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Justice | | 04/07/2023
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Émeutes à Charenton-le-Pont : 15 mois de prison ferme pour un jeune étudiant

Émeutes à Charenton-le-Pont : 15 mois de prison ferme pour un jeune étudiant © CD

Après le temps des émeutes, arrive celui des jugements. Ce lundi après-midi à Créteil, trois personnes sont passées en comparution immédiate dans ce contexte. Ces mardi et mercredi, plus d’une quinzaine d’audiences sont attendues. Au total, 72 personnes, dont 39 majeurs ont été déférées au parquet. Reportage.

Dans le box des accusés du tribunal de Créteil, Aboudramane se tient droit dans son maillot orange de la Côte d’Ivoire. Quand il répond aux questions du juge, c’est avec une élocution articulée et une voix juvénile, qui jurent avec sa carrure imposante. Deux jours plus tôt, vers 2h du matin, ce Charentonnais de 19 ans était arrêté par la police, accusé d’avoir tiré des feux d’artifice sur la police municipale, puis d’avoir donné des coups aux agents qui l’arrêtaient. Le tout, dans un contexte d’émeutes nationales. Avec Aboudramane, deux autres accusés : Mohamed B. accusé d’avoir incendié une voiture, et Kenan M., jugé pour des dégradations dans un entrepôt de camions.

Cette nuit-là, les violences suite à la mort de Nahel, jeune homme de 17 ans tué par un policier lors d’un contrôle routier auquel il entait d’échapper, rempilent pour une quatrième nuit consécutive. À Charenton-le-Pont, commune pourtant réputée tranquille, les policiers municipaux sont mobilisés après le découpage à la disqueuse d’un poteau soutenant une caméra de surveillance, couplé à l’incendie de containers à déchets sur le quai des carrières. Une fois sur place, les fonctionnaires sont la cible de tirs de feux d’artifice et d’autres engins incendiaires.

72 personnes déferées au parquet de Créteil entre le 1er et le 3 juillet

Selon un communiqué du parquet de Créteil, publié ce 3 juillet, 33 majeurs et 39 mineurs ont été déférés entre samedi et lundi.

  • 33 majeurs déférés en vue d’une audience de comparution immédiate
    • 16 placés en détention provisoire dans l’attente des audiences de comparutions immédiates du mardi 4 juillet ou mercredi 5 juillet,
    • 15 placés sous contrôle judiciaire pour être jugés ultérieurement,
    • 2 présentés à l’audience de comparution immédiate de ce lundi 3 juillet.
  • 39 mineurs déférés en vue d’une audience de culpabilité devant le juge des enfants (dans un délai de 3 mois)
    • 13 placés sous contrôle judiciaire,
    • 10 faisant l’objet d’une mesure d’interdiction de paraître et/ou d’éloignement et/ou d’interdiction de contact avec les co-auteurs,
    • 11 ne faisant l’objet d’aucune mesure,
    • 5 présentés devant un juge des enfants ce lundi avec des réquisitions de contrôle judiciaire pour 3 d’entre eux et des mesures d’éloignement/couvre-feu/interdiction de contact pour les 2 autres.

Vidéos sur snapchat

Aboudramane, lui, explique qu’il rentrait d’une visite chez son frère dans les Yvelines avec sa mère. Une fois arrivés dans le quartier de Bercy 2 – “B2” pour les habitués -, il affirme être resté quelques minutes en bas de chez lui avec ses amis et explique que c’est là que des policiers se sont mis à sa poursuite avant de l’appréhender. “Un policier a couru vers moi, j’ai pris peur et j’ai grimpé à un grillage. Il m’a fait tomber, puis il a posé son genou sur ma tête”, assure-t-il devant le juge. Dans leur procès-verbal, les policiers indiquent pour leur part qu’Aboudramane a été violent et s’est débattu. “Je n’ai frappé personne. Si je les avais frappés, ils m’auraient frappé à plusieurs”, estime l’accusé.

Déféré au poste de police, Aboudramane déverouille son téléphone pour les policiers, “parce qu'[il] n’ a rien à se reprocher”, clame-t-il à son audience. Dans ce dernier, les policiers ont accès à plusieurs messages reçus via Snapchat, l’application de partage éphémère de photos et vidéos. Devant le tribunal, le juge fait la lecture. “Préparez-vous les gars, on commence en même temps que Saint-Maurice [ville voisine, elle aussi réputée tranquille, ndlr]. Un autre, directement adressé à Aboudramane cette fois : “Tu viens pas ?”, accompagné d’une vidéo du découpage du poteau de vidéosurveillance. “C’est le groupe snap des gens de la ville”, se défend l’intéressé. “Je suis en deuxième année de BTS, je n’ai rien à voir avec ça”.

Masque, survêtement et bornage

Pour prouver la participation effective d’Aboudramane aux émeutes, la police fait un rapprochement entre son survêtement noir, siglé du logo virgule d’une célèbre marque de sport, et des vidéos, ainsi qu’un masque chirurgical noir. “Mon père me demande toujours d’en mettre un quand on prend la voiture ensemble. J’en ai toujours un dans ma sacoche”, plaide l’étudiant.

Autre argument avancé par les policiers : le téléphone d’Aboudramane borne sur les lieux, 15 minutes avant son interpellation. Mais les faits se produisent à proximité du domicile de l’accusé, fait valoir l’avocate de ce dernier, Morgane Fournier, qui rappelle que le bornage permet au mieux de prouver la présence d’un individu dans un périmètre donné, mais pas sur un lieu précis. “Le seul élement formel d’identification, c’est un sweat noir avec un logo blanc”, ironise l’avocate, lors de sa plaidoirie. Pour elle, le dossier comporte “trop peu d’éléments qui permettent d’entrer en voie de condamnation”.

Un étudiant sans histoire

Étudiant en deuxième année de BTS électricité, Aboudramane a un casier judiciaire vierge et n’a pas le profil du casseur. Il a déjà travaillé dans le bâtiment et comme préparateur de commande, et a grandi dans un cadre familial aimant, est-il relevé. Pour soulager sa mère, malade, il s’occupe régulièrement de sa petite sœur de sept ans, l’emmenant à l’école. “Il a une situation, il travaille, il va en cours. On a peur pour lui. La prison, ce n’est pas un milieu adapté pour lui”, s’inquiètent Mathias et Charmich, parmi la poignée de copains venus le soutenir au tribunal. “J’ai rarement vu une enquête sociale aussi dithyrambique” appuie Morgane Fournier devant les magistrats.

Deux ans fermes requis, 15 mois fermes confirmés

Au terme du procès, la procureure requiert trois ans de prison, dont un de sursis simple, invoquant une “politique pénale extrêmement ferme.” La défense, elle, est “estomaquée”.

Lire aussi : Éric Dupond-Moretti au tribunal de Créteil pour voir appliquer sa circulaire sur les émeutes

Pendant le délibéré, c’est le “stress et la colère” qui dominent parmi les jeunes venus soutenir leur pote. “Ils ont arrêté la mauvaise personne et ils vont tout lui mettre dessus”, craint Mathias, qui se ronge les ongles d’angoisse. “Aboudramane, c’est comme mon frère”, explique le jeune de 19 ans. Retour dans la salle, le verdict tombe : 15 mois ferme. Dans la même séquence, Mohamed B, coupable de l’incendie d’un véhicule, écope de six mois en semi-liberté, tandis que Kenan M, présent sur le lieu de dégradations de camions, est relaxé. Aboudramane, lui, s’effondre, la tête dans les mains.

Potentiel appel

Pour les jeunes Charentonnais, c’est le coup de massue. Dépités, ils doivent maintenant informer la maman d’Aboudramane et le reste du quartier. Pour eux, il s’agit d’une condamnation pour l’exemple. “Ça m’étonne sans m’étonner”, lâche Aymen, 26 ans, lui aussi du quartier, qui croise ses cadets par hasard sur le parvis du tribunal. “C’est pour les dissuader. Ses potes qui étaient là vont dire à leurs potes ce qui s’est passé, etc, etc…”, résume le grand barbu.

“Je suis profondément déçue, car il y avait un certain nombre d’éléments qui laissaient entendre qu’ils pourraient s’être trompés de personne”, regrette pour sa part l’avocate d’Aboudramane, qui aurait souhaté qu’une recherche de poudre d’artifice soit effectuée sur les effets du jeune homme pour vérifier de manière certaine sa participation aux événements. Elle dénonce aussi une, “peine liée au contexte”, considérant que “15 mois ferme, c’est peu habituel pour une première condamnation.” Un appel pourrait être effectué dans les jours qui viennent.

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