Environnement | Val-de-Marne | 05/06/2023
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Économie circulaire en Val-de-Marne : comment verdir la culture sans casser la magie du spectacle

Économie circulaire en Val-de-Marne : comment verdir la culture sans casser la magie du spectacle © V Bressan

Passeport pour l’imaginaire, le cinéma comme la scène nous transportent par leur effets spéciaux, costumes éblouissants, décor bluffant. Du grand spectacle trop vite à la benne sitôt le rideau baissé. Dans ce secteur aussi, les pratiques évoluent, les ressourceries se développent, et le Val-de-Marne prend sa part.

Décors de films, séries, clips, théâtre, opéra, scénographie d’exposition, de défilés de mode… ces créations artistiques sont indispensables pour profiter pleinement des œuvres, dont elles sont une composante à part entière, mais elles génèrent des tonnes et des tonnes de rebut chaque année. Un seul décor de film nécessite généralement plus de dix tonnes de matériel. Et après le clap de fin, la dernière scène se joue encore trop souvent dans la benne. Résultat : un bilan carbone pas terrible. Selon une étude 2020 de l’association de professionnels du métier, Ecoprod, le secteur de l’audiovisuel et du cinéma “rejette 1,7 million de tonnes de CO2 dans l’atmosphère chaque année en France” dont 20% sont liées à la production de décors.

À l’heure du changement climatique, les professionnels du spectacle et de la culture ont pris eux-mêmes conscience de cette gabegie depuis plusieurs années, et l’évolution réglementaire issue par la loi Agec accélère le mouvement.

Cet article s’inscrit dans le cadre d’une série consacrée à l’économie circulaire dans le Val-de-Marne, réalisée avec le soutien de la Chambre de commerce et d’industrie du Val-de-Marne et de l’Agence de la transition écologique (Ademe).
La CCI 94 développe actuellement un accélérateur d’économie circulaire à l’attention des acteurs économiques du département. Pour plus d’informations, contacter Patricia Fouré, responsable partenariats et projets circulaire (pfoure(a)cci-paris-idf.fr)

Des ressourceries spécialisées

Dès la fin des années 2000, des ressourceries spécialisées ont commencé à voir le jour, à l’instar de la Réserve des arts, créée en 2008 par deux professionnelles de l’art contemporain, Sylvie Betard et Jeanne Granger. “Nous sommes parties du constat qu’il y avait beaucoup de rebuts dans ce secteur. En parallèle, les artistes ont besoin de matière”, explique Charlène Dronne, directrice de l’association. “Nous collectons des matériaux issus d’expositions de musée, de défilés de mode, des stocks dormants de grandes maisons, de PLV (promotion sur lieu de vente) et de scénographies événementielles auprès de 300 structures culturelles.” En 2022, La Réserve des arts, actuellement installée à Pantin, avec aussi un magasin à Paris et une antenne à Marseille, a récolté 700 tonnes et revendu plus de 500 tonnes auprès de ses 15 000 adhérents, soit un taux de recirculation de 85%. “La prise de conscience a démarré il y a trois ans, avec la loi Agec. Toutes les structures de la mode sont invitées à envisager la fin de vie de leur collection”, confie Charlène Dronne. En parallèle, l’association propose des activités de sensibilisation autour de l’économie circulaire et des ateliers d’éco-conception.

© Facebook LRDS
La ressourcerie du spectacle à Vitry-sur-Seine

Dans le Val-de-Marne, La Ressourcerie du spectacle est née en 2014, d’abord installée à Villejuif puis à Vitry-sur-Seine, au Crapo. L’association récupère notamment quelque 15 tonnes de matériel audiovisuel chaque année et s’attache à les réemployer en récréant des éléments scénographiques pour des événements culturels. Elle vend directement des objets via son site Internet et sur le Bon Coin mais en propose également à la location, car l’enjeu n’est pas seulement de récupérer une fois, mais aussi de développer l’économie de la fonctionnalité afin de réemployer systématiquement les productions, le plus longtemps possible. L’association a par ailleurs créé une dynamique avec d’autres structures de la culture et du réemploi pour mutualiser les locaux. Certains locataires du Crapo sont du reste des ressourceries, à l’instar de M.E.D Arcade, la Recyclerie du jeu vidéo, qui remet à disposition des bornes d’arcade et des attractions vidéoludiques.

Depuis quelques années, ces ressourceries culturelles se sont fédérées au sein d’un réseau, le Ressac, pour partager leurs pratiques, mutualiser ce qui peut l’être et défendre leur cause.

– Événement –

Matinale de l’économie circulaire en Val-de-Marne le jeudi 15 juin

La Chambre de commerce et d’industrie du Val-de-Marne organise une matinale de l’économie circulaire le 15 juin à Créteil, de 8h45 à 12h, en partenariat avec l’Ademe. Objectif : donner à voir les solutions concrètes concernant l’éco-conception et la gestion des déchets (dons, recyclage, up-cycling) et développer des synergies entre les différents acteurs du territoire.
Programme :

  • 8h45 – Accueil, café
  • 9h – Introduction
  • 9h10 – Comment initier une démarche d’économie circulaire ?Intervenants : Viluso, Ambiance Lumière, BPI France
  • 10h : Financer ses projets autour de l’économie circulaire et de l’Economie Sociale et Solidaire ?  Intervenants : France Active Métropole, ESFINGESTION, La NEF, Région Ile de France, Crédit Coopératif, CCI Collège des financeurs et BU Financement 
  • 10h45 – La CCI engagée sur l’économie Circulaire et le développement durable CCI94
  • 11h15 12h : PITCH “découvrez des projets de transition écoresponsables” NETWORKING

Intervenants : Association dons solidaires, Etudiants MIEE : projets Will Side, Lorice, Crystallum et témoignages d’entreprises : DOD Objets, Brosseur

Plus d’informations et réservation

Question de volume, de temps, de droits d’auteurs…

Parmi ces structures dédiées à la circularité de l’industrie culturelle, la ressourcerie du cinéma a vu le jour en 2020, créée par des membres du collectif EcoDéco issu de l’association Mad (Métiers associés du décor). L’un de ses terrains de chasse : les Studios de Bry, qui accueillent 2 à 3 tournages de série par an, sur des périodes de six mois, et entre 10 et 15 longs métrages.

“Certains décors se prêtent bien à la récupération, témoigne Pascal Bécu, directeur des studios. S’il s’agit d’un intérieur d’appartement par exemple, on récupère les feuilles décor (panneaux de bois qui simulent les murs) qu’il suffit ensuite de retapisser ou repeindre.” En moyenne, la feuille décor représente en effet 60% du décor de tournage. Sauf que, dans le cinéma, il n’y a que du cas par cas. Et parfois, les volumes et la spécificité du décor rendent la récup impossible. “Récemment, nous avons eu une grotte, essentiellement constituée de résine. Dans ce cas, c’est impossible à démonter, il faut casser les 70 tonnes !” D’autant que le temps est compté, les productions n’ont que quelques jours pour enlever les décors, ce qui limite le nombre d’opérations minutieuses pour trier chaque élément. Autre obstacle au réemploi, celui des droits d’auteur liés à certaines œuvres.

© CD
Décors aux Studios de Bry

Un flou juridique sur la certification des matériaux

Un autre problème concerne la certification des matériaux déjà utilisés, en vue des usages futurs.“Nous récupérons certains matériaux neufs ou quasi neufs, qui ont parfois été utilisés quinze minutes sur la fashion week, mais il y a un flou juridique sur le maintien ou non de leur certification. Or, on ne peut pas revendre des matériaux ignifuges non certifiés pour des lieux qui vont accueillir du public”, explique ainsi Charlène Dronne.

Eco-conditionnalité des aides : un argument sonnant et trébuchant

À défaut de pouvoir reconditionner tous les décors dans des ressourceries, ces derniers partent à la benne, ce qui n’empêche pas le tri pour recyclage, en aval. Une étape qui permet de délivrer aux producteurs des reçus témoignant que cette étape a bien été réalisée. Car, progressivement, le suivi environnemental des productions devient une obligation.

Le Centre National du Cinéma (CNC), établissement public chargé de promouvoir et d’encadrer le cinéma et l’audiovisuel, a notamment imposé l’éco-conditionnalité des aides financières au double bilan carbone des œuvres (prévisionnel et définitif) depuis mars 2023. “Dans l’activité audiovisuelle et le cinéma, les préoccupations environnementales sont passées au premier plan, témoigne Stephan Bender, en charge de la préfiguration du pôle images de Bry-sur-Marne pour l’intercommunalité Paris Est Marne et Bois. À cannes cette année, une journée entière a été dédiée à l’éco-production. Par rapport à il y a cinq ans, le bond est gigantesque. C’est une filière entière qui se pose des questions et trouve des réponses.”

Bry-sur-Marne : un futur pôle image vert

Le projet de pôle images à Bry, qui consistera en une extension des studios mais aussi du campus voisin de l’Ina (Institut national des archives audiovisuelles), et vient d’être retenu parmi les lauréats de l’appel à projet de l’Etat pour développer son industrie du cinéma et remettre à niveau son offre de studios, intégrera cette dimension. Au programme : une extension des capacités de production mais aussi une remise aux normes environnementales, notamment sur le plan énergétique, et une réflexion écologique d’ensemble. “Les projets du pôle image auront une forte dimension environnementale. L’Ina, les Studios de Bry et les entreprises qui y travaillent sont aujourd’hui très concernées par ces questions car toute la filière est entrée dans l’ère de la RSE”, poursuit Stephan Bender.

Pour l’heure, toutefois, pas de tri dans les studios même. “Sur place, il faut aller vite, mais les bennes sont triées ensuite, ailleurs, en Seine-et-Marne, détaille Pascal Bécu. Nous réfléchissons à des bennes de tri sur place, mais, au-delà de l’espace que cela nécessiterait, cela implique aussi beaucoup de main d’œuvre. Or, des intermittents du spectacle, cela revient cher.”

Préparation des décors aux Studios de Bry

De la récup à l’éco-conception de décors

Une ressourcerie in situ ? À la Cartoucherie du bois de Vincennes, la nouvelle direction du Théâtre de l’Aquarium l’a mis en œuvre depuis 2020, pour tirer partie des 300 m3 de décors et accessoires et des 30 m3 de costumes. Si la ressourcerie a rejoint le réseau des ressourceries culturelles Ressac, elle s’appuie surtout sur cet espace pour ses productions en interne. Car, au-delà de la récup, l’enjeu est de réutiliser ce qui est récupéré pour éco-concevoir. Une démarche pratiquée de longue date par les petites structures, pour économiser, mais qui ne va pas toujours de soi.

C’est ce qu’a constaté Valentina Bressan, qui a créé une société de conseil en transition écologique, Farabello, à Fontenay-sous-Bois, à partir de son expérience du spectacle vivant, comme directrice technique d’opéras de différente taille, jusqu’à Garnier et Bastille, et conceptrice de décors. C’est sur les Chorégraphies d’Orange qu’elle a, pour la première fois, vécu “un fort sentiment de gâchis” alors que les décors de 25 mètres de haut de la Tosca, balayés quelques jours par le vent et le soleil, étaient voués à être détruits. Alors que se créaient les premières ressourceries culturelles, comme Artstock, l’artiste a ensuite réalisé que “les théâtres étaient disposés à leur donner les décors mais pas à se fournir auprès d’elles“, lorsqu’elles ont les moyens de s’en passer. Un problème d’image, analyse Valentina Bressan.

Produire du rêve avec de la récup : un changement de paradigme

“Dans l’imaginaire collectif, décor écoresponsable égale bambous et palettes ! Il faut montrer que l’on peut réaliser de belles choses avec de l’existant”, insiste-t-elle. Faire rêver reste la clef, même avec du recyclé. Pour la réalisatrice de décors, c’est possible. Pour preuve, elle raconte comment elle a créé le décor et les costumes de Don Pasquale pour l’opéra de Tours, avec un budget tout compris de 10 000 euros “Lorsque l’on m’a annoncé le budget, j’ai d’abord cru que c’était une blague, car c’était 40 fois moins que dans les grands opéras. Et puis, je me suis appuyée sur ce qui existait. J’ai repéré un plancher noir brillant, un fond avec des étoiles lumineuses, et je suis partie sur un décor et des vêtements noir et blanc en piochant dans le stock de costumes. Cela m’a permis de ne faire réaliser que trois nouvelles tenues pour les solistes”, détaille-t-elle. Une autre fois, à l’opéra de Metz, elle a récupéré des éléments d’un spectacle sur la Première Guerre mondiale pour imaginer les scènes de La Bohème. “L’important est de proposer un récit inspirant.”

© V Bressan
Don Pasquale, à l’opéra de Tours

Pour l’artiste, qui a planché sur la feuille de route verte de l’Opéra de Paris (dont elle a été directrice technique adjointe à Garnier et Bastille), dans le cadre du collectif 17h25, il est donc prioritaire d’œuvrer pour ce récit afin de faire bouger les plus grandes productions, et plus globalement le regard de la société. Les leviers ? La formation concrète à l’éco-conception mais aussi tout simplement la mise en valeur de ce qui se fait, les partenariats, les “transformations transparentes” au sens du Shift project, le think tank de Jean-Marc Jancovici, qui a publié un rapport pour décarboner la culture. Car, conclut Valentina Bressan, “la culture doit se concentrer dans la fabrication de ces nouveaux rêves collectifs.”

Voir tous les articles de la série :
Val-de-Marne circulaire # 1 : un enjeu environnemental et économique stratégique
Val-de-Marne circulaire # 2 : Réparer, réemployer, recycler, surcycler… petit tour de l’économie circulaire en Val-de-Marne
Val-de-Marne circulaire #3 : Louer au lieu de vendre : comment la startup Viluso a changé de modèle
Val-de-Marne circulaire #4 : Ambiance Lumière à Alfortville : une PMI à rebours de l’obsolescence programmée
Val-de-Marne circulaire #5 : le vrac n’est pas mort
Val-de-Marne circulaire # 6 : comment Maximum réussit l’upcycling en série à Ivry-sur-Seine
Val-de-Marne circulaire #7 : Économie circulaire en Val-de-Marne : quel modèle économique ? Quel foncier ?
Val-de-Marne circulaire #8 : Économie circulaire en Val-de-Marne : le défi de la déconstruction-reconstruction
Val-de-Marne circulaire #9 : Ta Tiny House invente la maison mobile low-tech
Val-de-Marne circulaire #10 : quel rôle pour les collectivités locales ?
Val-de-Marne circulaire #11  : verdir la culture en maintenant le rêve
Val-de-Marne circulaire #12 : Oser l’économie circulaire ? Retours d’expérience en Val-de-Marne et mode d’emploi
Val-de-Marne circulaire #13 : Financer l’économie circulaire en Val-de-Marne : un cocktail de solutions

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