimes de violences conjugales un refuge cosy et des permanences d’aide psychologique et juridique.
L’adresse de cette imposante bâtisse blanche est tenue secrète. A l’intérieur, plusieurs boutons permettent d’alerter discrètement la police en cas d’intrusion. Au sous-sol, une petite pièce équipée d’une porte blindée peut servir d’abri.
“Ici, je me sens en sécurité”, souffle Annie, qui vient au moins deux fois par mois pour ses consultations. Son ex-compagnon est aujourd’hui en prison mais son complice présumé n’a pas encore été interpellé.
Peu après avoir quitté ce “monsieur très violent”, elle était tombée sur lui, l’attendant à côté de son domicile.
“Il m’a dit +aujourd’hui je vais te tuer+ (…) Beaucoup de femmes meurent comme ça, je le vois à la télé”, poursuit-elle, en jouant nerveusement avec ses bagues dorées.
Quand elle mime le geste qu’elle a fait ce jour-là pour protéger sa gorge de la lame, Annie fond en larmes.
En 2021, 122 femmes ont été tuées par un conjoint ou ex-conjoint, selon le ministère de l’Intérieur.
Chaque jour, une cinquantaine de femmes poussent la porte de la Maison Solidarité Femmes 91 pour y suivre une psychothérapie ou collecter le courrier qu’elles ont peur ailleurs de se faire voler.
Les victimes en danger immédiat, souvent orientées par la police ou la gendarmerie, peuvent passer une nuit dans l’un des trois lits superposés du “SAS d’urgence” avant d’être redirigées vers un établissement d’accueil plus pérenne.
“L’objectif, c’est d’éviter à tout prix un retour à domicile”, explique Sophie Cartron, la directrice adjointe de Léa, l’une des 78 associations françaises membres de la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF).
“Ici, il y a toujours une personne sur place, qui échange, écoute, aide avec les enfants, si les femmes se sentent en sécurité, il y a moins de chance qu’elles repartent dans l’engrenage”, dit-elle.
Au rez-de-chaussée de cette maison cossue, aux plafonds décorés de moulures, de confortables canapés gris sont installés face à une imposante cheminée. Dans la pièce voisine traînent un cheval à bascule, des feutres et quelques peluches.
Venue voir sa psychologue, Lola* vante un lieu “chaleureux et sécurisant”. Sa fille de 9 ans aussi y suit une thérapie.
“Elle a vu ce qu’il se passait à la maison. Elle était tellement renfermée. Aujourd’hui, elle retrouve son sourire de fée”, glisse la jeune femme de 32 ans, fines lunettes et piercing à la lèvre.
Il y a cinq ans, Lola avait fini par “trouver le courage” de quitter le père de ses deux enfants, qu’elle croise encore un week-end sur deux. “Mais ça va, il ne m’atteint plus”, précise-t-elle fièrement.
Les femmes accueillies à Montgeron n’en sont “pas toutes au même stade”, précise Patricia Rouff, la directrice fondatrice de l’association Léa et vice-présidente de la FNSF-3919.
“Notre accompagnement s’adapte à chaque situation. Il y a des femmes comme dissociées: on a l’impression qu’elles racontent l’histoire de quelqu’un d’autre. Certaines ont encore du mal à verbaliser, d’autres parlent sans difficulté (…) Le point commun, c’est la souffrance qui émane d’elles”, analyse-t-elle.
L’établissement, financé par la région Ile-de-France, la Caisse d’allocations familiales (CAF) et des donateurs privés, compte vingt salariées, dont deux psychologues, et héberge des permanences d’avocates, juristes, infirmières et addictologues.
D’autres Maisons Solidarité Femmes devraient être ouvertes dans les prochains mois par des associations membres de la FNSF, comme fin novembre dans le Val-de-Marne.
En entendant la nouvelle, Annie sourit. “Moi sans aide, je serais morte. L’important c’est d’être vivante.”
- Prénoms modifiés
par Laetitia DREVET
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