Depuis un an, Sodexo, spécialiste de la restauration collective, a lancé un programme de lutte contre l’illettrisme alors que près de 15 % des agents polyvalents de ce secteur ont des difficultés de lecture, d’écriture ou de calcul. Reportage à Saint-Denis, sur le site de la Société du Grand Paris.
Khalilou a 45 ans et travaille en cuisine depuis 2008 au Millénaire, à Aubervilliers. Depuis trois mois, il suit tous les jeudis des cours de français. “Écriture, lecture, on n’arrête pas. On commence à 9h00 et on termine à 17h00. C’est pas facile, mais je m’accroche parce que ce que j’ai envie d’évoluer “, explique-t-il.
130 salariés de Sodexo suivent le programme
Comme lui, environ 130 salariés de Sodexo ont démarré depuis décembre 2022 le programme de formation qui s’étend sur six mois. À l’issue de 180 heures de cours, qui peuvent comprendre plusieurs modules en fonction des profils, comme les mathématiques ou les savoirs numériques, les candidats visent l’obtention d’un diplôme de compétence en langue (DCL) française ou français-langues étrangères.
Une des conditions de réussite : que la formation se déroule sur le temps de travail et le plus souvent à proximité du domicile pour éliminer les freins liés aux transports ou à la garde d’enfant. Partenaire du projet, le Greta, réseau de formation permanente de l’éducation nationale.
“Franchir le pas de la formation“
À l’origine de ce programme, Majda Vincent, la directrice des ressources humaines du groupe. “On ne peut pas évoluer si on ne sait ni lire, ni écrire, ni compter, ni utiliser des tablettes numériques. L’employabilité, ça commence par ces compétences de base“, défend la DRH.
“Le problème, c’est que pour amener les gens à la formation, il faut d’abord lever le tabou, oser en parler et franchir le pas de la formation. On ne se rend pas compte des stratégies de contournement que des personnes en situation d’illettrisme déploient pour passer entre les mailles, tout simplement par nécessité“, poursuit-elle. Ce travail de fond passe par beaucoup de communication interne et s’appuie sur les managers et les responsables locaux des ressources humaines. Ces derniers sont d’ailleurs sensibilisés à la question de l’illettrisme afin qu’ils puissent identifier les salariés, et les amener à intégrer le programme.
“Ça va me permettre de lire les fiches techniques”
“Je n’ai pas réfléchi quand mon chef me l’a proposé. Mais, c’est vrai qu’il faut avoir envie“, indique Khalilou, qui souhaite devenir chef cuisinier. Pour lui, le bénéfice professionnel est évident. “Ça va me permettre de lire les fiches techniques”, résume-t-il.
C’est le cas aussi de Gopé, chef plongeur depuis cinq mois sur le site de Sodexo au siège de la Société du Grand Paris, à Saint-Denis, où s’est rendue, ce vendredi, Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnelle. Gopé achèvera le programme de formation le 3 novembre et veut devenir cuisinier. “Mais j’ai encore des difficultés en lecture, c’est pour ça que je veux continuer.”
Pour le directeur de restaurant, Laurent Sauvaire, le programme a amélioré la communication au sein de l’équipe. “Maintenant, avec Gopé, on se parle, on se comprend. Le changement a été radical. La barrière de la langue ne facilite pas la transmission des consignes. Il faut souvent réexpliquer et, de manière plus générale, le fait de se comprendre apaise les tensions et change les relations au quotidien.”
7% de la population en situation d’illettrisme
Le programme de lutte contre l’illettrisme de Sodexo est pour l’instant prévu sur trois ans. Pour la seconde promotion, qui démarre en novembre, l’objectif est d’intégrer 200 salariés et d’arriver à 500 au total en 2024. Pour le groupe, ce programme de formation représente néanmoins un investissement. “L’enjeu majeur est le financement. L’entreprise doit continuer à embaucher et on doit aussi pouvoir accompagner nos salariés. On ne peut pas exclure de l’emploi les personnes en situation d’illettrisme. L’entreprise prend sa part de responsabilité, mais elle ne peut pas supporter seule tout le poids de l’effort“, estime Majda Vincent.
Selon l’ANLCI, l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, environ 7% de la population âgée de 18 à 65 ans ayant été scolarisée en France est en situation d’illettrisme, soit 2,5 millions de personnes en métropole. À l’échelle de l’Île-de-France, 300 000 personnes de cette tranche d’âge sont concernées. Près de la moitié sont soit en poste, soit en recherche active de travail. “Pour un groupe comme Sodexo, cela signifie que 1 000 à 1 700 de nos collaborateurs sont potentiellement en situation d’illettrisme“, estime Majda Vincent.
“Bien-être et performance“
Si Sodexo ne communique pas sur le coût de ce programme, lele a profité de la visite ministérielle pour réclamer plus de moyens dans la lutte contre l’illettrisme. Notamment via les dispositifs de formation de Pôle Emploi. “Nous sommes prêts à les embaucher tout de suite. Pourquoi ne pas utiliser ces financements dans l’entreprise, en support de la prise de poste ?“, interroge la directrice.
“Depuis 2016, on a développé Evagill, un outil de repérage et de diagnostic de l’illettrisme en milieu professionnel, rappelle pour sa part Carole Grandjean. On va maintenant mettre en place un observatoire national qui nous permettra de recueillir plus de données. Il faut savoir que la dernière étude date de 2011. On a également conventionné un engagement avec les opérateurs de compétences (Opco), pour qu’ils mobilisent les entreprises dans ce domaine.“
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