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Solidarité | | 01/03/2023
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Au Carmel de Nogent-sur-Marne, quelques mois de répit pour les réfugiés ukrainiens

Au Carmel de Nogent-sur-Marne, quelques mois de répit pour les réfugiés ukrainiens

Depuis le mois de septembre, une soixantaine de réfugiés d’Ukraine sont accueillis au Carmel de Nogent-sur-Marne, sous l’égide de l’association Aurore. Certains rêvent de repartir retrouver leur famille, d’autres sont prêts à faire leur vie en France. Reportage.

Vendredi 24 février 2023. Voilà un an exactement que la Russie a déclenché son offensive militaire en Ukraine. Dans la grande salle à manger du monastère des carmélites de Nogent, Leonid Lipovkin, réfugié de Kharkiv, se lance dans une interprétation a capella de Hey Sokoly, une ballade traditionnelle contant le destin d’une jeune Ukrainienne faisant ses adieux à son fiancé. De quoi réchauffer le moral des résidents qui reprennent le refrain et tapent des mains. “Certains Russes veulent anéantir l’âme et la langue ukrainienne, nous avons donc décidé de résister en faisant chanter et jouer nos artistes en ukrainien”, motive Marie-Véronique Contat, chanteuse lyrique impliquée sur le volet culturel de Ukraine Invicta. Cette association nogentaise a été créée pour aider les populations ukrainiennes, en envoyant des vêtements et matériel su place et en accompagnant les réfugiés localement.

Depuis septembre, une soixantaine de réfugiés ukrainiens sont hébergés dans ce Carmel, vaste domaine de 13 000 M2 situé au cœur de la ville, à quelques pas de la rue principale, et qui ne compte plus que quelques religieuses, très âgées. La gestion de cette occupation est assurée par l’association Aurore.

Des familles coupées en deux

Âgé de 65 ans, Viktor raconte. “Nous habitions près de Hostomel et de Boutcha. Nous sommes venus nous réfugier en France pour que ma femme continue ses soins. Elle est maintenant décédée. Dès que la phase active de cette guerre sera terminée, je rejoindrai ma fille qui est restée là-bas“, explique-t-il.

Valery, 63 ans, aussi venu se soigner en France, a perdu trace de sa famille. “Dix jours avant le déclenchement du conflit, ma femme et mes enfants sont allés visiter de la famille en Crimée. Et puis la guerre a démarré, il leur a été impossible de rentrer. Ma femme et mon fils ont été déplacés en Russie où on leur a pris les papiers et les téléphone, témoigne-t-il Pour l’instant, on m’a conseillé de ne pas entreprendre de démarche auprès des ambassades parce que ça pourrait mal se terminer.”

Valentyna, qui vient de Kyiv, compte repartir dès que possible. “Ma fille m’a dit que la situation était encore très incertaine et me déconseille de rentrer“.

Chez les plus jeunes, la décision de rentrer au pays après la guerre est moins tranchée. “J’adore ma ville et j’aimais beaucoup ma vie avant la guerre. Mais si j’ai des opportunités de vie meilleure ici, je resterais ici”, confie Romana, originaire de Lviv, qui été admise aux Beaux-Arts. Une partie de sa famille vit dans le sud de la France mais son père et sa grand-mère sont encore en Ukraine. “Je suis tellement attachée à l’Ukraine que d’une manière ou d’une autre, je ferai quelque chose pour aider à la reconstruction, et visiterai mes proches”, ajoute-t-elle.

Parmi les 57 réfugiés abrités au Carmel, une quinzaine étudiaient en Ukraine mais étaient originaires d’autres pays, à l’instar d’Emmanuel, qui a quitté le Congo-Kinshasa après avoir obtenu un visa d’étude pour Khmelnytsky où il devait étudier l’art et le design. Il était à l’académie pour apprendre l’ukrainien quand la guerre a éclaté. Après un long périple qui s’est achevé à la gare de l’Est à Paris, il a été pris en charge par des associations et a obtenu un titre de séjour provisoire ainsi qu’une place à l’université de Bordeaux. “Mais il n’y avait pas de solution d’hébergement sur place autre qu’un appartement à partager à 15, alors j’ai dû refuser. Comme il fallait absolument que je trouve un établissement d’enseignement, je me suis inscrit au CNAM (conservatoire national des arts et métiers)”.

Nora, elle, avait quitté l’Algérie pour étudier la gestion. En France, elle a pu s’inscrire à Paris 8,“mais il n’y avait plus de place ailleurs qu’en première année de licence d’Arabe”, explique-t-elle. Dès que je le pourrai, je réessaierai de m’orienter en gestion.” Enceinte, elle vit ici avec son mari, Mansri, tunisien. Lui s’est aussi inscrit au CNAM. Après avoir terminé ses études en 2017 à l’académie navale d’Odessa, il travaillait pour la marine marchande. “J’allais signer un nouveau contrat lorsque la guerre a commencé.”

Tensions sur les places d’hébergement en Ile-de-France

Au carmel, havre de paix entouré de verdure, l’ambiance est sereine. Les résidents partagent des temps collectifs, hors de leurs petites chambres, et se divisent les tâches ménagères comme le nettoyage des parties communes. Un lieu assez idyllique à deux pas de la station de RER E. Mis à disposition pour quelques mois, le site doit toutefois accueillir une association d’aide aux personnes handicapées prochainement. Un projet prévu de longue date, même s’il a été un peu perturbé ces derniers temps et que ce n’est pas l’association initialement prévue qui prendra place.

Lire : Le devenir du Carmel de Nogent-sur-Marne percuté par les abus sexuels d’un ancien prêtre

Pour les réfugiés, cela signifie un nouveau départ, loin de Paris. “Il y a un mois, en début de soirée, des travailleurs sociaux nous ont donné un papier à signer en nous expliquant que nous devrions bientôt partir pour la Normandie. C’est dur à vivre parce que nous sommes installés ici depuis septembre seulement. Je suis allé chez Pôle Emploi, je commence à peine les cours de français. Nous n’avons pas le temps de nous adapter. Tout ce que je peux faire comme travail avec mon niveau, ce sont des ménages, alors que j’ai fait des études supérieures et que j’ai des diplômes”, regrette Anna, en anglais. “D’après ce que j’ai compris, il y aura des solutions de relogement pour les invalides, les gens qui ont un contrat d’au moins 24 heures par semaine, et les familles avec des enfants scolarisés ici. Je peux le comprendre. Il n’y a pas assez de logement pour tout le monde, et encore une fois, nous sommes très reconnaissants pour tout ce que la France à fait pour nous”, estime Valentyna.

L’association Aurore consciente des réticences

Sur ce sujet, la préfecture du Val-de-Marne reconnaît que la situation est complexe et indique que des réorientations vont être opérées dans d’autres régions. Au 24 février 2023, 517 places d’hébergement et logement étaient occupées par des déplacés d’Ukraine. La plupart de ces places se trouvant dans des structures d’hébergement collectif ou chez l’habitant. Un important travail est mené pour proposer, à chacun des déplacés, une orientation adaptée à sa situation, sur l’ensemble du territoire national. Au vu des tensions sur le dispositif francilien, seuls deux critères justifient le maintien en Île-de-France : l’exercice d’une activité professionnelle ou la poursuite d’un traitement médical“, fait savoir la préfecture.

De son côté, l’association Aurore précise que l’objet de ce centre du carmel de Nogent n’a jamais été de poursuivre cet hébergement dans la durée. “Il peut y avoir des déceptions mais le postulat de départ était l’orientation vers du logement pérenne et stable. Nous pouvons comprendre qu’ils souhaitent s’installer dans la commune. Encore faut-il que les possibilités existent. Chacun sait que la situation de l’accès au logement en région Île-de-France est particulièrement contraint. Il ne s’agit pas seulement d’une réorientation géographique vers un lieu d’habitation, l’accompagnement global des familles et des personnes pour les sortir de leur situation de précarité se poursuit“, ajoute Djamel Cheridi, le directeur territorial de l’association.

Venu visiter le centre ce vendredi 24 février, avec le maire de la ville, Jacques J-P Martin, et le député Mathieu Lefèvre, le sous-préfet de Nogent, Bachir Bakhti, a lui rappelé les chiffres témoignant de la mobilisation de l’État en Val-de-Marne. “Depuis sa création le 15 mars 2021, le centre d’accueil ouvert à Créteil a accueilli près de 7500 personnes. La préfecture a délivré 2700 autorisations préalables de séjour. Grâce à la mobilisation de la caisse primaire d’assurance maladie, des droits à la Sécurité sociale ont été ouverts pour environ 4 000 personnes. Près de 320 jeunes Ukrainiens sont scolarisés dans le département. Des actions sont également proposées par le pôle emploi notamment pour l’obtention de formations linguistiques“, a énuméré le sous-préfet. Selon un rapport de la Cour des comptes publié ce mardi 28 février, les près de 115 000 réfugiés ukrainiens arrivés en France depuis un an ont été accueillis dans des “conditions satisfaisantes”, grâce notamment au régime de protection temporaire qui leur a permis d’accéder plus facilement au travail, aux services de santé, à la scolarisation des enfants ou encore à l’hébergement d’urgence.

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