Environnement | Val-de-Marne | 14/05/2023
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Économie circulaire en Val-de-Marne et BTP : du recyclage au réemploi sur place

Économie circulaire en Val-de-Marne et BTP : du recyclage au réemploi sur place © Cemex

Premier secteur d’activité en volume d’extraction de matières comme en production de déchets, le bâtiment constitue à lui seul un enjeu environnemental majeur. Le déploiement de boucles circulaires pour réemployer au maximum les matériaux, tout en limitant leur transport, est crucial dans des zones en permanente reconstruction comme l’Ile-de-France. En Val-de-Marne, plusieurs acteurs tracent la route.

“Aujourd’hui, le secteur de la construction représente 240 millions de tonnes de déchets par an en France (en incluant les terres excavées qui représentent elles seules 70% du total NDLR) et constitue de loin le premier générateur de déchets, si l’on compare ce volume aux 30 millions de tonnes de déchets ménagers”, chiffre Adeline de Snoeck, créatrice de boucles circulaires pour le bureau d’études Néo Eco. Le sable est la deuxième matière la plus consommée après l’eau, et 75% part dans le béton.”

L’Ile-de-France est particulièrement concernée avec de nombreux chantiers, autour du futur métro périphérique Grand Paris Express notamment. Rien que pour la construction du métro, le volume de déblais total a été évalué à 47 millions de tonnes sur les dix ans de chantier, représentant entre 10% et 20% de l’ensemble des déblais de la région chaque année.

Cet article s’inscrit dans le cadre d’une série consacrée à l’économie circulaire dans le Val-de-Marne, réalisée avec le soutien de la Chambre de commerce et d’industrie du Val-de-Marne et de l’Agence de la transition écologique (Ademe).
La CCI 94 développe actuellement un accélérateur d’économie circulaire à l’attention des acteurs économiques du département. Pour plus d’informations, contacter Patricia Fouré, responsable partenariats et projets circulaire (pfoure(a)cci-paris-idf.fr)

Yprema, pionnier du recyclage de matériaux de construction

Dans le Val-de-Marne, Yprema, dont le siège est à Chennevières-sur-Marne, a fait partie des pionniers du recyclage des matériaux de construction, et affiche une belle santé avec un chiffre d’affaires de 24 millions d’euros et une centaine de salariés. Une histoire familiale, qui commence avec la création de Yves Prigent SA au début des années 1980, spécialisée dans les travaux de terrassement, de déconstruction, de voirie et d’assainissement. “À l’époque, on était à la fois obligé d’aller en décharge mais aussi en carrière pour acheter des morceaux de remblais et de graves (mélange de sable et de cailloux), se souvient Claude Prigent, fils du fondateur. Nous sommes allés voir à Amsterdam, où existaient des installations capables de concasser du béton armé, et nous en avons acheté une première en 1984.” En 1989, une nouvelle société, Yprema, est créée, uniquement dédiée à cette activité de récupération et de concassage des matériaux. “Nous avons créé des déchetteries professionnelles pour accueillir les déchets des artisans mais aussi leur permettre de repartir avec des matériaux recyclés, pour les fondations d’allées de garage par exemple.” Pour les entreprises de travaux, l’intérêt économique se situe dans la proximité. “L’Île-de-France est déficitaire en matériaux naturels et nos plateformes sont situées à des points stratégiques. La difficulté, aujourd’hui, est de trouver des terrains industriels pour implanter de nouvelles plateformes. Il faut au moins 3 000 à 5 000 m2, 10 000 m2 pour les plateformes de transit de matériaux, et 20 000 m2 pour une plateforme de recyclage“, évalue le président d’Yprema.

© Yprema
Claude Prigent, président d’Yprema

Des surfaces de moins en moins faciles à trouver dans des communes denses, lesquelles imposent en parallèle des ratios d’espace vert à ces installations. Le prix à payer pour disposer de sites à proximité des chantiers. “On a fait le pari que respecter ces préalables était une condition nécessaire pour être accepté, et j’achète parfois 100 euros le m2”, confie Claude Prigent qui indique ouvrir une plate-forme tous les cinq ans environ. Si le recyclage des matériaux en circuit court, sans avoir à trimballer les déchets dans un sens, les matériaux de remblais dans l’autre, sur des centaines de kilomètres en camion, représente un intérêt environnemental évident, se faire admettre des riverains n’en demeure pas moins un enjeu. “Il faut être acceptable dans le paysage, les gens ne veulent pas avoir en permanence un chantier devant chez eux.”

© Yprema
L’acceptabilité des centrales de recyclage passe aussi par leur aménagement, pour éviter de donner à voir un chantier permanent aux riverains. Ci-dessus la centrale développée par Yprema à Massy comprend 5 000 m2 de végétation sur 25 000 m2.

Le transport : un enjeu environnemental non négligeable

La problématique de proximité des chantiers, Cemex, filiale française du cimentier mexicain, basée à Rungis, la connaît bien. “Nous n’avons plus de carrières aux portes de la ville, il faut aller beaucoup plus loin”, explique Louis Natter, directeur développement durable. Pour éviter les norias de camions, le cimentier a développé son réseau de carrières et de production de granulats à proximité de la Seine. “Nous avons un système de double fret fluvial. Dans un sens, nous approvisionnons les sites de construction, dans l’autre, nous évacuons les déchets”, détaille le directeur RSE de Cemex. Le cimentier a été retenu avec Eiffage et Sarpi pour déblayer les 7,5 millions de tonnes de la ligne 15 Est avec un objectif de valorisation à plus de 70%. Au retour, les matériaux et terres excavées issus des chantiers permettent de remblayer les carrières, à condition d’être inertes.

De la démolition à la déconstruction

Pour précision, les déchets inertes sont ceux qui ne se décomposent pas, ne brûlent pas et ne produisent aucune réaction physique ou chimique. Ils ne détériorent pas non plus d’autres matières en contact de manière préjudiciable à l’environnement ou à la santé humaine. Cette catégorie représente un peu plus de 90% des matériaux issus d’une déconstruction. Aujourd’hui, on distingue ces déchets inertes (classe 3), des déchets non dangereux mais pas forcément inertes (classe 2) et des déchets dangereux (classe 1). Cette classification, élaborée depuis la loi du 13 juillet 1992 relative à l’élimination des déchets, a fortement accéléré la pratique du tri car Les décharges de classe 1 et 2 sont beaucoup plus chères.

Un enjeu d’autant plus important que, dans le cadre de la mise en place de la filière Rep (responsabilité élargie du producteur) PMCB (Produits et Matériaux de Construction du Bâtiment), la reprise des déchets est désormais obligatoire et gratuite dès lors que le tri est effectué, ceci en contrepartie du paiement d’une écocontribution lors de l’achat initial.

Du côté des maîtres d’ouvrage des chantiers, ces exigences se sont traduites dans les appels d’offre. “Si un bâtiment est construit de murs en béton recouverts de plâtre, le cahier des charges impose que l’on ponce le plâtre pour livrer un béton nu”, témoigne Louis Natter, chez Cemex. Car, contrairement au béton, le plâtre n’est pas un matériau inerte.

Du recyclage au réemploi

Alors qu’il devient de plus en plus compliqué et sensible d’ouvrir de nouvelles carrières dans des terres vierges, le défi ne s’arrête plus au recyclage mais au réemploi des matériaux, au plus près de leur déconstruction. “L’économie circulaire permet d’économiser des matières naturelles dont l’accès est de plus en plus difficile, avec des ressources toujours plus lointaines et des tensions sociétales croissantes liées aux confits d’usage avec l’agriculture, le tourisme”, insiste Louis Natter.

Un objectif qui passe par de l’innovation dans les matériaux, insiste-t-on aussi chez le cimentier, qui produit deux sortes de béton recyclé. “Le premier est issu de notre propre production. Il s’agit des retours de béton (chutes) que l’on concasse pour faire du granulat réutilisé dans les nouvelles formulations de béton, jusqu’à 60%”, explique Frédéric Motreff, directeur de secteur Marine, Ports Ile-de-France et Chantiers de la Haute-Seine du cimentier. Le second béton recyclé provient directement de bâtiments démolis. C’est le cas notamment sur le chantier Lightwell, à la Défense, où les 7 000 m3 de matériaux issus de la démolition ont été transformés en granulats de béton à réutiliser sur place. Pour ce faire, le groupe a monté une plate-forme sur le port de Gennevilliers pour traiter les gravats, avant de les acheminer à l’unité de production de Nanterre.

© Cemex
Sur le chantier Lightwell, réalisé à la Défense pour le compte d’Unibail-Rodamcoo-Westfield, 7 000 m3 de matériaux issus de la démolition ont été transformés en granulats pour produire du nouveau béton sur place.

Pour les cimentiers, la difficulté est d’assurer un béton recyclé qui soit aussi robuste, et ne mette pas en danger les nouvelles constructions. Car il ne s’agit pas ici de remblayer des routes mais de monter des bâtiments. “Nous avons obtenu une certification Afnor NF en 2022, une première en France, qui nous permet d’utiliser les granulats en plus grande quantité dans la production de béton, tout en offrant une garantie aux clients”, rassure-t-on chez Cemex. De son côté, Holcim, cimentier suisse, filiale du groupe Lafarge, a mis au point un Clinker 100% recyclé et a annoncé en début d’année la construction de premiers logements intégralement issus de matériaux réemployés, grâce à ce liant. Au-delà du réemploi, l’innovation vise aussi l’éco-conception, pour produire d’emblée des bétons en émettant moins de CO2 et en consommant moins d’eau.

Le quartier Gagarine reconstruit sur lui-même à Ivry-sur-Seine

Dans le Val-de-Marne, un exemple pionnier de boucle locale de déconstruction-reconstruction est celle qui a été mise en œuvre à la Cité Gagarine d’Ivry-sur-Seine. Cette grande cité en T, construite en béton et briques rouges au début des années 1930, sous l’égide des architectes Henri et Robert Chevallier, a cédé la place à un projet d’agrocité mêlant ville et agriculture urbaine. Mais contrairement à de nombreuses barres de banlieue, dispersées en quelques minutes à coups d’explosifs, la cité a fait l’objet d’un méticuleux chantier de déconstruction de 16 mois, pour optimiser le tri et le réemploi des matériaux. “Nous avons travaillé avec la place de marché de matériaux de seconde main Backacia et l’association d’insertion des personnes et de réemploi des matériaux Réavie pour valoriser 12 000 m3 de matériaux de gros œuvre”, détaille Adeline de Snoeck, du bureau d’études Néo Eco. La vidéo de Grand Paris Aménagement (aménageur public du site) ci-dessous montre ce processus en timelapse.

Certes, la déconstruction a pris du temps, mais, au final, c’est 1 million d’euros qui a été optimisé grâce à cette valorisation, chiffre la créatrice de boucles circulaires. Précisément, 3 500 m3 ont été valorisés en granulats pour béton pour les nouveaux chantiers de construction, 2100 m3 de mélange béton- briques ont été réutilisés pour le remblaiement des caves de l’immeuble et 6000 m3 ont été réutilisés en remblais pour les chantiers de voiries et réseaux. Au-delà du gros œuvre, plus de 2 000 portes ont été réutilisées sur place tandis que les blocs de boites aux lettres, radiateurs et autres dallettes de béton ont été revendus via la place de marché Backacia ou réemployés avec l’association Réavie.

© EPA Orsa/Archikubik/Sbda
Dessiné par Archikubik, le projet d’agrocité d’Ivry-sur-Seine s’inscrit dans le renouvellement urbain du quartier Gagarine-Truillot. Opéré sous l’égide de la ville et de Grand Paris Aménagement, il prévoit, non seulement 1 400 logements, 60 000 m2 de bureaux, 2000 m2 de commerces, un groupe scolaire et quelques autres équipements, mais aussi deux hectares d’agriculture urbaine, en pied d’immeuble et sur les toits.

Ailleurs en Val-de-Marne, d’autres projets sont en cours. “Nous avons travaillé avec Valophis Habitat à Orly, dans le cadre de la déconstruction des immeubles Brazza (230 logements dans le quartier des Navigateurs, un chantier prévu pour durer 14 mois), cite Adeline de Snoeck. Ce projet comprend une étude d’opportunité pour créer sur place une plate-forme de concassage du béton afin de répondre aux besoins des chantiers proches.”

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