Faut-il rajouter une étape de filtration par osmose inverse pour fabriquer de l’eau potable ? La question fait l’objet d’une concertation publique jusqu’au 20 juillet, à l’initiative du Syndicat des eaux d’Ile-de-France (Sedif), et le débat est chaud bouillant. Le point pour comprendre.
1° Pourquoi une concertation ?
Depuis plusieurs années, le Syndicat des eaux d’Ile-de-France (Sedif), en charge de la production de l’eau potable pour 133 communes de la région, souhaite déployer la technique de l’osmose inverse basse pression (OIPB) comme étape supplémentaire de traitement de l’eau potable pour en améliorer la qualité. Cette technique suscite la controverse pour des raisons économiques et environnementales. Le syndicat a ainsi dû renoncer à expérimenter l’OIPB à Arvigny, en Seine-et-Marne, faute d’autorisation environnementale, après avoir pourtant obtenu un avis favorable au terme d’une enquête publique. C’est dans ce contexte que le syndicat intercommunal a saisi la Commission nationale du débat public, avec comme objectif de déployer cette technique dans ses trois usines principales de Choisy-le-Roi, Méry-sur-Oise et Neuilly-sur-Marne.
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2°Qu’est-ce que l’osmose inverse basse pression (OIPB) ?
L’osmose inverse consiste à forcer le passage de l’eau à travers une membrane aux pores minuscules (100 000 à 1 million de fois plus petits qu’un cheveu) grâce à une pression supérieure à celle qui résulte naturellement de la différence de concentration entre deux liquides. Le résultat est que l’eau s’écoule dans le sens inverse du processus naturel de l’osmose et ressort de manière super filtrée. Utilisée à haute pression (50 à 80 bars), cette technique constitue actuellement un procédé de désalinisation de l’eau de mer. À basse pression (4 à 7 bars), elle commence à être utilisée pour fabriquer de l’eau potable à partir d’eau douce. Plusieurs expérimentations sont en cours en France. C’est l’enjeu du projet en débat.
Cette filtration membranaire constitue une étape supplémentaire, entre le traitement UV et la chloration. Voir le schéma ci-dessous :
Concrètement, le particules les plus grosses, les micropolluants ainsi que les sels comme le calcium et le magnésium, restent bloquées derrière la membre et constituent le concentrat. Ce concentrat comprend aussi le séquestrant, à base de phosphore, utilisé pour éviter un phénomène de précipitation sur les membranes.
L’eau épurée qui a traversé s’appelle le perméat, c’est cette eau qui va reprendre le circuit de l’eau potable. Le concentrat, lui, sera rejeté dans le fleuve ou la rivière où l’eau a été prélevée initialement.
3° Pourquoi cette technique sera-t-elle combinée avec de la nanofiltration ?
Afin de préserver un minimum de minéralité dans l’eau, pour que son niveau de dureté se situe entre 8 et 12 degrés français*, le Sedif mixera à la fois la technique de l’OIPB et celle de la nanofiltration (pores de 10 000 à 100 000 fois plus petits qu’un cheveu), déjà testée à Méry-sus-Oise depuis plus de vingt ans, pour conserver suffisamment de magnésium et de calcium. “La réponse peut passer par la nanofiltration (pores à 10-9), l’osmose inverse (pores à 10-11) ou la combinaison des deux, car nous ne voulons pas avoir à reminéraliser l’eau”, détaille Yannick Pétillon, en charge des études et des opérations au Sedif.
* Définition : Le degré français est l’unité de mesure de la dureté de l’eau, basée sur la concentration en Ions magnésium et en ions calcium. Cette dureté est aussi appelée titre hydrotimétrique (TH). Concrètement, 1 degré français mesure 4 mg de calcium ou 2,4 mg de magnésium par litre d’eau. Plus l’eau est faible en degrés, plus elle est douce, peu minéralisée. Elle est considérée comme très douce jusqu’à 7. Plus elle monte en degrés (à partir de 15), plus elle est dure, génératrice de dépôts de calcaire.
4° Pourquoi le Sedif veut-il déployer l’osmose inverse ?
Les arguments sont de deux ordres : sanitaire et gustatif. Sanitaire car la filtration plus poussée doit permettre de chasser des pesticides qui passent actuellement entre les gouttes, comme le chlorothalonil ou les PFAS (composés perfluorés).
Gustatif car l’eau sera d’une part plus douce, et devrait d’autre part pouvoir se passer de chlore. “Les membranes permettent de retirer toute la matière organique qui est aujourd’hui problématique, il n’y aura donc plus rien pour alimenter les bactéries. Si l’on prouve qu’il n’y a pas de risque, il n’y aura pas de raison que l’Agence régionale de santé s’oppose au retrait du chlore. Il faut en revanche avoir les moyens de rechlorer en situation d’urgence.”, détaille Coralie Duplan-Giraud, chargée d’études et d’opérations au sein du Sedif.
5° Quelles sont les principales réserves contre ce procédé ?
Les contre-arguments sont d’ordre économique et écologique. Economique car cette technique requiert plus d’énergie et entraînera une hausse du prix de l’eau par foyer de l’ordre de 36 à 48 euros par an. Un surcoût dont le Sedif promet qu’il sera compensé par une durée de vie prolongée des appareils abîmés par le calcaire de l’eau et un moindre achat de pack d’eaux minérales.
Sur le plan environnemental, cette technique questionne car elle nécessite de capter plus d’eau, entre 15% et 20%, pour une même quantité produite. Ce surplus est toutefois rejeté en aval, avec le concentrat. Mais c’est justement le rejet de ce concentrat, qui contient les micropolluants filtrés, qui est pointé par les opposants au projet.
6° Pourquoi le rejet du concentrat dans la nature fait-il débat ?
“Ce rejet représente 50 000 m3 par jour, soit l’équivalent de 50 piscines olympiques, et concentrera les micropolluants”, a déploré un participant lors d’un atelier organisé par la Commission du débat public, à Choisy-le-Roi. “Certes, il s’agit bien de 50 000 m3 d’eau mais ce volume ne représentera pas plus de 2% du débit du fleuve, et il sera très vite dilué“, explique Coralie Duplan-Giraud. “La concentration en micropolluants et autres indésirables ne peut évidemment pas être la même en aval et en amont des usines puisque d’une part, le débit de la rivière est réduit du prélèvement fait par l’usine et d’autre part le flux de produits indésirables reste le même puisque l’usine le rejette en totalité. La concentration peut ainsi être augmentée de 20 % selon le débit retenu de la rivière”, calcule pour sa part la Coordination Eau Ile-de-France, dans une réponse à un communiqué du Sedif. “Nous avons réalisé une étude de dispersion à Neuilly, avec une prise d’eau proche pour voir si celle-ci était impactée, la réponse a été négative. La dilution s’effectue en une centaine de mètres”, insiste Coralie Duplan-Giraud. “Les éléments indésirables plus concentrés, notamment les pesticides et leurs métabolites, viendront impacter les prises d’eau alimentant les habitants de l’ouest francilien, en aval de Paris”, estime la Coordination Eau IDF.
7° Pourquoi ne pas tout filtrer pour ne pas rejeter de polluant dans les milieux naturels ?
“Cela multiplierait la facture par dix en termes d’énergie et ne serait donc pas viable. De meilleures techniques permettront peut-être d’améliorer le résultat d’ici à une dizaine d’années“, espère Yannick Pétillon.
8° Quid des pollutions dans le séquestrant ?
“Tout le procédé n’est pas encore arrêté. La recherche se poursuit pour trouver des séquestrants non phosphorés. Nous disposons encore d’une dizaine d’années de recherche avant la construction des usines, en 2030-2032. En attendant, nous nous sommes engagés à le traiter en enlevant la partie phosphorée”, précise Yannick Pétillon. “Le phosphore n’est pas le seul élément indésirable” s’inquiète toutefois la coordination Eau Ile-de-France, qui exige plus de précisions sur les produits de conditionnement des membranes (anti-scaling , électrolytes divers etc. ) .
9° Comment gérer les connexions entre des réseaux d’eau potable de qualité différente ?
Un autre problème est la relation entre les différents réseaux d’eau potable qui collaborent entre eux. Régulièrement, un syndicat vend de l’eau à un autre. Comment gérer des eaux qui auront des qualités différentes ? “Une eau sans chlore nécessiterait d’être rechlorée pour être distribuée dans un réseau voisin, une eau de secours non adoucie serait-t-elle acceptée par le Sedif en cas de difficultés sur ses usines ?” questionne la coordination Eau Ile-de-France. “Il est tout à fait possible de chlorer aux interconnexions. Nous pouvons créer ou conserver des points de chloration existants”, développe Coralie Duplan-Giraud.
10° Qui doit payer ?
Pollueur payeur ?
Lors de l’atelier de Choisy-le-Roi, beaucoup de participants, parmi lesquels de nombreux élus, ont déploré que le coût de la pollution des cours d’eau par des agriculteurs qui utilisent des pesticides, soit payé par les consommateurs d’eau potable. “C’est le principe du pollué-payeur !” a regretté un habitant, demandant au Sedif de s’engager plus activement sur la prévention et la protection de la ressource en eau en amont. Arnold Cauterman, directeur général des services techniques du Sedif, a sur ce point insisté sur le fait que l’eau prélevée par le syndicat provenait à 97% d’eau superficielle (Seine et ses affluents), contre 50% d’eau souterraine, plus pure, pour Eau de Paris. Et le DGST de préciser que l’aire d’alimentation du Sedif représente 12% du territoire métropolitain, rendant particulièrement complexe la maitrise de sa qualité en amont. “Ce n’est pas le Sedif qui pollue”, a abondé l’avocate Corinne Lepage, qui travaille pour le Sedif sur ce dossier.
Un marche-pied pour les grands opérateurs de l’eau ?
Certains élus estiment, par ailleurs, que ce surcoût payé par les habitants va contribuer à financer la recherche et développement de grands opérateurs de l’eau potable, en compétition internationale sur le marché de l’osmose inverse, et considèrent que ce n’est pas aux habitants d’Ile-de-France de payer car la différence de qualité de l’eau qui coulera de leur robinet ne le justifie pas. Une thèse que ne renie pas l’Observatoire des multinationales dans son rapport sur le rachat de Suez par Veolia, estimant que “Veolia tente actuellement d’imposer dans son contrat avec le Sedif une nouvelle technologie, l’osmose inverse à basse pression (OIBP), contestée en raison de son coût élevé, de sa forte consommation d’énergie et du fait qu’elle n’est probablement pas nécessaire étant donné la réduction progressive de la consommation d’eau dans la région.“
“Le choix de la nanofiltration était une suggestion de l’opérateur mais le choix de l’étendre aux autres usines est un choix du Sedif, car nous sommes pressés par les élus. Nous préférons être en avance plutôt qu’en retard” dément Luc Strehaiano, vice-président du Sedif, rappelant l’augmentation des nitrates et des pesticides depuis 25 ans, même lorsqu’ils sont interdits depuis des années. “J’étais là lorsque nous avons mis en service, en 1999, la nanofiltration dans l’usine de Méry-sur-Oise, se souvient l’élu. À l’époque, le risque technologique était beaucoup plus grand que celui d’aujourd’hui. Nous avions isolé Auvers-sur-Oise pour voir comment se comportaient les canalisations de distribution. Les choses se sont bien passées et l’eau produite de cette manière a été appréciée pour son goût”, raconte le maire de Soisy-sous-Montmorency (Val d’Oise). “Nous avons fourni de l’eau à la ville de Cergy qui a fait des travaux pendant longtemps. À la fin des travaux, ils sont revenus nous voir car ils préféraient notre eau !”
Concertation jusqu’au 20 juillet
La concertation qui se tient sous l’égide de la Commission nationale du débat public court jusqu’au 20 juillet. Pour l’heure, 28 avis ont été déposés en ligne. Le débat se tient aussi sur le terrain. Deux débats ou ateliers se tiennent cette semaine à Villejuif jeudi puis Bièvres samedi. Suivront Saint-Denis, Méry-sur-Oise, Nogent-sur-Marne, Bondy, Noisy-le-Sec, Saint-Maur-des-Fossés et Bobigny. Voir l’agenda.
Rappelons que toutes les décisions passent par le syndicat des eaux d’ile de France.
Toutes les villes adhérentes ont un délégué.
Je regrette que sur un sujet aussi important (je remercie au passage 94.citoyen pour l’excellence de son dossier concis mais précis quant aux enjeux.) le ou la délégué(e) de Fontenay sous Bois n’aie pas jugé nécessaire de diffuser et organiser une information aux Fontenaysiens comme ce fut le cas lors du vote de la précédente délégation de service publique (DSP) en 2011-2012: une commission d’information ouverte à tous puis un vote du conseil municipal a défini le mandat de son délégué.
quand un programme municipal se targue de démocratie et de participation des citoyens, C’est dans les faits qu’on en voit le respect, ce ne peut être des paroles l’air!. Or sur le choix de la gestion de l’eau potable nous sommes devant des enjeux majeurs qu’ils soient sanitaires, securitaires, financiers, sociaux et donc très politiques.
J’espère que les décideurs prendront en compte tous les aspects et les préoccupations des citoyens pour prendre les meilleures décisions possibles. Ensemble, nous pouvons œuvrer pour un approvisionnement en eau sûr et durable pour tous…
Il est fortement souhaitable que l’énergie nécessaire à l’opération puisse être photovoltaïque, au moins pour partie.
Un champs de panneaux solaires, ou un parc d’éoliennes ??? Quelle horreur ! Pas de ça chez nous … Chez les autres d’accord car je suis pour la lutte contre le réchauffement climatique 😉
Des logements oui, mais pas chez nous !
Des prisons oui, mais pas chez nous !
Des transports oui, mais pas près de chez moi !
“De tout, tout de suite”, sans impôts, et pas chez moi …
Bravo pour cette présentation très pédagogique!
Dans les principaux problèmes posés par le projet du SEDIF, il y a aussi la consommation énergétique qui serait doublée ! Ce n’est pas rien au moment où la sobriété énergétique est à l’ordre du jour. Cela impliquera d’ailleurs de lourds travaux, notamment à Choisy, pour amener l’énergie électrique nécessaire.
Bla Bla écologiste qui s’oppose à tout en faisant semblant d’être des experts … qui ne gèrent rien.
Qui doit payer ? Notamment les agriculteurs, qui polluent les eaux et les nappes phréatiques avec leur chimie.
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