Ce dimanche, c’était le top départ de “La Grande Livraison”, périple à vélo de Paris à Bruxelles de huit livreurs indépendants issus de six nationalités différentes. Leur objectif, faire entendre les droits des travailleurs des plateformes dans la capitale belge, où se déroule actuellement une directive européenne.
Ils sont anglais, français, italiens, espagnols, autrichiens et belges, mais ces coursiers de Deliveroo ou UberEats vivent “exactement la même chose” : “L’ubérisation n’a pas de frontières“, tranche Jérémy Wick, livreur français de 34 ans qui participe à “La Grande Livraison”.
“On va y arriver parce que c’est très important“
Avec sept autres coursiers qui s’estiment “ubérisés“, il doit pédaler jusqu’à Bruxelles, où a débuté “la dernière phase de négociation” d’une directive européenne sur les droits des travailleurs de plateformes, explique à l’AFP la députée européenne Leila Chaibi (groupe de la gauche).
“La météo va être difficile, car il va pleuvoir presque tous les jours, surtout le dernier jour, on va faire plus de 100 km, comme 130 ou 140 kilomètres, ça va être difficile“, a confié à l’AFP Felipe Corredor Alvarez, livreur espagnol, au moment du départ dimanche à Paris. “Mais oui, on va y arriver parce que c’est très important“.
5,5 millions des 28 millions de travailleurs concernés en Europe
Ces livreurs doivent rencontrer des personnalités politiques sur leur trajet et manifesteront devant le Conseil et le Parlement européens et rencontreront des négociateurs de ces deux instances. Ces dernières, sous l’arbitrage de la Commission européenne, négocient actuellement le contenu d’un texte qui prévoit de requalifier comme salariés de nombreux travailleurs de plateformes aujourd’hui considérés comme indépendants. Ce projet de législation entend fixer des règles identiques à l’échelle de l’UE alors que les réglementations sur les plateformes sont aujourd’hui très disparates parmi les Vingt-sept.
“Partout dans l’Union européenne, un certain nombre de travailleurs de plateformes sont considérés à tort comme des travailleurs indépendants alors que la plateforme leur impose une subordination“, estime Mme Chaibi, qui indique que “l’objectif, c’est que le texte soit bouclé pour décembre“. La requalification des travailleurs indépendants en salariés pourrait concerner 5,5 millions des 28 millions de travailleurs de plateformes en Europe (chauffeurs de taxi, travailleurs domestiques, livreurs de repas, etc.), selon la Commission européenne.
Lire aussi : L’insertion par la livraison des courses à vélo s’étend en Val-de-Marne
“Les plateformes ont un pouvoir de sanction“.
“Que ce soit en Autriche, en Belgique, en France, force est de constater qu’on est des salariés, mais qu’on nous force à être indépendants“, souffle à l’AFP Camille Peteers, livreur de 35 ans travaillant avec UberEats à Bruxelles et participant à la “Grande Livraison”.
Jérémy Wick détaille : “On ne peut pas définir nos tarifs, des décisions unilatérales sont prises, on n’édite pas nos factures, (les plateformes) ont un pouvoir de sanction“. Le coursier a intenté une action en justice contre Deliveroo pour une requalification de son contrat de travail. “Nous, ce qu’on ne veut pas, c’est un statu quo par rapport à la situation actuelle où, pour être requalifié, ce sont les travailleurs eux-mêmes qui doivent faire la démarche, longue et coûteuse, devant le juge“, défend Leila Chaibi.
Les livreurs interrogés sont également revenus sur les changements opérés dans le secteur de la livraison ces dernières années. “La tarification baisse d’année en année“, témoigne Jérémy Wick. “Le prix des courses est tellement bas que si demain, il n’y a plus de livreurs sans-papiers prêts à accepter ça, Uber et Deliveroo ferment“, juge-t-il.
“Pour nos collègues morts”
En 2017, âge d’or où la livraison à vélo était “un job d’étudiant bien payé“, “les gens ne se demandaient pas “Est-ce que je suis indépendant, est-ce que je suis salarié ?”, raconte M. Wick. Mais désormais, alors que la rémunération baisse, “il faut enchaîner les commandes le plus vite possible, toujours aller plus vite, c’est une mise en danger très concrète des travailleurs“, dénonce Camille Peteers.
Le livreur explique que “dans la loi belge, il y a une présomption du salariat dans le domaine des transports” pour éviter que la pression ne mène à des comportements dangereux sur la route.
“On va pédaler 400 kilomètres en trois jours sous la pluie (…) pour toutes ces choses-là, pour l’accidentologie, pour nos collègues morts”, explique Jérémy Wick.
Les livreurs rendront hommage mercredi à Sultan Zadran, un coursier décédé en février dernier alors qu’il effectuait une livraison dans Bruxelles.
À lire aussi :
N'envoyez que des photos que vous avez prises vous-même, ou libres de tout droit. Les photos sont publiées sous votre responsabilité.