Gros enjeux pour les filières du réemploi, le BTP génère 70% des déchets en France. Pour exploiter cette manne, le groupe d’insertion par l’activité économique Ares a installé un atelier de menuiserie et de démantèlement du verre à l’Usine des transitions, inaugurée fin novembre à Noisy-le-Sec. Objectif : former des salariés tout en renforçant ses activités liées à l’économie circulaire.
Dans l’atelier d’Ares (Association pour la réinsertion économique et sociale) à Noisy-le-Sec, encore en cours d’installation, Djoulbé, 39 ans, assemble les parois d’un casier qui sera installé dans les bureaux du conseil départemental de Seine-Saint-Denis. Comme les cinq autres salariés en insertion, il travaillait jusque-là dans la logistique ou la manutention. Lui effectuait des missions de chargement et de déchargement de colis au centre de tri de La Poste de Goussainville.
“En Guinée-Conakry, je faisais déjà de la menuiserie. Quand Ares m’a proposé de rejoindre cet atelier, c’était une opportunité de continuer à m’améliorer dans ce que je savais faire“, relate-t-il. Arrivé en France en 2020, il envisage désormais une formation qualifiante dans ce domaine.
“Tout l’enjeu de cette nouvelle activité est de valoriser nos salariés en leur permettant de renforcer leurs compétences”, explique Eloïse Reybel, chargée de développement des métiers de l’économie circulaire à Ares. En Seine-Saint-Denis, où s’est créé cet atelier, l’association accompagne environ 95 salariés équivalent temps plein, soit 170 à 180 personnes par an, avec un taux de retour à l’emploi ou d’entrée en formation de 65%.
Réemploi dans le BTP
A l’origine, Ares s’est développé comme un prestataire de services dans des métiers à fort besoin en main-d’œuvre: logistique, BTP, puis numérique, vigne et espaces verts. Le consortium d’entreprises et d’associations se revendique comme l’inventeur du concept d’agence d’intérim d’insertion en 1991. A partir de 2004, il multiplie les structures d’insertion: à Paris en 2005, en Seine-Saint-Denis et en Val-de-Marne en 2006, en Seine-et-Marne en 2016, dans le Rhône en 2022. Parallèlement, l’économie circulaire monte en puissance dans son chiffre d’affaires (14% contre 59% pour la logistique en 2022).
Alors que le BTP génère 70% des déchets en France, Ares inscrit ainsi son activité dans le cadre de la transition écologique, en s’attelant au réemploi dans cette filière. “Nous avons choisi la menuiserie en partant du constat que dans nos activités de curage et de dépose, on évacuait des quantités de mètres de cubes de mobilier de bureau à la benne. Ares a donc choisi développer ce que nous appelons le projet R4 pour réinsertion, réemploi, réutilisation, recyclage. L’objectif est d’apporter des solutions circulaires et solidaires pour prolonger la durée de vie des matériaux“, poursuit Eloïse Reybel.
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Usine des transitions
Après une phase de test dans les locaux de l’Atelier 1920, au Fort d’Aubervilliers, l’antenne d’Ares en Seine-Saint-Denis s’est installée début 2023 à l’Usine des transitions, où elle loue un entrepôt de 480 mètres carrés, ainsi qu’un espace de 250 mètres carrés en extérieur. C’est dans cette friche industrielle à l’abandon depuis 30 ans, que l’intercommunalité Est Ensemble et les villes de Romainvillle et de Noisy-le-Sec où elle est située, ont lancé un nouveau pôle de l’économie circulaire, inauguré le 29 novembre.
Propriété de l’établissement public foncier d’Ile-de-France (Epfif) depuis 2021, les 15 000 mètres carrés de l’ancienne usine Saft n’étaient occupées qu’au tiers, par une vingtaine d’entreprises travaillant essentiellement dans le BTP. A l’issue d’un appel à projet lancé en 2022, 17 structures de l’économie sociale et solidaire (ESS) ont rejoint la friche industrielle pour une occupation temporaire de trois ans. Mais à loyers bien en dessous du marché de 84 euros par mètre carré pour de l’activité et 91 euros pour du bureau. Le critère de sélection: valoriser un entreprenariat de transition écologique, solidaire et privilégiant l’emploi local. Fonderie, aménagement d’espace, création de mobilier, mais aussi joaillerie, céramique, ébénisterie ou encore menuiserie: l’éventail d’activités de l’Usine des transitions est vaste.
Pour son atelier, Ares a investi environ 350 000 euros, dont une bonne partie pour l’acquisition des machines de découpe. Il sera complété par un autre atelier où sera cassé le verre des fenêtres récupérées sur les chantiers pour être retransformé par Saint-Gobain.
Production en moyenne série
“Notre cœur de métier consiste à récupérer le mobilier bureau. Dans nos chantiers de curage ou dépose, nous proposons à nos clients de réutiliser la matière première pour la transformer en nouveau produit. Ce qui fait notre force, c’est la modularité : on peut en gérer tout ou partie. C’est l’échelle de temps qui va déterminer les coûts. On crée ainsi une dynamique d’activités qui s’alimentent. Toute la difficulté est d’identifier des gisements de mobilier suffisamment importants pour permettre une production en moyenne série“, indique Jonathan Richard, directeur d’Ares services 93 qui a lancé le nouvel entrepôt.
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Ce mode de production standardisé permet, en effet, aux salariés d’acquérir des compétences de base en menuiserie. “Nos salariés sont accompagnés en CDDI [ndlr, contrat à durée déterminée d’insertion] pendant 24 mois maximum. Nous n’avons par le temps de les former à la menuiserie. L’idée est qu’ils diversifient leurs compétences.”
L’autre atout est de pouvoir proposer une gamme de mobilier. Pour l’instant, Ares mis en place une collaboration avec le distributeur Manutan pour qui a été conçu le premier projet pilote de table-bureau. “C’est un produit que l’on peut commander sur son site internet. Ce partenariat était essentiel pour lancer cette activité parce qu’il nous a permis de nous concentrer uniquement sur la partie production et fabrication.” En dehors de cette table-bureau, le reste est fabriqué sur commande. Ares a également noué des partenariats avec des aménageurs de bureaux comme Fairspace.
Besoin de place pour stocker
La production 100% circulaire n’est pas si simple. “Il faut retirer la ferraille, ajuster les pièces avant de passer à la découpe. Comme on travaille sur de l’aggloméré, il faut aussi apposer des chants“, détaille Jonathan Richard.
Le stockage de la matière première est également crucial, compte tenu des faibles capacités de son nouvel entrepôt. Pour les casiers qui seront livrés à la Seine-Saint-Denis, Ares a, par exemple, récupéré 1 200 plateaux de bureaux de la Société Générale, en plus de 600 autres de diverses provenances. L’idéal reste de conclure des contrats “en circuit fermé”, comme pour ces 21 bureaux qu’elle va concevoir pour le cirque Fratellini, à partir de planches récupérées sur son chantier de rénovation.
“On reste plus cher que du made in China, mais moins cher que du made in France”
Le principal frein auquel fait face Ares reste toutefois le prix. “Il y a de plus en plus d’intérêt pour le réemploi mais beaucoup pensent que ça coûte moins cher parce qu’on ne paye pas la matière. En réalité, cela coûte 1,5 fois cher de produire avec du réemploi qu’avec du neuf à partir du mélaminé. La collecte, le démantèlement des pièces, la gestion de l’épaisseur des plateaux et de la quantité… tout cela accroit le coût. En mobilier de bureau, la gamme de prix est très large, de 60 à 3 000 euros. Nous essayons de nous positionner au milieu : on reste plus cher que du made in China, mais moins cher que du made in France“, remarque Eloïse Reybel.
Changement des mentalités
“Il y a aussi un changement des mentalités. La RSE [ndlr, responsabilité sociétale des entreprises] compte de plus en plus. Pour nous, ça se manifeste dans la conception des espaces détentes des entreprises par exemple. Notre objectif est d’atteindre un mode de rentabilité classique. Mais, avec notre mobilier, on vend aussi un commerce vertueux du point de vue environnemental, et social. On essaye ici de faire émerger des parcours plus en lien avec les dynamiques de recyclage, d’éco-circularité, ce que nous qualifions d’ores et déjà comme les métiers en tension de demain“,ajoute Jonathan Richard.
Pour développer son activité de réemploi, Ares mise par ailleurs sur l’évolution de la législation. Depuis 2021, la loi Agec impose ainsi pour toute commande publique un minimum de 20% de fournitures issues du réemploi ou comportant des matières recyclées. “Avec la responsabilité étendue au producteur du bâtiment, mise en place depuis cette année, il y a aussi tout un modèle économique à développer puisque l’enfouissement de déchets n’est plus possible. Il va donc falloir être en capacité de traiter les fractions issues de la construction“, pointe le directeur d’Ares services 93.
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