A la barre | Val-de-Marne | 14/01/2022
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Violences conjugales au tribunal de Créteil: quand la parole se libère

Violences conjugales au tribunal de Créteil: quand la parole se libère © Raphael Bernard

Après quatre enfants, 18 ans de mariage et autant de mauvais traitements, ce sont ces coups, assénés devant ses deux fils, qui ont résolu Karima à porter plainte au commissariat de Chevilly-Larue.

Sur les bancs de la salle d’audience de la 12ème chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance (TGI) de Créteil ce lundi 10 janvier, une femme regarde les jugements s’enchaîner. Seule, vêtue d’un grande doudoune noire, masque noir relevé jusque sous les yeux, Karima est assise au dernier à rang à droite, au plus proche de la sortie. Fondue dans le public, elle accapare soudain tous les regards quand l’avocate de la partie civile la pointe du doigt : “Ma cliente est là, parmi nous. Elle a tenu à assister au procès, mais m’a dit qu’elle n’aurait pas la force de témoigner, qu’elle s’écroulerait. Elle a trop peur. Elle m’a confié que son mari l’avait détruite de l’intérieur.” De toutes les affaires de violences conjugales jugées ce mardi à Créteil, c’est la seule qui se déroule en présence de la victime. El Hachmi, son mari, comparaît derrière le plexiglas réservé aux prévenus placés en détention provisoire. Il passe en comparution immédiate, pour des faits commis deux jours plus tôt. Karima l’accuse de l’avoir immobilisée en lui bloquant la tête contre le sol avec son genou, tout en la frappant à la tête pour pouvoir fouiller son téléphone.

“Je ramenais des courses quand elle m’a frappé. Je suis tombé au niveau du frigo” se défend El Hachmi Leur fils aîné, Walid, 16 ans, a pourtant expliqué avoir vu deux chutes : la première, dans la cuisine, où les deux époux chutent. Et une deuxième, au niveau de la porte d’entrée de l’appartement, où seule l’épouse tombe, tirée vers l’intérieur après avoir essayé de sortir. Ne s’est-il pas assis sur la tête de Karima, demande la juge ? “Peut-être que j’ai perdu connaissance à ce moment-là”, émet le conjoint. Conscient de ne pas convaincre, il tente de faire amende honorable. Conseillé par son avocat, il explique vouloir demander le divorce : “Si on en est arrivé là, c’est parce que j’ai essayé d’améliorer la situation et d’avoir une bonne famille. Je vais laisser les enfants grandir avec leur mère et je m’en vais.” C’est peut-être le dernier point sur lequel les futurs ex-époux tomberont d’accord : Karima a d’ores et déjà fait appel à l’aide juridictionnelle pour entamer la procédure.

Dans le box des accusés, El Hachmi regarde ses chaussures. Avec sa simple veste beige, sa petite taille, ses lunettes et son casier judiciaire vierge, cet homme de 49 ans colle parfaitement à la description de M. Tout-le-monde. En matière d’affaires conjugales, “il n’y a pas de profil type”, explique la juge, Alexia Driancourt, qui mène les audiences cette après-midi. En une journée, les profils se succèdent, d’Olivier R, déjà condamné à trois ans de prison pour des violences sur son ex-conjointe et poursuivi pour l’avoir appelée vingt-cinq fois depuis la prison de Fresnes, à Grégori, ex-communicant BCBG de Saint-Maur-des-Fossés ayant frappé sa compagne au cours d’une crise de panique arrosée de beaucoup d’alcool.

Tous affirment regretter, sans toujours comprendre leurs torts. Interrogés par les juges, ils présentent souvent une vision de l’affaire en total décalage avec celle de la victime, à l’instar de Hatem, poursuivi pour menaces de mort sur Houda avec laquelle il a eu un enfant. “Mon fils, c’est le plus important”, plaide-t-il auprès du tribunal. “Maman est gentille, mon père n’est pas gentil. Il n’arrête pas de me poser des questions sur maman quand il me voit”, témoigne pourtant son garçon. En pleurs derrière le plexiglas, Olivier tente lui de justifier ses appels à Mélissa, son ex-compagne. “Je l’ai appelée une dernière fois pour m’excuser. Il fallait que je lui dise”, se défend-il. “Mais la question n’est pas ce qu’il vous faut à vous !” rétorque la juge.

Les peines prononcées vont du sursis à la prison ferme, parfois assorties d’obligations de soins pour les prévenus souffrant d’addictions – toutes sont assorties d’une interdiction de contact. El Hachmi s’en sort avec huit mois de prison avec sursis et l’interdiction de paraître au domicile. Olivier, récidiviste, écope de six mois de prison ferme.

Fréquentes dans les tribunaux, ces affaires ne reflètent néanmoins que la partie émergée de l’iceberg des violences conjugales alors que moins d’une victime sur cinq porte plainte.

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