Annoncé depuis 2018, le projet de construction d’un crématorium à la place du square Forceval rencontre une forte opposition de collectifs de riverains parisiens, pantinois et albertivillariens. Dans ce quartier déjà marqué par le trafic de crack, les opposants demandent l’implantation d’un lieu de vie plutôt que des “symboles de mort”.
Sous la pluie battante, Dominique Gamard inspecte le square Forceval, petit carré de gazon coincé entre le périphérique et l’avenue de la porte de la Villette. Dans cet espace pourtant voué à accueillir un crématorium, des employés municipaux plantent des fleurs. La sexagénaire, elle, rit jaune :“C’est pour faire joli pour les Jeux Olympiques, et puis une fois les travaux entamés, ils les détruiront pour faire place au crématorium !”. En 2019, elle a participé à la création du collectif SOS Quatre Chemins, axé sur l’amélioration du cadre de vie de ce quartier populaire, situé à l’entrée de Paris, à cheval entre Pantin et Aubervilliers. D’abord mobilisé sur le campement de “crackers” installé sur le site entre septembre 2021 et octobre 2022, le groupe, aidé de quatre autres entités (Stop Béton, Collectif Climat Aubervilliers, Association pour le Suivi de l’Aménagement de Paris Nord-Est, Collectif de Paris 19, Mouvement National de Lutte pour l’Environnement), concentre désormais ses efforts contre l’implantation d’un crématorium au même endroit.
Ouest contre Est
Pour cette pantinoise, le combat s’inscrit dans la longue histoire de la relation entre Paris et ses quartiers populaires : “On ne veut pas que la mairie de Paris continue à procéder comme au XIXe siècle, en renvoyant ses morts en banlieue ! […] Mais ce n’est pas qu’un problème entre Paris et sa banlieue, regardez l’état lamentable des XVIIIème et XIXème arrondissements.”.
Parmi les douze sites examinés par la mairie de Paris pour accueillir le projet, plusieurs d’entre eux se trouvaient dans l’Ouest Parisien, y compris dans le 16ème arrondissement. “Pantin a déjà le troisième plus grand cimetière d’Europe. Il y a plein de place dans le Sud-Ouest parisien. Alors, pourquoi pas là-bas ? Parce que les riches ne veulent pas des symboles de mort ? Pourtant, ça rééquilibrerait l’offre funéraire, qui est jusqu’ici concentrée dans l’Est parisien.” En 2021, lors d’une réunion publique sur le projet, Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris, affirmait pour sa part que “les crématoriums de Paris servent pour toute l’Ile-de-France […]. Plusieurs sites ont été étudiés, tous les crématoriums d’Ile-de-France sont saturés, il y a un gros déficit sur le nord et le nord-est”. Parmi les sept crématoriums franciliens gérés par la Ville de Paris, trois d’entre eux se trouvent en banlieue Nord (Joncherolles, Montfermeil, Tremblay-en-France). Paris intra-muros ne compte quant à lui qu’un seul établissement : le père Lachaise (XXᵉ arrondissement).
“On veut de la vie !”
Les membres du collectif veulent saisir l’occasion pour implanter un “lieu de vie” dans cet endroit gris et enclavé où le trafic de cigarettes de contrebande a rapidement remplacé celui du crack. Leur idée : créer une “guinguette du monde”, à l’image du mélange de cultures du quartier, et, pourquoi pas, y tenir des événements avec des délégations étrangères lors des Jeux Olympiques. “On a vécu une situation sordide pendant un an”, rappelle Dominique Gamard, en référence au campement de crackers. “On voyait des gens avec des pieds en sang, qui mendiaient, qui volaient. Et après ce symbole de mort, on nous propose un autre symbole de mort ? Non, on veut de la vie !”, martèle-t-elle derrière ses lunettes. Côté mairie, on fait valoir un projet qui “s’insère parfaitement dans l’environnement” : “on ne v[erra] pas qu’il s’agit d’un crématorium. Il sera semi-enterré, recouvert d’un jardin qui sera accessible, agréable pour la promenade”, a ainsi tenté de rassurer Emmanuel Grégoire, lors d’une réunion publique en mars 2021.
Autre argument des opposants : alors que le quartier pâtit déjà de la pollution engendrée par le périphérique, le crématorium se construira sur les dizaines d’arbres du parc – mis à part une poignée d’ “arbres remarquables”, qui seront sauvegardés. Un projet qui semble donc entrer en contradiction avec le “plan arbre” de la municipalité, qui prévoit la plantation de 170 000 arbres d’ici 2026. Le collectif s’inquiète également des rejets causés par l’afflux de véhicules et les crémations à venir. Lors de la réunion de clôture du projet en juillet 2022, Emmanuel Grégoire a pour sa part estimé qu’un crématorium “ne pollue pas”, citant le cimetière du Père Lachaise en exemple. Selon une étude commandée en 2017 par les Services Funéraires de la ville de Paris, la crémation rejette environ 3,6 fois moins de dioxyde de carbone qu’une inhumation. Chaque mise en urne émet 233 kg de CO2 en moyenne.
Alliance transpartisane
Le 15 avril dernier, lors d’un rassemblement de plus de 150 personnes, le collectif a invité les opposants au projet à “parrainer” des arbres du parc. Parmi les parrains et marraines, on compte notamment les adjoints EELV David Belliard et Anne Souyris, respectivement en charge de la transformation de l’espace public, et de la santé environnementale. Le maire (PS) de Pantin Bertrand Kern soutient lui aussi les militants. Contacté, Emmanuel Grégoire préfère ne pas s’exprimer pour l’instant, mais promet des annonces “dans les semaines à venir”.
Pour davantage peser face au projet, les riverains envisagent quant à eux d’officialiser leur collectif en créant une association. Le nom est déjà tout trouvé : “Aux arbres citoyens” – “en réference à la chanson de Yannick Noah”, glisse malicieusement Dominique Gamard. Une fois le permis de construire du crématorium déposé, l’association pourrait par exemple l’attaquer en justice – tout en continuant les manifestations, insiste la militante, infatigable : “Si on avait attendu la justice pour faire évacuer le campement de crackers, on y serait encore !”
N'envoyez que des photos que vous avez prises vous-même, ou libres de tout droit. Les photos sont publiées sous votre responsabilité.