Manifestation | Paris | 19/06/2023
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À Paris, le Collectif Les Morts de la Rue a marché pour ses disparus

À Paris, le Collectif Les Morts de la Rue a marché pour ses disparus

Ce mardi 13 juin, le Collectif Les Morts de la Rue a manifesté silencieusement à la mémoire des plus de 611 personnes sans-abri décédées en 2022. Une façon de rendre hommage à ceux qui partent, et d’interpeller ceux qui restent. Reportage.

Le long de l’allée de platanes de l’avenue Philippe-Auguste (XIe arrondissement), une petite centaine de manifestants défilent silencieusement en direction du cimetière du Père Lachaise (XXᵉ arrondissement). Devant le cortège, un gong bat lentement, “pour marquer le côté solennel du moment et rappeler au respect du silence”, explique Chrystel Estela, présidente du Collectif Les Morts de la Rue, tout en encadrant ses troupes.

Aux premiers rangs de la marche, treize pancartes flottent au-dessus des têtes des manifestants. Sur celles-ci, des listes de noms, ceux des personnes sans-abri décédées. Les douze premiers correspondent à un mois de l’année 2022. Le treizième porte le nom des 49 personnes sans domicile fixe (SDF) déjà disparues dans les six premiers mois de 2023. Au total, 611 pertes sont à déplorer pour l’année 2022, soit plus d’une cinquantaine par mois. Un chiffre qui pourrait être en réalité cinq à six fois supérieur, si l’on en croit cette étude scientifique, réalisée en collaboration avec le collectif.

La guerre continue

“Cette marche, c’est à la fois un hommage et une interpellation. On commémore les gens qu’on a perdus, tout en essayant d’attirer l’attention sur la cause des sans-abris. On parle d’une population qui meurt en moyenne à 49 ans, soit 30 ans de moins que la moyenne nationale“, chuchote Chrystel Estela, soucieuse de respecter le silence général. En France, l’espérance de vie masculine est de 79 ans, contre 85 ans pour les femmes. Or, les SDF sont en grande majorité des hommes.

En dépit des nombreuses promesses de “0 SDF” promises et abandonnées au fil des ans par les candidats à la présidentielle, le collectif organise les manifestations chaque année depuis 20 ans. Ils ne souhaitent pas choisir de date de fixe. “Ce ne sont jamais les mêmes morts, ce ne sont jamais les mêmes noms, donc on ne choisit jamais la même date. On ne commémore pas les morts d’une guerre qui se serait arrêtée. Notre guerre à nous continue”, motive la présidente du collectif.

Les personnes sans-abris meurent toute l’année !

Alors que le thermomètre affiche 29 degrés, le choix d’organiser une manifestation le 13 juin permet aussi de battre en brèche certains clichés. À commencer par celui selon lequel la mortalité des SDF serait concentrée sur la période hivernale : “Les personnes sans-abris meurent toute l’année ! Ce qui tue, ce n’est pas que le froid, ce sont les mauvaises conditions de vie qu’offre la rue ! Par exemple, si vous êtes sans-abri et que vous souffrez d’un cancer, où-est ce que vous allez après votre chimio ?”, martèle Chrystel Estela.

Dépôt de roses en hommage aux morts de la rue sur les murs du Père Lachaise.

L’occasion également d’alerter sur la situation des sans-abris face à la canicule, alors que les fortes chaleurs s’annoncent de plus en plus fréquentes à Paris. “Être dans la rue sous la chaleur, ça n’est pas forcément moins difficile qu’être dehors sous la pluie. Les personnes sans-abris ne peuvent pas changer leur alimentation et leur garde-robe aussi facilement que vous et moi” constate amèrement Joséphine*, à la tête d’une branche nord-parisienne d’une association nationale d’aide aux sans-abris. Du haut de sa trentaine d’années d’expérience, elle insiste sur l’usure physique que cause une vie à la rue. “On rencontre des personnes sans-abris qui vieillissent à vue d’œil en l’espace de quelques mois…”

De la rue à la maison-relais

Cette usure, Samuel Perier peut en témoigner. Le temps qu’il a passé sans avoir de toit, il ne l’a “jamais compté : c’était par périodes. Parfois, je me logeais dans des squats, parfois chez des amis. Parfois aussi, j’étais à la rue. […] J’ai plein de copains qui y sont morts“, raconte-t-il sans fard, entre deux gorgées de citronnade. Tout ce qu’il sait, c’est que “ces années à galérer à droite, à gauche” s’étalent sur plus de 20 ans. Aujourd’hui, ce petit homme à la coupe mulet compte 50 ans, “tout pile”. À force, il a hérité de “plusieurs douleurs, que les médecins ne savent pas expliquer”. L’ex-SDF affirme être éligible à l’Allocation Adulte Handicapé (AAH), mais ne pas la recevoir en raison d’une erreur administrative.

Grâce à son psychiatre, “qui a su déclencher la demande au bon moment”, il obtient un placement dans une maison-relais de la rue Saint-Maur (XIe arrondissement) en 2014. Entre temps, il aura développé un sens de la débrouille, qu’il illustre par la liste interminable des lieux parisiens offrant des repas gratuits, ou presque. “Il y a l’église de la Madeleine, la paroisse des Blancs Manteaux tous les dimanches… dans le milieu, on se refile les bonnes adresses”, déroule-t-il, inarrêtable.

la mort et les sans-abris sont deux sujets tabous”

Content de pouvoir manifester pour la cause, Samuel Perier déplore en revanche l’absence des “gens de la rue”. Dans le cortège, en grande partie peuplé par le monde associatif, d’autres dénoncent au contraire l’inaction de la société civile. “C’est fou qu’on soit aussi peu. Peut-être que c’est parce que la mort et les sans-abris sont deux sujets tabous dans notre société. En même temps, quand on croise des sans-abris par dizaines rien qu’en allant au travail, c’est compréhensible de vouloir se mettre des œillères…”, s’attriste Laure, reconvertie depuis peu au sein de la Fondation Abbé Pierre.

Arrivé au Père Lachaise, le cortège dépose les panneaux et quelques roses sur les murs en pierre blanche du cimetière. Après plusieurs chants, une voix s’élève dans la foule : un “On lâche rien !”, en guise d’adieu, et de rendez-vous pour l’année prochaine.

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