Faire entrer le public dans l’univers des créateurs en montrant leur processus de création, tel est l’enjeu de la nouvelle biennale des métiers d’art de l’intercommunalité Est Ensemble. La 7ème édition se tient du 1er au 4 juin au Centre national de danse à Pantin. De quoi donner de la visibilité à des savoir-faire méconnus et des artisans d’art qui tendent à fuir un Grand Paris devenu trop cher.
“On a appelé l’exposition “In situ” parce qu’on a décidé de changer son format. L’idée c’est d’être ni dans une galerie, ni dans un musée mais de rentrer dans l’univers des créateurs, justement pour créer plus de liens avec un public plus large“, résume Véronique Maire, co-commissaire de l’exposition avec Helena Ichbiah.
“Montrer le processus de création“
Elles-mêmes designer et graphiste, elles ont proposé à une trentaine de créateurs “de présenter des dessins, des prototypes et pas forcément une pièce finie” avec l’idée de “rentrer dans leur atelier“, “de montrer le processus de création“. Leur travail sera exposé dans le cadre de “six tableaux“, mis en scène dans six studios du Centre national de danse, précise Helena Ichbiah. “On pourra constater la porosité des disciplines mais aussi la vivacité des échanges entre artisans, designers, artistes.“
Chaque sudio porte sur une thématique : couleur, ornement, matière, épure, radical-futur et manifeste. Dans ce dernier, les deux commissaires ont voulu “investir les questionnements de la société”, en particulier liés à l’environnement. Anaïs Beaulieu y présentera son travail sur la broderie. “Je réutilise la matière. J’aime la matière industrielle, les objets de consommation fabriqués à bas coût comme les sacs plastiques, les filets de pomme de terre, les cartons d’emballage. Par le geste de les broder, j’interroge aussi notre société“, explique-t-elle.
Pratiques hybrides entre art et artisanat
Pour Anaïs Beaulieu ce sera la troisième participation à la Biennale Emergences. “Il y a la question de la visibilité bien sûr, mais ce qui m’intéresse avant tout est d’être entrée dans le paysage de ces croisements entre art et artisanat. La démarche de la Biennale est de valoriser les pratiques hybrides. Je suis aussi très attaché à la transmission. C’est ma grand-mère qui m’a appris à broder et c’est très important pour moi de partager ce savoir-faire. Je fais beaucoup d’ateliers avec tout type de public, des enfants, des personnes handicapées…”
Aller vers les jeunes publics
“On a souhaité être moins muséal et aller davantage vers les habitants, les jeunes et les scolaires pour leur permettre de découvrir ces savoir-faire et leur donner envie, peut-être, de s’intéresser à ces formations“, défend Julie Lefebvre, vice-présidente d’Est Ensemble, en charge du développement économique, de l’emploi et de l’insertion.
Céramistes, forgerons, joailliers, artisans du textile, verriers et artistes… le panel de métiers d’art représentés est vaste. Pour les faire découvrir, la biennale présentera aussi les travaux d’élèves comme ceux réalisés par les classes métiers d’art soutenues par l’intercommunalité. “Chaque année, on propose deux parcours sur deux semestres à 18 élèves du cursus. C’est une option qu’ils choisissent en fin de 4ᵉ dans le cadre de leur orientation. Chaque jeudi, on va dans l’atelier des artisans durant trois heures“, explique Annabelle Vesin, professeur responsable de la classe des métiers d’art du collège Jean Lolive. Pour la deuxième année, les partenaires de la classe sont l’Atelier M.U.R.R. où les élèves travaillent sur la typographie à l’ancienne et gravure sur lino, et la bijoutière Aurélie Lejeune.
“On choisit les élèves en fonction de leur motivation“, détaille sa consœur Audrey Cellamen. “Ça leur permet de découvrir l’existence de ces métiers et c’est aussi très bénéfique pour les élèves qui sont les plus turbulents. À travers le geste, ils se reconcentrent et peuvent gagner confiance eux.” Dans le cadre de la Biennale, les élèves présenteront aussi leurs travaux : un almanach et un collier réalisé avec de la porcelaine froide et du laiton.
“Je suis frappé par le nombre de rideaux qui ont fermé“
L’implantation d’ateliers d’artisans d’art s’est poursuivie durant les vingt dernières années. “Ce territoire a une forte histoire industrielle et artisanale. À toutes les étapes de la création, on retrouve d’anciennes fabriques de tanneurs, de teinturiers… “, souligne Alexie Lorca, vice-présidente d’Est Ensemble chargée de la culture et de l’éducation populaire. “On a fait le pari de donner de la visibilité à ces savoir-faire d’excellence en invitant les artisans à s’installer dans un quartier très populaire, celui des Quatre chemins. Cela a contribué à transformer l’image du quartier et de la ville. C’est ce pari un peu fou à l’époque qui a donné naissance à cette Biennale“, rappelle Salim Didane, adjoint au maire PS de Pantin délégué notamment au développement territorial et à l’emploi. “Mais je suis frappé par le nombre de rideaux qui ont fermé. Depuis la crise sanitaire, beaucoup d’artisans sont partis et ont quitté la région parisienne. Ceux qui restent nous font part de leur difficulté à dégager un salaire, même s’il y a des pépites qui réussissent“, déplore l’élu.
Un coût du foncier rédhibitoire
“La question des locaux en pied d’immeuble est une réelle difficulté. Les loyers ont été multipliés par quatre, cinq ou plus parfois. De 50 à 70 euros à l’époque, ils sont passés à 200-350, constate Salim Didane. Alors nous travaillons à faire un état des lieux des locaux, à discuter avec les bailleurs publics et privés pour trouver des solutions.“ Parmi les options envisagées : la création d’un Office foncier solidaire sur le modèle de celui d’Est Ensemble, pour contenir la pression exercée sur le marché locatif. Pour la municipalité, l’enjeu est non seulement de maintenir une activité économique, mais, au-delà, l’écosystème qui participe à l’apaisement et l’attractivité.
*L’établissement public territorial Est Ensemble regroupe neuf villes: Bagnolet, Bobigny, Bondy, Les Lilas, Le Pré-Saint-Gervais, Montreuil, Noisy-le-Sec, Pantin et Romainville.
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