Santé | | 21/02/2023
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Avec le Paris Saclay Cancer Cluster, Villejuif se rêve en Boston

Avec le Paris Saclay Cancer Cluster, Villejuif se rêve en Boston © R Kneschke

Être le pendant européen du Cambridge Kendall Square, ce cluster d’oncologie qui, fédérant les meilleures universités américaines, hôpitaux et laboratoires, est à l’origine d’un tiers des traitements actuellement utilisés contre le cancer, telle est l’ambition du Paris Saclay Cluster Cancer de Villejuif. Explications.

Le cancer, c’est 20 millions de cas dans le monde chaque année, et 10 millions de morts. Un avion A380 de 400 personnes qui s’écrasent toutes les vingt minutes.” Le professeur Fabrice Barlesi, directeur général de Gustave Roussy de Villejuif, n’hésite pas à imager les enjeux de la lutte contre le cancer, estimant que les traitements sont à portée de main.

Il y a d’abord, le challenge de l’évaluation. Caractériser la tumeur, son environnement, l’organisme dans lequel elle survient. Identifier le moteur biologique de la maladie pour arriver à la contrôler. Il faut ensuite pouvoir accéder à ces stratégies thérapeutiques dans des délais raisonnables et à un coût abordable“, pose ce spécialiste du cancer du poumon et de l’immunologie. Or, aujourd’hui, la France est loin du compte, avec seulement 7% des patients atteints de cancer qui participent à des essais cliniques pour 75% de volontaires.

Fédérer la recherche de pointe, les laboratoires et les lieux de soins autour de la lutte contre le cancer, tel est l’enjeu du Paris Saclay Cancer Cluster (PSCC), créée il y a un an par Sanofi, Gustave Roussy, l’Inserm, l’Institut Polytechnique de Paris et l’Université Paris-Saclay, avec pour objectif de regrouper 200 membres d’ici à 2027. Plusieurs organisations sont déjà associées comme Unicancer, Institut Curie, les Hôpitaux publics de Paris – AP-HP et des laboratoires comme Servier, Novartis, Pierre Fabre, AMGEN, IPSEN, Innate Pharma… Un cluster promu à un bel avenir depuis qu’il a été retenu comme premier lauréat de l’appel à manifestation d’intérêt de l’Etat pour constituer des bioclusters de dimension mondiale, avec près de 100 millions d’euros à la clef, sans compter les apports de partenaires. Alors que plusieurs acteurs de la santé et de la biotech sont déjà implantés, ou en passe de la faire, dans les nouveaux immeubles construits à proximité centre Gustave Roussy, le fort de la Redoute, terrain de l’Etat longtemps resté en suspens, a également été retenu pour accueillir une partie du nouveau pôle, une fois sa dépollution effectuée.

Sur le plan de l’accessibilité, le site sera relié au métro dès 2025 avec l’arrivée de ligne 15 sud du Grand Paris Express.

De quoi mettre sur les rails un cluster puissant, qui ambitionne de rivaliser avec Kendall Square, aux Etats-Unis. Situé dans la banlieue de Boston, cette friche industrielle s’est transformée en l’espace de trente ans, en un cluster d’oncologie ultraperformant. Un tiers des traitements anti-cancers utilisés aujourd’hui dans le monde ont été élaborés dans ce carrefour regroupant de grandes universités (MIT et Harvard), des hôpitaux (Dana-Farber Cancer Institute) et plus de 200 entreprises biotechnologiques, le tout desservi par le métro… Pour les décideurs anglophones du biocluster de Villejuif, Boston est ainsi “la” référence.

Guichet unique

Concrètement, le PSCC se matérialisera par un guichet que les entrepreneurs pourront solliciter, notamment pour accéder plus facilement aux chercheurs. “Les jeunes biotechs arrivent et développent des essais pré-cliniques. Nous aurons des chefs de projet, à Gustave-Roussy, qui pourront anticiper les malades à cibler en premier lors des premiers essais cliniques”, explique le professeur Benjamin Besse, oncologue à Gustave Roussy. Les start-ups pourront ainsi gagner jusqu’à deux ans dans le développement de leur traitement.

Paris Saclay Cancer Cluster facilitera également l’accès au financement des entreprises

Traitement des données : un enjeu crucial

Par ailleurs, le PSCC va investir 30 millions d’euros pour permettre aux hôpitaux de structurer leurs données, les rendre interopérables et les mettre à disposition des chercheurs académiques et des entreprises privées. “L’accès aux données profondes des hôpitaux est incontournable pour l’innovation contre le cancer, d’abord parce que l’on va pouvoir croiser les sources (imagerie haut niveau, comptes-rendus d’examen,..). Il faut aussi les comparer à des référentiels statistiques issus de très grandes cohortes. C’est un enjeu avec un impact majeur dans la chaîne de prise en charge du patient, du dépistage au diagnostic en passant par le suivi. Nous pourrons ainsi mieux comprendre la grande hétérogénéité des cancers et les mécanismes sous-jacents extrêmement complexes. Beaucoup de recherches aujourd’hui exploitent ces données profondes pour comprendre comment lutter contre les échecs de thérapies, le développement de résistances ou de toxicité“, détaille la professeure Elsa Angelini, chercheuse à l’Institut Polytechnique de Paris. À terme, cette offre data permettra de cibler des populations grâce aux échantillons biologiques. “Pour mieux caractériser les cohortes de patients que nous sélectionnons dans nos dossiers d’hôpitaux, nous pourrons accéder à ces échantillons biologiques. Grâce au PSCC, nous mettrons à disposition une collection d’échantillons issus de la recherche, annotés et facilement exposables au travers d’une interface. Dans un second temps, les collections issues du soin y seront intégrées“, ajoute Anne-Laure Martin, directrice de la data à Unicancer, la fédération des centres de lutte contre le cancer.

Des plateformes pour créer des médicaments

L’offre data se complétera d’une offre scientifique matérialisée par une quinzaine de plateformes de recherche clinique. Le PSCC accompagnera notamment la chaire BOPA du professeur Eric Vibert, chirurgien au centre hepato-biliaire de l’hôpital Paul-Brousse (AP-HP) sur le futur du bloc opératoire. “Nous serons accompagnés sur un projet de télé-expertise chirurgicale pour faire entrer des patients dans des essais liés aux cancers du foie et du pancréas, précise ce dernier. Un autre projet concerne la chirurgie guidée par la fluorescence : le PSCC nous aidera à développer de nouveaux fluorophores pour augmenter la précision de la chirurgie du pancréas. Un autre projet concerne aussi la mise au point d’une plateforme de perfusion normothermique pour mettre des organes avec des cancers sur des machines et développer de nouveaux médicaments.”

Au-delà de Villeuif, l’institut Curie va créer, sur son site de Saint-Cloud, une plateforme d’environ 600 mètres carrés avec des laboratoires incluant toutes les technologies de pointe sur la thérapie cellulaire. “Autant la France est un grand prescripteur de thérapies cellulaires commercialisées, autant la place de la France dans la recherche clinique dans ce domaine est basse. En mobilisant l’expertise technologique qui va de la découverte à l’essai clinique en passant par l’ingénierie cellulaire, la preuve de concept vitro et vivo, nous pourrons accompagner les biotechs ou d’autres partenaires industriels dans l’innovation et l’amélioration de ces traitements pour les patients”, promet la docteure Marion Alcantara.

Un soutien politique unanime

Vendredi 3 février, les ministres de la santé, de l’industrie et de l’enseignement supérieur sont tous trois venus porter ce pôle sur les fonts baptismaux. “Désormais quand nous parlons de biocluster, nous parlons de Boston, mais aussi de Saclay. Depuis quelques mois, votre biocluster est déjà évoqué par un certain nombre d’investisseurs internationaux qui envisagent de s’installer en France. Vous allez nous aider à contribuer à régler le triangle des Bermudes de la politique sanitaire. Il faut soigner les patients à un coût raisonnable, en essayant de plus en plus, pour des raisons économiques et de souveraineté, de réindustrialiser la France“, a commenté Roland Lescure, ministre de l’Industrie.

Pierre Garzon, le maire PCF de Villejuif, s’est également réjoui de la concrétisation de Paris Saclay Cancer Cluster tout en affirmant l’identité de sa commune, se détachant du parallèle avec la côte Est. “Je crois pouvoir dire que nous ne sommes pas exactement dans la situation de Boston. Nous sommes dans un tissu où les constructions, la production d’emplois, de logements, d’équipements, vont nourrir une population déjà sur place. Je pense notamment aux opérations de rénovation urbaine (…) Le temps gagné par ces démarches anticipées ne doit pas être perdu, il est important que la mobilisation du foncier du fort de la Redoute se finalise pour que le terrain soit totalement dépollué et vendu”, a insisté l’élu, alors que la montagne de déchets laissée par la décharge sauvage illicite sur le fort de la Redoute attend sa phase opérationnelle de dépollution.

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