De Pantin à Bondy, Diogou Dramé s’est fait en quelques années un nom dans le secteur de la cosmétique écoresponsable. Avec son laboratoire, La Fabrique 621, elle incube aujourd’hui une quarantaine d’entrepreneurs dont huit sont prêts à lancer leur gamme de produits. Portrait.
Rien ne prédestinait Diougou Dramé à entreprendre dans la cosmétique naturelle. La jeune femme a travaillé pendant plus de dix ans en stratégie financière avant de se reconvertir. C’est la naissance de sa première fille, en 2012, qui va tout changer. “J’ai pris conscience de ma consommation de produits de soin et d’hygiène. Je ne voulais pas que mon enfant mette des produits dont je ne maitrise pas l’impact“, explique-t-elle.
À bientôt 39 ans, elle est désormais à la tête d’un laboratoire de recherche et développement installé au campus de l’innovation de l’Institut de recherche et développement à Bondy. La Fabrique 621 accompagne les entrepreneurs qui veulent créer leur gamme de produits dans un secteur en pleine effervescence : la cosmétique naturelle. Huit d’entre eux sont d’ailleurs sur le point de lancer leur propre gamme.
“On me fermait tout simplement les portes“
Avant d’en arriver là, Diougou Dramé a surtout vu les portes qui se ferment. Ce qui l’a rendue encore plus déterminée ! Au départ, en effet, elle souhaitait créer sa propre marque. D’autant qu’à cette époque, les produits naturels n’étaient pas encore aussi répandus. Elle se lance donc dans la préparation de ses propres baumes et lotions pour hydrater ou nourrir la peau et les cheveux de sa fille. Des recettes simples. De fil en aiguille, elle y prend goût et commence à concocter des produits pour ses proches, ses collègues.
Après quelques années d’expérimentation et un second congé maternité, elle découvre les exigences de la réglementation. Pour passer au stade de la commercialisation, le passage par des laboratoires professionnels est incontournable. “Là, j’ai fait chou-blanc. Soit on me proposait des devis astronomiques, soit on me fermait tout simplement les portes ou on essayait de me décourager“, relate-t-elle. “C’était très frustant parce que je ne comprenais pas pourquoi je ne pouvais pas me faire ma place alors que c’est un secteur foisonnant et que la France est le pays leader de la cosmétique.“
Qu’à cela ne tienne, Diougou Drame pivote. “Face à cette adversité, j’ai décidé de créer un écosystème pour les entrepreneurs qui souhaitent se lancer !” Nous sommes alors en 2017, la cosmétique naturelle n’est pas encore popularisée comme aujourd’hui. Et peu de gens croient en son projet, à l’exception de la région Ile-de-France qui lui apporte son soutien.
Un secteur très fermé
Début 2018, Diogou Dramé lance donc la Fabrique 621. Le nom fait référence à l’article 621-2 du code de la propriété intellectuelle qui légifère sur le secret de fabrication. “Un clin d’œil à notre engagement de garder confidentiel tout ce qui se passe entre les entrepreneurs et nous“, précise-t-elle.
L’objectif est alors “de permettre aux entrepreneurs qui ne sont pas du monde de la cosmétique et qui veulent faire des produits naturels engagés avec un impact social et environnemental, de trouver les bons partenaires“, décrit-elle
Pour elle, ces barrières ont d’ailleurs peu évolué. “C’est surtout le manque de maitrise des aspects techniques qui handicape les entrepreneurs. Or, c’est un secteur très fermé, où le réseau est déterminant. En Seine-Saint-Denis, par exemple, il n’y a pas beaucoup de structures qui accompagnent dans ce secteur. Il n’y a que des grands groupes comme L’Oréal à Aulnay-sous-Bois ou Channel à Pantin“, observe-t-elle.
Dans cet environnement, l’accompagnement à la création d’entreprise et au marketing ne suffisent donc pas. Pour aider les entrepreneurs à surmonter ces barrières, elle crée un laboratoire en partenariat avec l’IRD (Institut pour la recherche et le développement). La Fabrique 621 déménage de Pantin à Bondy.
La surface, 30 mètres carrés, est modeste, mais il y a tout l’équipement nécessaire. “On fait tous les tests de stabilité et on accompagne sur la partie validation au niveau réglementaire“. Deux ingénieurs-chimistes travaillent avec les entrepreneurs. “C’est tout le sens de ce labo qui leur permet de comprendre pourquoi il faut six à neuf mois pour développer une formule. Ils viennent souvent pour s’imprégner du milieu et ça leur permet de mieux maitriser leur projet“, motive Diogou Dramé. Les tests d’innocuité sont en revanche confiés à des partenaires toxicologues.
“La cosmétique naturelle est une tendance de fond“
Ces entrepreneurs ont de profils très différents. Quelques hommes, mais surtout des femmes, de toutes origines sociales et de la région. Les produits créés sont aussi variés, des soins pour les cheveux ou la peau, en passant par le maquillage. La cosmétique sans eau se développe également pour répondre aux préoccupations environnementales.
“Depuis deux trois ans, il y a une prise de conscience que la cosmétique naturelle est une tendance de fond. De plus en plus d’acteurs tentent de répondre à une demande de cosmétique moins transformée, et surtout, avec un impact environnemental maitrisé”, explique Diougou Dramé.
Une mutation qui n’a rien d’évident “parce que faire du naturel c’est plus contraignant que de faire du conventionnel“, observe la cheffe d’entreprise. “On est toujours habitués à avoir des produits beaux, sensoriels. Et pour les laboratoires, tout l’enjeu aujourd’hui est de trouver l’équilibre entre sensorialité et naturalité.”
Pour innover, La Fabrique 621 explore les qualités d’ingrédients naturels qui n’étaient pas valorisés comme tels. Comme par exemple la noix d’Amazonie, très riche en sélénium, mais qui n’était pas utilisée car non-comestible. La réhabilitation de l’arbre a permis d’inverser la tendance tout en créant une source de revenus pour les femmes à l’échelle locale, explique l’entrepreneure.
Dans la même idée, la Fabrique 621 a noué depuis deux ans un partenariat avec l’IRD pour créer des gammes de cosmétiques à partir d’ingrédients objectivés (actifs anti-âge, anti-cernes, hydratants) issus de plantes d’Amérique latine ou d’Afrique. Diogou Dramé s’est plus spécifiquement intéressée à la pharmacopée du Sénégal dont elle originaire. Au-delà de la chimie, il s’agit de travailler avec des coopératives sénégalaises.
En attendant que ces ingrédients entrent dans la composition des produits futurs des jeunes pousses qui viennent faire leurs essais, le laboratoire passe par des prestataires extérieurs pour fournir les actifs.
“Pur produit du 93“
Diougou Dramé, qui fête cette année les cinq ans de son entreprise, compte bien multiplier par deux son chiffre d’affaires et atteindre 350 000 euros. Au programme également : le déménagement dans un lieu plus grand, incluant des salles d’essais pour permettre aux entrepreneurs de sortir davantage de leur cuisine.
Mais la jeune cheffe d’entreprise, qui s’apprête à avoir son troisième enfant, ne compte pas quitter la Seine-Saint-Denis. “Je suis un pur produit du 93, j’y ai fait toutes mes études. Ça prend tout son sens de créer une structure à impact dans le département, d’autant qu’on a beaucoup de compétences et que souvent c’est par manque de moyens ou de structures que les gens abandonnent. On ouvre d’ailleurs nos portes aux étudiants en chimie qui veulent découvrir les opportunités de carrière dans la cosmétique“, commente-t-elle.
Pour promouvoir la cosmétique naturelle et fédérer ce secteur, La Fabrique 621 prépare la deuxième édition du festival Beauty for all qui se tiendra en mai prochain. Ce salon de la cosmétique naturelle avait réuni pour la première fois une quarantaine d’acteurs du secteurs dont des financeurs comme BNP Paribas, des structures d’accompagnement à la création d’entreprise, des fournisseurs d’ingrédients et de packaging. “Le financement est véritable enjeu. On ne lance pas une gamme cosmétique avec 500 euros“, prévient Diogou Dramé.
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