Le temps et l’humidité menaçaient de les faire disparaitre : les graffitis du Fort de Romainville sont désormais sauvés. Ces traces laissées par des résistants vont devenir le cœur d’un projet mémoriel sur cet camp d’internement de la Seconde Guerre mondiale. En parallèle, y germe un nouveau quartier de ville.
“Nous enlevons tout ce qui gêne la lecture, notamment des résidus de résine. Nous nettoyons, parfois nous comblons certains trous. Mais nous ne touchons pas aux graffitis. Chaque centimètre à un poids“, explique Lucie Cizeau qui œuvre à la restauration du site sous la houlette d’Aline Moskalik-Detalle.
Tout l’enjeu de ce travail minutieux est de préserver les vestiges qui témoignent de l’histoire du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas, comme camp d’internement en France de l’Allemagne nazie.
“Chaque graffiti identifié a été documenté pour rendre un nom à son auteur“
“Quand j’étais venue en janvier, le site était en très mauvais état, il y avait beaucoup d’humidité, ça se décollait vraiment. Je m’étais dit : si on ne va pas vite… Donc c’est plutôt rassurant“, souffle Patricia Miralles qui visitait ce lundi le lieu pour la deuxième fois. Six mois auparavant, la secrétaire d’État auprès du ministre des Armées avait, en effet, annoncé une aide de 300 000 euros pour lancer les travaux de restauration. Des saignées ont également été réalisées sur la dalle en béton le long des murs pour éviter que l’humidité remonte à l’intérieur.
Au plan historique, le site en déperdition jusqu’à présent revêt, en effet, une valeur inestimable. “C’est l’un des premiers camps d’internement allemand installé en France occupée, mais il reste méconnu“, observe Thomas Fontaine, historien et directeur des projets du Musée de la Résistance nationale. “Sur les murs, les gens qui ont été détenus ici ont laissé une trace de leur passage. La plupart sont à la veille d’un départ du fort pour être déportés.“
De l’été 1940 à l’été 1944, 7 000 personnes y sont détenues, avant la déportation pour la plupart. Mais, comme le souligne Thomas Fontaine, le Fort de Romainville a eu plusieurs fonctions. Au départ, beaucoup de détenus sont des ressortissants civils de pays en guerre contre le Reich. À partir de l’été 1942, il devient le camp principal de la politique de représailles, dite “des otages”, qui concernent principalement des communistes et des Juifs.
Au printemps 1943, l’Allemagne nazie généralise la déportation par convois massifs vers les camps de concentration. En février 1944, le Fort devient un camp exclusivement de femmes (Compiègne étant pour les hommes). Plus de 3 800 y sont internées et plus de 90% d’entre elles sont ensuite déportées, principalement depuis la gare de l’Est à Paris, vers Ravensbrück.
C’est le cas, par exemple, d’Yvonne Fournier qui, condamnée à Dijon (Côte d’Or) pour activité communiste, mentionne sa déportation dans son graffiti en indiquant la date du 17 avril, jour où elle est enfermée dans la casemate en vue du départ. Mais, celui-ci n’intervenant que le lendemain, elle corrige le “17” en “18”.
“Chaque graffiti identifié a été documenté pour rendre un nom à son auteur et retrouver son histoire. Cette documentation vient compléter les sources traditionnelles“, précise Thomas Fontaine, auteur de Les oubliés de Romainville – Un camp allemand en France (1940-1944) (paru en 2005 aux éditions Tallendier) qui travaille sur le site depuis 2003. Sur 70 graffitis de la période répertoriés, l’historien a ainsi pu retracer le parcours de 53 détenus.
Un lieu de mémoire…
Les travaux de restauration devraient être achevés en août pour laisser place à l’aménagement du site mémoriel en lui-même. Le projet s’inscrit dans le cadre de l’acquisition de l’emprise de l’État (propriétaire de 80% du site) par la ville des Lilas, qui devrait être actée d’ici à la fin de l’année.
Là encore, un effort a été fait pour faciliter l’opération. Le coût, estimé à 6 millions d’euros au départ, a été ramené à 3 millions d’euros. “Ici, on ne peut pas regarder seulement au prix du mètre carré parce qu’il y a tout ce volet historique. On voudrait qu’il y ait vraiment un parcours mémoriel cohérent en Ile-de-France entre le mémoriel de la Shoah à Drancy, la gare de Bobigny, le musée de la résistance…“, explique Patricia Miralles.
Tous les éléments retraçant le parcours des détenus seront conservés depuis l’entrée historique du Fort : les casemates, mais aussi le carré des fusillés et l’enveloppe de l’ancienne caserne qui était le principal lieu d’internement. À l’intérieur de celle-ci, en revanche, un restaurant ou une épicerie en partie basse sont envisagés, tandis que la réflexion est toujours en cours pour la partie haute.
…dans un nouveau quartier
Dans le détail, la ville des Lilas ne devra débourser que 1,5 million d’euros, un montant équivalent à celui qui est rétrocédé au ministère des Armées, occupant des lieux jusqu’au début des années 2000.
“Cette enveloppe nous permettra de financer le rachat des équipements publics” que doit construire le promoteur, précise Lionel Benharous, le maire (PS) des Lilas, en faisant référence à un gymnase et à une halle sportive.
La ville va d’ailleurs racheter l’emprise pour la céder aussitôt à Cibex, le groupe lauréat de la première session du concours d’architecture Inventons la métropole du Grand Paris en 2017. “Pour la ville, ce n’est pas une opération rentable“, résume l’édile qui, avec son prédécesseur Daniel Guiraud, a d’emblée rejeté un simple projet immobilier “parce qu’on a conscience que l’on ne fait plus les choses comme ça et parce que, quand on a un lieu de mémoire comme celui-là, on a une responsabilité qui dépasse notre ville“, poursuit-il.
Le projet accueillera une résidence étudiante. Trois immeubles de huit étages seront construits face aux casemates, mais les logements (privés et sociaux) ne se situeront qu’à partir du 2ème étage. En pied d’immeuble, il y aura pour l’instant des activités de service. Un aménagement voulu aussi par la ville compte tenu de la forte densité du quartier de l’Avenir où se situe le Fort de Romainville.
Pour l’accessibilité, l’entrée du Fort sera piétonnisée et complétée par deux autres passages piétons avec, pour objectif, de désenclaver le site. Un accès voiture débouchant directement sur des parkings souterrains est également envisagé du côté du collège Marie Curie.
Alors que la végétation a repris ses droits depuis l’abandon du site par l’armée, le projet prévoit un espace dédié à l’agriculture urbaine au-dessus des casemates.
Les travaux du futur quartier ne devraient démarrer qu’à partir de 2025. “Mais on va prendre beaucoup de temps pour sonder parce qu’on ne veut pas qu’il y ait des vibrations qui impactent les casemates“, précise Patricia Miralles qui se félicite de la réhabilitation du site dans le cadre de la création d’un nouveau quartier.
“Le Fort n’était ouvert que deux fois par an : lors de la journée de commémoration départementale en avril et lors des journées du patrimoine. Je faisais alors beaucoup de visites aux gens qui habitent les HLM tout autour et qui voyaient le Fort sans le voir“, se souvient Thomas Fontaine. “Ça fait plus de dix ans qu’on réfléchit à un beau projet urbain. Ce qui me passionne, c’est qu’on y arrive tout en réalisant un vrai projet de transmission de mémoire. Là, on sera en plein dans la mémoire vivante. Les gens qui viendront boire un verre ici vont connaître l’histoire de ce lieu“, ajoute-t-il.
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