Après avoir obtenu gain de cause par la justice pour son fils Sohan, Audrey Tatry a fait de la lutte pour l’inclusion scolaire des enfants en situation de handicap une cause nationale. Avec les autres membres du collectif “Une école inclusive pour tous” et la FCPE 93, elle portera ce mercredi 29 mars un cahier de doléances à l’Assemblée nationale.
Fait rare, le 6 janvier dernier Audrey Tatry gagnait son recours en référé pour faire respecter la notification de la Maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH) de Seine-Saint-Denis pour le suivi de son fils Sohan. Souffrant de plusieurs pathologies dont une suspicion de trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), il s’était vu attribuer un accompagnement individuel de 20 heures pour continuer à être scolarisé. Mais faute de moyens, l’académie de Créteil lui avait affecté un accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH) pour seulement 16 heures, mutualisé avec un autre élève.
Dès l’annonce de la décision du tribunal administratif de Montreuil, Audrey Tatry avait confié sa volonté d’élargir le combat qu’elle avait mené pour son fils Sohan. “Je ne peux pas vraiment me réjouir. On a juste réussi à faire reconnaitre le droit de Sohan à bénéficier de l’accompagnement individuel de 20 heures que lui a notifié la MDPH. Mais que va-t-il se passer? Son droit va être respecté au détriment de celui d’un autre. C’est un problème national. C’est pour cela qu’on va s’organiser dès maintenant pour mettre la question de l’inclusion scolaire dans le débat public.”
Cahier de doléances, pétition et appel au rassemblement ce 29 mars
Deux mois plus tard, Audrey Tatry a réuni une table ronde le 18 mars à Rosny-sous-Bois, avec les autres membres de son collectif “Une école inclusive pour tous”, et avec le soutien de la FCPE93. Objectif: tenter de définir les freins à l’inclusion scolaire des enfants en situation de handicap à travers le témoignage de personnels éducatifs, de professionnels médico-sociaux et de parents.
Sur la base des propositions recueillies et des sondages réalisés depuis, le collectif constitue actuellement un cahier de doléances qu’il va présenter à l’Assemblée nationale ce mercredi. Il a également lancé une pétition et un appel au rassemblement le même jour place du président Edouard Herriot (Paris 7ème).
6 700 enfants sans solution adaptée
“Nous sommes des parents fatigués et lassés de combattre pour le bien et l’avenir scolaire de nos enfants alors que ce ne devrait pas être le cas. La scolarité est un droit pour tous”, démarre Audrey Tatry en ouverture de la table ronde, devant une salle des fêtes bien remplie. Son collectif veut “obtenir de l’État les moyens pour que chaque enfant bénéficie d’une inclusion scolaire adaptée à ses besoins, à la nature et au degré de son handicap définis par des professionnels sociaux et de santé.”
Selon la MDPH, il manque 2 500 AESH en Seine-Saint-Denis. Mais le constat d’un manque de moyens pour rendre effective l’inclusion scolaire est plus large. Pour ce qui des services d’éducation spécialisés et de soins à domiciles (Sessad), “ il y a 1 000 places pour 5 000 notifications valables aujourd’hui. Donc beaucoup d’enfants ne peuvent pas bénéficier de cet accompagnement et beaucoup d’enseignants ne peuvent pas trouver les relais nécessaires pour mieux comprendre les difficultés de leurs élèves“, souligne Pascal Sillon, président de l’Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh) 93.
Membre de la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH), il pointe également le fait que 1 000 enfants en attente d’une orientation en Institut médico-éducatif (IME) sont en situation de décrochage scolaire en Seine-Saint-Denis, du fait de leur handicap, selon une enquête de la MDPH 93 de mars 2023. Par ailleurs, environ 200 enfants du département ont dû se tourner vers la Belgique pour trouver de place en scolarisation.
Au total, selon Magalie Thibault, vice-présidente du département en charge des solidarités et de la santé, 6 700 enfants seraient sans solution adaptée dans le département.
“L’école inclusive, surtout dans le 93, ce n’est qu’une vitrine politique”
“L’école inclusive, surtout dans le 93, ce n’est qu’une vitrine politique“, a fustigé quant à elle Perihan Zengin Satin, professeur des écoles en maternelle syndiquée UNSA, après avoir dressé le constat du manque d’enseignants dans un département peu attractif. Selon elle, les nécessités de service causées par le sous-effectif et le manque de budget sont aussi la cause d’un accès très restreint à la formation.
L’inclusion à l’école est par ailleurs freinée par le manque d’attractivité du métier d’AESH. “On n’a pas de métier“, a constaté Chaker Brahmi, AESH depuis 2008 et délégué syndical FSU Snuipp 93. “On veut un statut de catégorie B et des temps pleins. On n’est pas juste là pour accompagner l’enfant dans la classe, il y a tout un travail, une préparation pédagogique sous la direction de l’enseignant.”
“Les AESH sont des personnes qui n’ont pas de statut, ne sont pas formées et travaillent 26 heures par semaines en moyenne pour un salaire de 800 euros. C’est une honte pour un pays comme la France“, pointe la députée PS de Seine-Saint-Denis Fatiha Keloua Hachi.
“J’aimerai changer la mentalité des gens”
Si les incohérences du système sont bien identifiés, c’est à aussi à un autre niveau que les parents d’enfants en situation de handicap mènent leur combat. “J’aimerai changer la mentalité des gens, que les gens puissent comprendre qu’on peut être différent mais être utile à la société“, martèle Audrey Tartry.
“Parcours du combattant“, “isolement“, “impuissance“… Les témoignages des parents révèlent leurs souffrances et ceux de leurs enfants. “Gabriel est hyper sensitif en particulier à l’ouïe. En maternelle, j’ai demandé le port du casque anti-bruit. L’école l’a refusé parce que ce n’était demandé dans les formes. Alors j’ai demandé la RESS [ndlr, éunion d’Équipe de Suivi de Scolarisation]. Ça a été accepté, mais il a fallu attendre deux mois pendant lesquels mon fils a souffert“, a relaté par exemple Ariane, membre du collectif et maman d’un garçon diagnostiqué autiste à l’âge de quatre ans. “Dès le CP, il n’était scolarisé qu’à mi-temps. Aujourd’hui il est en CM2 et il a un niveau CE1 en français. En huit années, il a eu six AESH différentes à qui on n’a pas le droit de parler.” Alors qu’il s’apprête à rentrer au collège, “je me demande ce que va devenir Gabriel. Il n’y a aucune solution appropriée pour lui et le retard s’accumule d’année en année“, déplore-t-elle.
A l’occasion de la prochaine conférence nationale du handicap, Magalie Thibault appelle l’Etat à un plan d’urgence pluriannuel en Seine-Saint-Denis d’environ de 94 millions d’euros pour créer 2 200 places et solutions d’établissements et services pour les enfants. Pour les adultes, le département qui est prêt à investir 38 millions d’euros, demande une aide de 72 millions d’euros pour créer 2 800 places et solutions.
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