Ancienne filiale de Kantar (ex TNS Sofres), la société de sondages ESP, basée à Cachan, a été placée en liquidation judiciaire. Ses 135 salariés ont été licenciés. Deux ans plus tôt, une autre ex-filiale, ESL, basée à Lyon, avait subi le même sort. Les syndicats regrettent un délestage à bon compte de la part de leur ancienne maison mère.
Armés de longs questionnaires, les enquêteurs d’ESP (Entreprise de sondage de Paris), une filiale du groupe Kantar (ex-TNS Sofres), arpentaient toute la France pour le compte d’administrations et de ministères gourmands en études d’impact et de sondages. “Nous étions les petites mains qui apportaient le pétrole brut. Kantar produisait ses analyses à partir des données que nous collections“, résume Daniel Daubagna, responsable syndical FO, installé dans les Pyrénées-Atlantiques. Avec le développement des enquêtes sur internet, cette méthode, nettement plus coûteuse, a toutefois perdu en compétitivité, même si elle reste indispensable pour certaines études.
C’est dans ce contexte qu’en 2018, Kantar, l’un des leaders mondiaux des études de marché, se déleste de ses activités d’enquêtes terrain (face à face) et téléphoniques. Deux filiales, ESL (Entreprise de sondage de Lyon), et ESP (Entreprise de sondage de Paris) sont cédées à Hichem Guerfali, qui possède plusieurs sociétés distinctes d’enquêtes et de sondages, et commercialise ces services sous la bannière Leaderfied. Lors de la cession des entreprises, un contrat assurait toutefois un apport d’affaires de Kantar pour poursuivre l’activité, indiquent les syndicats.
2021 : faillite de l’ex-filiale Kantar de Lyon
Pour l’intersyndicale FO-CGT-Sud d’ESL, le compte n’y est pas car les tarifs négociés sont trop bas. “Plus l’activité d’ESL était importante, plus elle perdait d’argent”, dénonce l’intersyndicale lorsque l’entreprise, qui compte alors 150 enquêteurs, dont une centaine de salariés, est placée en liquidation judiciaire, en janvier 2021, laissant une dette de 2 millions d’euros. Les syndicats l’ont d’autant plus mauvaise que, “quelques jours avant la cessation de paiement, KantarTNS-Sofres a rompu le contrat d’exclusivité qui faisait survivre le plateau téléphone” et que cette prestation, “revalorisée de 67% par heure” a été reprise par une autre entreprise d’Hichem Guerfali, affirment-ils dans un communiqué.
Du côté d’ESP, à Cachan, la situation n’est guère plus brillante et l’entreprise peine à reprendre son activité après la crise sanitaire. “Nous étions totalement dépendants du volume de travail que Kantar souhaitait nous donner. Nous n’avions aucune possibilité de nous développer puisque notre unique activité était le recueil des réponses. Nous ne pouvions même pas répondre à des appels d’offres. Nous étions leurs otages“, estime Daniel Daubagna.
2023 : faillite à Cachan
En novembre 2022, ESP est déclarée en cessation de paiement. En avril, la liquidation judiciaire est prononcée, avec un passif déclaré de 3 millions d’euros. “Nous avons appris, pendant la phase redressement judiciaire, que Kantar sollicitait d’autres sociétés pour des enquêtes de terrain”, témoigne, amer, Daniel Daubagna.
Kantar défend son choix
Du côté de Kantar, qui revendique 25 000 collaborateurs, on se défend d’avoir supprimé ces activités à bon compte. “Le choix de la cession – comme du cessionnaire – n’a pas été fait à la légère, comme le démontrent d’ailleurs les présentations qui avaient été faites au CSE de Kantar en amont de la cession. Monsieur Guerfali, dirigeant de Leaderfield, est un spécialiste du secteur des enquêtes terrain depuis des années”, fait savoir Ketty de Falco, dirigeante de Kantar Insights, qui s’est occupée de ces cessions, après avoir revendu à Hichem Guerfali une autre société d’enquêtes terrain, SES (ex filiale de l’Institut CSA) lorsqu’elle était chez CSA. “Cette cession avait été effectuée à Leaderfield et la société cédée, SES, se porte d’ailleurs encore très bien aujourd’hui d’après ce que nous en savons”, motive la dirigeante pour qui “Leaderfield apparaissait donc, en sa qualité d’acteur majeur du secteur et avec un précédent tout à fait satisfaisant, comme le cessionnaire idoine.”
Ketty de Falco indique, par ailleurs, qu’il n’y avait pas d’exclusivité. “De manière tout à fait naturelle, compte tenu des liens historiques entre Kantar et ESP et de la confiance que Kantar portait au dirigeant et au personnel d’ESP, Kantar a fait principalement – mais pas exclusivement – appel à ESP pour réaliser ses enquêtes terrain, car elle considérait qu’il s’agissait du meilleur acteur sur le terrain. Pour précision par ailleurs, l’entité au sein de Kantar qui faisait appel aux services d’ESP – Kantar Public – a été cédée par notre groupe le 1er septembre 2022.” La dirigeante ajoute avoir, “par sollicitude”, “tenté de donner un coup de pouce à Leaderfield en écrivant aux principaux concurrents de Kantar (Ipsos, BVA, etc) pour leur faire part de la cession et les informer du fait qu’il était possible de confier des missions à cet acteur qui était désormais tout à fait autonome de Kantar.”
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