Yann de Mont-Marin, 30 ans, fait partie des 60 000 Parisiens en situation de handicap. Pendant une journée, il nous montre son quotidien dans une ville qui a encore fort à faire pour s’adapter au public à mobilité réduite. Reportage.
Chaque matin, c’est le même rituel. Yann de Mont-Marin descend de son appartement du XIIe arrondissement, accompagné d’Audrey, sa colocataire. Dans la cour de son immeuble, les deux amis sortent le fauteuil roulant de Yann, qu’il ne quittera pas jusqu’à ce soir. Ce jeune thésard à la longue chevelure bouclée et aux fines lunettes est atteint de la maladie de Charcot-Marie-Tooth (CMT), une maladie héréditaire du nerf périphérique (neuropathie) qui entraine une diminution de la force musculaire et de la sensibilité. S’il est capable de marcher à l’aide d’une canne, se déplacer en fauteuil reste l’option la moins éprouvante pour lui. “Là, on est tout de suite rassuré, parce qu’il n’y a plus le risque de tomber !”, explique-t-il en rigolant.
Troisième roue électrique
Première étape de la journée : se rendre à l’Institut National de Recherche en Sciences et Technologies du Numérique (Inria), où il finit sa thèse. Yann développe des algorithmes d’intelligence artificielle pour la génération de mouvement. Un domaine qui peut notamment servir aux personnes en situation de handicap moteur. “Le choix du sujet ne s’est pas fait par hasard !”, concède-t-il.
Pour s’y rendre, pas question de prendre le métro. Le réseau a beau être utilisé au quotidien par plus de 4 millions de personnes, seuls 3% des stations – soit l’intégralité de la ligne 14 – sont accessibles aux Personnes à Mobilité Réduite (PMR). Pour l’éviter, Yann a choisi un logement situé à quelques centaines de mètres de son lieu de travail. Deuxième astuce : depuis quelques mois, il a acquis une roue à moteur électrique qu’il fixe sur son fauteuil, lui permettant de se déplacer comme n’importe quel cycliste. L’engin vaut plusieurs milliers d’euros, mais ne lui est à revenu qu’à quelques centaines, grâce aux subventions et aides de son employeur. Des fonds qui restent encore trop inutilisés, selon lui : “Beaucoup de gens n’osent pas demander les aides, par timidité ou par honte…”, déplore Yann. Sur le site de la mairie de Paris, l’étudiant a également formulé une demande de subvention de son engin, au titre des aides accordées pour les vélos électriques. Sa troisième roue n’étant pas reconnue comme “vélo adapté” par les services de la ville, la mairie n’a pas accédé à sa demande. Avec une amie avocate, il est en train de rédiger un recours gracieux.
Imposer son aide
Sur la route, un petit détour au supermarché s’impose. Avec les courses, vient la deuxième difficulté de la journée : se saisir des produits placés en hauteur. “La plupart du temps, j’attends que quelqu’un passe et je lui demande de m’aider“, témoigne simplement Yann, pas frustré pour un sou. “99,9% des gens m’aident. Je suis déja tombé sur des personnes désagréables, mais ce sont des gens aigris par la vie. En revanche, il y a aussi des gens qui imposent leur aide. Par exemple, si je suis en train de faire une marche arrière, certains vont tirer mon fauteuil, sans me demander. C’est super désagréable.”
Après une matinée de travail, place au déjeuner. Là, pas de cantine : “En tant qu’étudiants dans le public, nous avons accès à la cantine du ministère des Finances. Mais le bâtiment est à plus de 2 km, et pour accéder à la cantine, il faut que je contourne tout le bâtiment.” Direction la boulangerie donc, avec une poignée de collègues. “C’est une des seules du quartier qui n’a pas de marche à l’entrée, donc je peux y rentrer plutôt facilement” explique le jeune homme, avant de commander une pizza à la truffe.
L’accessibilité, plus qu’un logo
Retour à la salle de pause de l’Inria. Dans la grande pièce aux murs blancs, plusieurs tables de plusieurs tailles, pour permettre aux étudiants de déjeuner. Heureusement, ce jour-là, des tables basses sont disponibles. “Ça m’est déjà arrivé de devoir manger avec les mains au-dessus de la tête, quand il ne restait plus de tables basses”, se rappelle Yann, qui préfère en rire en mimant la position.
Ce vendredi soir, il a rendez-vous dans un bar, pour fêter l’anniversaire d’un de ses amis. L’invitation ne se refuse pas… à moins que le lieu ne soit pas adapté. Passage obligatoire : vérifier l’accessibilité du bistrot sur internet, signalisée par un simple un logo de personne en fauteuil roulant sur Google. Une signalisation trop “binaire” à son goût. “Il y aurait un gain à avoir un peu plus de détails, plutôt qu’un logo, ou pas de logo.” D’autant plus que cette signalisation ne garantit pas toujours l’accessibilité en elle-même. “Souvent, des lieux sont marqués comme accessibles mais ont une marche à l’entrée. Les propriétaires n’ont tout simplement pas pensé que c’était un problème. Une fois, je suis allé dans un restaurant qui avait transformé ses toilettes accessibles en cagibi, parce que personne ne les utilisait. Le problème de ce genre de situations, c’est que cela crée un cercle vicieux : les propriétaires n’adaptent pas leurs locaux parce qu’ils n’ont pas assez de public PMR, et donc le public PMR ne sort pas parce qu’il n’y a pas assez de lieux accessibles, etc…”, démontre le matheux.
Face à ces difficultés, pas de sentiment d’exclusion, mais davantage une forme de fatigue. “Avec le temps, on se rend compte qu’on a une charge mentale supplémentaire par rapport aux autres. La plupart du temps,si le propriétaire du bar avec une marche a signalé son café comme étant accessible, ce n’est pas par mauvaise foi. C’est juste qu’il n’y a pas pensé…”, constate-t-il. Par chance, le bar de ce soir est muni d’une rampe d’accès, qui permet à Yann de s’y rendre sans aucune difficulté. L’espace d’une soirée, le jeune homme va pouvoir trinquer avec ses amis, l’esprit léger… Comme tout le monde.
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