Alors que le chantier de la gare de Bondy sur la ligne 15 Est du Grand Paris Express doit débuter en 2025, les habitants les plus impactés par le projet continuent à se mobiliser. Avec l’interdiction de circulation des poids lourds sur le pont et l’avenue Jules Ferry, ils veulent tirer parti des incertitudes pesant sur les itinéraires d’évacuation des déblais.
Sur le pont Jules Ferry, qui relie le sud de Bondy au centre-ville, les camions et les bétonneuses continuent d’aller et venir. Pourtant, depuis la mi-septembre, le maire de la commune, Stephen Hervé (LR) a pris un arrêté pour interdire la circulation des véhicules de plus de 3,5 tonnes. A la suite d’une étude de capacité réalisée par la SNCF, la municipalité a découvert l’existence qu’une limitation de tonnage qui était ignorée depuis… 1958.
Circulation limitée pour les poids lourds
Cet arrêté a contribué à rebattre les cartes du chantier de la future gare de Bondy sur la ligne 15 Est. “Aucun camion n’est censé pouvoir traverser ce pont puisque sa fragilité est maintenant démontrée”, explique Lydia Kasparian, membre du collectif anti-nuisances de Bondy, qui se bat aux côtés de sa mère, Denise Kasparian, visée par une procédure d’expropriation, contre le projet tel qu’il est porté par la Société du Grand Paris (SGP). “Les poids lourds ne peuvent pas non plus circuler sur l’avenue Jules Ferry [où la circulation est depuis peu limitée aux véhicules de plus de 15 tonnes]. Donc je veux qu’on m’explique comment ils vont évacuer les déblais qui doivent être stockés sur l’emprise rue Etienne Dolet?“
Pour la réalisation de la future gare de Bondy, la SGP, qui assure la maitrise d’ouvrage du Grand Paris Express, veut en effet créer un chantier annexe destiné au stockage et au tri des déblais extraits du chantier principal situé de l’autre côté des rails du RER E et du tramway T4. Pour cela, elle a lancé l’acquisition des terrains situés sur une parcelle de 3 000 mètres carrés à l’entrée du pont Jules Ferry.
“On vit une situation démente depuis que ce projet a été lancé. On veut expulser de chez elle ma mère, une femme de plus de 80 ans. A côté, c’est aussi un monsieur âgé. C’est inhumain et tout ça pour des projets immobiliers“, s’emportait encore Lydia Kasparian à la sortie du tribunal administratif de Montreuil, le 17 janvier.
Après Denise Kasparian, dont le recours a été rejeté en octobre, Mehmet Yazar, son voisin, représenté par son avocat, demandait lui aussi l’annulation de l’arrêté de cessibilité de son bien au profit de la SGP. Sur les trois propriétaires qui restaient sur cette parcelle, côté rue Etienne Dolet, ils ne sont plus que deux à résister, l’un d’eux ayant décidé de vendre.
Or, pour la militante du collectif anti-nuisance de Bondy, l’impact du projet porté par la SGP pourrait prendre de l’ampleur bien au-delà du sort personnel des habitants de la rue Etienne Dolet. “Nous n’étions déjà pas convaincus par les dispositions prévues pour limiter l’impact des nuisances sur la crèche Janusz Korczak, ni par les solutions alternatives à la fermeture de la passerelle PMR [ndlr, pour les personnes à mobilité réduite]. Avec leur projet de vouloir passer par la route de Villemomble, ce sont maintenant les enfants du collège Pierre Curie, de l’école Lovann, de la piscine Tournesol et des autres établissements qui sont concernés; et une bonne partie des habitants de Villemomble !“, alerte-t-elle.
Un itinéraire alternatif par la route de Villemomble?
De fait, la SGP a évoqué, depuis la mise en place des limitations de circulation aux poids lourds à Bondy, la possibilité d’un nouvel itinéraire pour rejoindre les grands axes, via la route de Villemomble. Laquelle débouche sur l’avenue Anatole France et l’allée de l’Espérance à Villemomble.
“Qu’en disent les maires de Bondy et de Villemomble?“, interroge Lydia Kasparian. “Il y a plusieurs chicanes sur la route de Villemomble qui compliquent la circulation des camions. Cette route débouche à Villemomble sur des rues qui sont saturées de trafic parce qu’elles donnent accès à la A3 et la A86. Vous imaginez 70 camions par jour ?“
De son côté, le maire de Villemomble, Jean-Michel Bluteau, a déjà fait savoir, par courrier à la SGP, sa ferme opposition à toute circulation de camions. La municipalité argue un “télescopage” de plusieurs chantiers dans la zone où seraient amenés à circuler les poids lourds évacuant les déblais des travaux de la gare de Bondy : celui du nouveau programme de renouvellement urbain du quartier des Marnaudes et celui d’un centre de maintenance et de remisage de la ligne 15 Est qui est encore aujourd’hui à l’étude. “Mais surtout, il n’est pas acceptable de faire supporter des nuisances aux Villemomblois alors que le projet de ligne 15 Est ne changera rien à leur schéma de déplacement“, fait-elle savoir.
De quoi remettre en question l’utilité de l’emprise de la rue Etienne Dolet selon Francis Redon, président de l’association Environnement 93 et membre du collectif anti-nuisances de Bondy “puisque toutes les voies d’accès à l’emprise Dolet sont tout bonnement impraticables.” Il estime contradictoires les positions de la SGP “qui avait reconnu que le pont Jules était fragile pour justifier la nécessité de l’emprise de la rue Etienne Dolet, mais en même temps affirmait que les camions pouvaient y rouler sans problème.”
Pour Francis Redon, “il faut maintenant que la SGP accepte de prendre en compte les solutions alternatives que nous proposons depuis des mois pour l’évacuation des déblais, soit par une bande passante pour être stockés sous la A3, soit par tunnel ou voie ferrée pour ensuite être évacués par voie fluviale. Il y a déjà eu deux modifications de la DUP qui ont à chaque fois fait évoluer le périmètre de la gare de Bondy. Une troisième est maintenant nécessaire et il y a urgence si l’on ne veut pas encore mettre à mal les délais de réalisation du chantier.”
“On peut maintenant nous mettre dehors n’importe quand“
Stephen Hervé, le maire de Bondy, tend pour sa part à relativiser l’impasse dans laquelle serait aujourd’hui le chantier. “Il n’est pas possible de faire circuler des camions dans la partie nord de Bondy. La solution de la route de Villemomble pour l’évacuation des déblais n’est donc pas si farfelue, même si, dans ce scénario, il faudra être attentif aux conditions de mise en œuvre parce qu’il y a effectivement une école et un collège“, souligne-t-il. “Évidemment, personne ne veut avoir de poids lourds, mais les opérations de renouvellement urbain à Bondy comme à Villemomble vont de toute façon générer du trafic de poids lourds. Toute la question est de savoir quel degré de nuisances est acceptable.”
En revanche, pointe l’édile, si cette hypothèse est aujourd’hui sur la table “c’est aussi parce que le département [ndlr, de la Seine-Saint-Denis] a bloqué la remontée de la circulation aux poids lourds avenue Jules Ferry vers la N186. Or, cette limitation est discutable.” Mais surtout, rappelle-t-il, “ce sont au final les entreprises qui seront retenues pour ce marché en conception-réalisation qui détermineront l’organisation du chantier. Cela étant, il n’a jamais fait aucun doute que la SGP compte utiliser l’emprise Etienne Dolet, que ce soit pour le stockage ou comme base de vie.”
De son côté, la SGP affirme qu’elle “a identifié un nouvel itinéraire pour les camions des chantiers du Grand Paris Express qui aura le minimum d’impact pour les riverains et permettra le bon fonctionnement du chantier, notamment en matière de sécurité.” Elle indique qu’”à ce jour, cet itinéraire ne prend pas en compte un passage par la commune de Villemomble“, sans donner plus de précisions. La SGP ajoute que “la disposition finale du chantier ne sera définitivement arrêtée qu’une fois le concepteur-réalisateur sera désigné, à savoir à la fin de l’année 2023.” Elle rappelle également que le marché de gestion des déblais a été attribué en octobre dernier pour une évacuation par voie fluviale, confortant “l’utilisation de l’emprise complémentaire (qui) permettra d’éviter d’utiliser le pont Jules Ferry et le centre-ville de Bondy pour ce pré-acheminement.”
Francis Redon, lui, s’étonne que, dans sa décision sur les deux recours en référé, le tribunal administratif de Montreuil n’ait pas pris en considération les incertitudes pesant sur l’évacuation des déblais, opération qui justifie aujourd’hui la nécessité de l’emprise. “Il aurait pu demander un sursis, comme il l’avait fait dans le cas le projet d’extension du centre commercial Rosny 2, pour donner le temps à la SGP d’apporter des précisions. On parle tout de même d’expropriation. Je ne comprends d’ailleurs pas qu’il n’ait pas non plus retenu le caractère d’urgence des deux requêtes. Surtout que rien ne dit que l’emprise va être utilisée dans le cadre de ce marché en conception-réalisation.”
D’ailleurs, même si un recours au fond est en cours, les décisions judiciaires à venir ne seront pas suspensives, se désole Lydia Kasparian. “On est pas contre le métro, mais contre la façon de faire, sans écouter personne“, insiste-t-elle. “On peut maintenant nous mettre dehors n’importe quand“, soufflait pour sa part Denise Kasparian, très éprouvée au sortir du tribunal administratif de Montreuil. En attendant, elles ont proposé aux élus concernés (maires et parlementaires) d’organiser une réunion.
N'envoyez que des photos que vous avez prises vous-même, ou libres de tout droit. Les photos sont publiées sous votre responsabilité.