Justice | | 12/06/2023
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Champigny-sur-Marne : les “tigistes”, ces condamnés employés aux Restos du Cœur

Champigny-sur-Marne : les “tigistes”, ces condamnés employés aux Restos du Cœur © FB

Chaque année, une vingtaine de personnes condamnées par la justice à des travaux d’intérêt général (TIG) viennent donner de leur temps aux Restos du Cœur du Val-de-Marne pour éviter une courte peine de prison. Reportage.

Il est à peine huit heures ce jeudi matin et une file est déjà formée devant le centre des Restos du Cœur de Champigny-sur-Marne. La matinée est réservée à l’accueil des petits ménages de deux à trois personnes. Quand les portes s’ouvrent enfin, ils entrent tour à tour dans ce bâtiment préfabriqué. Après s’être identifiés avec une carte de bénéficiaires, ils cheminent entre des étals pour se ravitailler. Ici, des produits alimentaires, de la petite épicerie, du vestimentaire, ou des articles pour les bébés et les enfants. Ailleurs dans le centre, des bénéficiaires se posent autour d’un café et d’un cake. Les bénévoles aussi cassent la croûte. Certains s’activent depuis six heures du matin, parfois plus tôt. “Avant d’ouvrir la distribution, il faut aller chercher les dons dans des commerces et boulangeries partenaires, en ville. Pour le grossiste Metro à Chennevières-sur-Marne, c’est avant l’ouverture à cinq heures“, indique l’un d’eux, listant également d’autres tâches comme le tri des denrées, le rangement ou le ménage.

En une demi-journée, jusqu’à 300 bénéficiaires viennent remplir leur caddie de courses. L’organisation est méticuleuse mais l’ambiance reste conviviale.

Cinq semaines de TIG pour Sébastien, 19 ans

Sébastien*, 19 ans, sirote son café. Il est l’un des quatre tigistes, des personnes condamnées par la justice à du travail d’intérêt général, actuellement employé par le centre. Ses trois compagnons sont absents. L’un d’entre eux travaille de nuit, ce qui s’accommode mal avec ces missions matinales. “Au départ, je craignais de perdre mon temps ici. J’ai d’autres projets. Je veux passer mon permis de conduire ou candidater à Parcoursup pour les études supérieures et mon job saisonnier dans la restauration. Finalement, je trouve le travail utile et les échanges enrichissants. J’ai l’impression de payer ma dette“, témoigne-t-il.

En décembre 2022, il passe en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) ou “plaider-coupable” pour des faits commis dix mois plus tôt. La procureure requiert alors une centaine d’heures de travaux d’intérêt général. Son avocate obtient la non-inscription de la condamnation au casier judiciaire. “Après la comparution, j’ai commencé à rencontrer ma conseillère d’insertion et de probation, ça a pris quelques mois avant de démarrer les cinq semaines de TIG. Tant que ce n’est pas derrière moi, je ne suis pas serein, c’est un an de prison ferme en cas de non-respect. Cela inquiète aussi mes proches“, poursuit le jeune campinois.

“Ici, ce n’est pas le bagne, mais on est derrière eux”

Aux Restos de Champigny-sur-Marne, c’est la responsable, Danièle Bouvier, qui encadre les tigistes. “Ici ce n’est pas le bagne, mais on est derrière eux, ils doivent participer au fonctionnement. Nous sommes une soixantaine de bénévoles, essentiellement de vieux croûtons, alors il est important de pouvoir compter sur des bras musclés supplémentaires“. Ancienne cadre dans un établissement financier, elle rejoint l’association il y a 23 ans, à sa retraite. C’est elle qui fait l’intermédiaire avec le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation. Le SPIP est le service qui assure le contrôle et le suivi des personnes sous main de justice. “Ils ont quand même des gueules d’anges alors, comme je suis curieuse, je leur demande ce qu’ils ont fait”, s’interroge-t-elle. “Ce sont beaucoup de petits délits liés au trafic de stupéfiant, des délits routiers comme la conduite sans permis ou l’alcool au volant. Il y a aussi des dégradations de mobilier urbain comme les graffitis“.

Longtemps situé sur le Boulevard Stalingrad, le centre des Restos du Cœur a été déplacé en 2007. Il se trouve à présent dans ce bâtiment préfabriqué, mis à disposition par la commune, à côté du complexe sportif Delaune, dans le quartier du Maroc. Gros avantage, il offre un bel espace de stationnement.

À mesure que les semaines passent, des liens se créent. Souvent, les tigistes promettent de revenir non plus sous la contrainte d’une décision d’un juge, mais en tant que bénévole. Mais dans la plupart des cas, les promesses ne se concrétisent pas. “Ils passent à autre chose et nous ne les revoyons plus“, remarque la responsable. Toutefois, les tigistes ne constituent pas à eux seuls le vivier de jeunes des Restos du Cœur de Champigny-sur-Marne. Le centre accueille également des stagiaires des collèges et des lycées des environs.

Faute de structures d’accueil, le volume de TIG plafonne

Si l’expérience est vertueuse aux Restos du Cœur de Champigny-sur-Marne, les TIG peinent pourtant à se développer. En Val-de-Marne, où près de 3500 personnes purgent une sanction en milieu ouvert, seulement 300 écopent d’un travail d’intérêt général. Pourtant, sur le papier, cette mesure à de nombreux avantages. “Dès leur création en 1983, les TIG offraient une alternative à l’emprisonnement lors de condamnations pour des faits peu graves, permettant de réparer plus efficacement le dommage causé à la société. C’est un outil efficace contre la récidive, qui nécessite aussi l’implication de la société civile pour sa bonne exécution“, défend Marina Pajoni, cheffe d’antenne du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) du Val-de-Marne.

Les TIG consistent à travailler gratuitement pour une durée de 20 heures à plusieurs centaines d’heures (400 Heures), au profit de la collectivité, d’une association ou d’un organisme ayant une mission de service public. La peine n’a de sens que si le tigiste est encadré. “ll y a encore beaucoup de représentations négatives sur les personnes condamnées. Un travail de communication doit se poursuivre pour faire baisser le niveau de l’appréhension“, explique Christophe Taillefond, le référent territorial du Val-de-Marne représentant de l’Agence Nationale du Travail d’Intérêt Général et de l’Insertion Professionnelle ajoute.

Les TIG, 40 ans déjà

D’autres facteurs freine le développement des TIG, tel que la surcharge des tribunaux qui rallonge les délais d’exécution. “Il faut attendre l’audience, puis la rédaction du délibéré, le passage par le parquet qui mandate le juge d’application des peines et enfin la saisine du SPIP. Il faut aussi le temps d’évaluer la situation de la personne condamnée, afin d’adapter le poste. L’objectif est que cela se déroule au mieux pour le condamné et la structure qui accueille“, indique Marina Pajoni.

Pour faciliter le recours à cette mesure, la Chancellerie a pris une nouvelle circulaire. À l’occasion de 40 ans du TIG, une journée événementielle est organisée. Elle se déroulera dans le Val-de-Marne à la Maison Pour Tous de l’Espace Jean-Ferrat. Au programme, des ateliers de travail sur le bilan et les perspectives de cette mesure avec les partenaires institutionnels impliqués.

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