Initiative | | 07/03/2023
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À Saint-Denis, la couture comme tremplin pour l’insertion avec Fer et Refaire

À Saint-Denis, la couture comme tremplin pour l’insertion avec Fer et Refaire © CH

Barrière de la langue, formation, logement… Les freins à l’insertion socio-professionnelle ne manquent pas. L’association Femmes Actives s’est donnée pour objectif de les lever. Installée depuis près de trente ans au cœur du quartier des Francs-Moisins, à Saint-Denis, son atelier de couture connait un deuxième souffle grâce au développement de la création en Seine-Saint-Denis et des démarches de recyclage et de solidarité.

Il n’y a qu’a lever le nez pour constater que le B4 se vide. Les accès à ce bâtiment de 291 logements sont progressivement condamnés. “Il reste une dizaine de familles et nous“, observe Charlotte Bougaran, qui dirige, avec Véronique Gobillot,l’association Femmes Actives (acronyme pour Association pour la Création, le Travail, l’Initiative, la Valorisation des Échanges et des Savoir-faire) depuis une vingtaine d’années.

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Le nouvel atelier de confection de Fer et Refaire, au B4, dans le quartier des Francs-Moisins à Saint-Denis.

Rester aux Francs-Moisins

L’association, qui encadre l’atelier d’insertion Fer et Refaire, a obtenu du bailleur, Logirep, d’être relocalisée dans la cité des Francs-Moisins, moyennant un loyer raisonnable. “Nous avons voulu rester dans le quartier parce que c’est ici que l’association est née en 1994“, explique Véronique Gobillot. “A l’origine, ce sont deux femmes originaires d’Algérie qui ont eu l’idée de créer un espace d’échanges et de solidarité autour du tissage. Tout en valorisant ce savoir-faire traditionnel, elles voulaient faire de la resocialisation. Quand nous sommes arrivées, nous avons voulu garder le sens de leur projet. C’est en 2006 que nous avons obtenu l’agrément pour le chantier d’insertion Fer et refaire“, relate-t-elle.

Pour nous, c’était aussi important de rester aux Francs-Moisins parce qu’on maintient une activité dans le quartier. Ça fait de la vie, ça fait venir des gens d’ailleurs. Et puis, on est bien identifié. On se voyait mal repartir à zéro ailleurs“, complète Charlotte Bougaran.

Pour le tandem de directrices, le déménagement, qui ne leur a été annoncé que cet hiver, n’est pas une mince affaire. “On voudrait pouvoir organiser de journées portes ouvertes cet été, au mieux“, espère Véronique Gobillot, alors qu’une partie des activités de l’association est mise en sommeil. A terme, elle se partagera des locaux dans deux bâtiments. Au B13, de lourds travaux ont été entrepris pour aménager l’espace où seront installées la mercerie, le repassage et les ateliers avec les habitants.

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L’atelier achève une importante commande d’Etat de bavoirs.

On apprend beaucoup de choses

Dans le local d’une soixantaine de mètres carrés du B5, les machines à coudre ont en revanche déjà repris leur ronronnement. “La plupart du temps c’est le client qui nous donne le patronage et les instructions techniques“, explique Souhila, qui va et vient entre la table de découpage et les postes de couture. “Là, on réalise quarante pièces pour un créateur, Vieux Beau. Il y a une commande de pochettes cadeau pour une libraire. On finit aussi une commande d’Etat de 2 000 bavoirs pour le sac des 1 000 premiers jours pour le réseau Résilience. Et avant, on a fabriqué des 1 200 masques“, énumère-t-elle.

A 46 ans, Souhila est devenue la nouvelle encadrante technique de l’atelier après y avoir elle-même été salariée en insertion. Un cas exceptionnel. “On m’a proposé de prendre le poste de l’encadrante technique qui devait partir pour des raisons santé. Alors j’ai fait une formation que j’ai obtenue. Au début, ce n’était pas facile pour certains salariés que j’avais côtoyés, d’accepter le changement, mais tout est rentré dans l’ordre.

En ce début d’année, Fer et refaire emploie 16 personnes en contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI). Mais, précise Charlotte Bougaran, “en moyenne, ce sont 30 personnes qui passent par nos ateliers chaque année. Les durées des contrats varient en fonction des profils, des obstacles à leur insertion sociale et professionnelle et des opportunités qu’elles rencontrent.”

Concentrée sur une surjeteuse, Zaïna termine les finitions de bavoirs. “Ici, on s’entraide tous. On apprend beaucoup de choses. On n’a pas envie de partir, même s’il faudra bien“, commente-t-elle. Qu’elles aient été orientées par Pole emploi, des missions locales ou via d’autres associations, toutes les salariées de Fer et Refaire ne sont pas des couturières dans l’âme. “Ce que je voudrais, c’est de fabriquer des bijoux comme quand j’étais en Algérie. Là, je cherche un travail. J’ai fait un stage de caissière dans un supermarché et ça c’est bien passé“, confie Zaïna.

A 31 ans, Sabrina veut, quant à elle, devenir assistante maternelle. “J’ai fait un stage découverte de la petite enfance, une formation HACCP (hygiène alimentaire). J’ai aussi déménagé dans un appartement plus grand à Vitry-sur-Seine. Avec le T2 où j’étais à Pierrefitte je ne pouvais pas avoir l’agrément. Alors ça avance“, observe-t-elle.

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Marc, 62 ans, couturier de profession et salarié de Fer et Refaire.

Lever les obstacles à l’insertion

Maitrise de la langue, garde d’enfant, logement… les “freins” à l’insertion professionnelle peuvent être multiples. Fer et Refaire revendique 65 à 70% de sorties positives. “Notre but est de lever tous les obstacles à l’insertion professionnelle“, rappelle Véronique Gobillot. “Quand on parle de “sorties positives”, ça correspond à des contrats d’emploi de plus de 6 mois, mais aussi à l’obtention d’une formation qualifiante ou d’un logement. Obtenir un toit est en fait la bataille la plus difficile.”

Dans cet univers essentiellement féminin, Marc reste le seul homme de l’atelier depuis le départ récent de Youssef qui vient d’être embauché dans l’hôtellerie. Et il est aussi une exception: à 62 ans, il est une pointure dans le métier. “Je fais ça depuis toujours. J’ai travaillé pour Cacharel vous savez. Maintenant, j’entame ma troisième année dans cet atelier. Je sais tout faire, alors je pense que je suis quelqu’un d’important ici“, confie-t-il en souriant, alors qu’il travaille sur une trousse en cuir.

D’autres pratiquaient la couture avant leur arrivée en France, sans en faire un métier à proprement parler. C’est le cas de Livia, 32 ans, qui est salariée de Fer et refaire depuis deux ans et qui veut en faire son métier. Fzaria a rejoint son mari avec ses cinq enfants en 2019. “Je connaissais déjà les machines à coudre quand je vivais au Soudan. Et ma fille fait comme moi chez Mode Estime [ndlr, un atelier d’insertion basé à l’Ile Saint-Denis]. J’ai aussi rencontré beaucoup de gens“, souligne-t-elle. Pour elle, Fer et refaire a été “une chance“, dit-elle, parce que l’adaptation en France n’a pas été facile. “La langue, c’est le plus compliqué parce que le français n’a rien à voir avec l’arabe. Avec l’association, j’ai pu prendre des cours un jour par semaine pendant six mois. Ça va mieux maintenant.” Reste le problème du logement: “Je suis dans le privé, ça coûte cher… Pour l’instant, ma demande de HLM n’a rien donné.

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Sabrina, 31 ans, termine une pochette à livre. Elle vient chaque matin de Vitry-sur-Seine (Val de Marne).

Rien ne se perd

Chez Fer et Refaire rien ne se perd. L’atelier se fournit en tissus grâce aux dons de marques ou via les commandes de créateurs. Tout est réexploité comme les restes d’élastiques n’ayant pas pu servir à faire des masques et qui sont transformés en chouchous.

Le but n’est pas de multiplier nos ventes comme une entreprise, même s’il est certain que l’on est confronté à des enjeux économiques afin de remplir notre vocation sociale“, pointe Véronique Gobillot. Comme tous les ateliers d’insertion, l’association doit réaliser un chiffre d’affaires plafonné à 30% de son budget global. Il oscille aujourd’hui autour de 75 000 euros et compte six salariés permanents.

Il y a eu beaucoup de hauts et de bas. Après les subprimes en 2010, de moins en moins de particuliers pouvaient continuer à se payer des services de repassage. Dans ce domaine, nos clients sont maintenant surtout des entreprises. Mais c’est avec la confection que nous réalisons aujourd’hui les 4/5ème de notre chiffre d’affaires. Depuis quelques années, il y a véritable redécouverte de ces métiers en France, et qui est de plus en plus portée aussi par l’upcycling et des démarches solidaires“, précise Véronique Gobillot.

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Charlotte Bougaran et Véronique Gobillot, co-directrices de Femmes Actives, l’association qui porte le chantier d’insertion Fer et Refaire.
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