Humour, émotion, vécu personnel, et bien sûr éloquence. Ce vendredi 17 février, les neuf lycéennes finalistes de la quatrième édition des Libres parleurs, concours organisé par la ville de Montreuil, ont tout donné pour convaincre, avec brio. Ambiance.
“Ce concours n’est que le point d’orgue d’un projet long de plusieurs mois. Au terme de ces dix séances d’apprentissage, nous leur avons proposé de se confronter à un sujet politique : faut-il réussir sa vie ?“, a rappelé Clément Viktorovitch, docteur en sciences politiques et journaliste, qui coordonne le concours. Pour se préparer, les élèves volontaires des lycées publics Jean-Jaurès, Eugénie Cotton, Condorcet et du lycée horticole Jeanne-Barret, ont participé à des entraînements rhétoriques avec leurs professeurs depuis le retour des vacances de la Toussaint.
De l’émotion, les neuf lycéennes ont su en transmettre, chacune s’appropriant le pupitre et la scène à sa manière. Certaines très à l’aise comme Lena Candiloro, 17 ans, en terminale au lycée Jean Jaurès et qui veut devenir professeur d’EPS, malgré les doutes qu’on lui a fait sentir : “Oui mon plus grand rêve c’est d’être payée 2000 euros par mois, parce que je considère qu’il n’y a pas besoin d’être millionnaire pour réussir sa vie.” Avec Mariam Chaabane, élève de première, la prestation est proche du stand up: “Moi j’ai 16 ans et j’ai réussi ma vie (…) Aujourd’hui, je suis finaliste d’un concours d’éloquence. Et pour couronner le tout, je veux faire médecine. Oui je sais, je suis un peu énervante.” Avec humour, Wendy Louange, du lycée Eugénie Coton, interroge “Est-ce que la réussir [sa vie] c’est avoir un 70 mètres carrés sur Saint-Maur chauffé au gaz, deux chambres, trois salles de bain et Murray le Golden Retriever? Ou encore avoir un sac louis vuitton? C’est ça la réussite? Moi ce que je veux, c’est prendre le temps de vivre cette vie.”
“Ai-je vraiment envie de réussir ma vie lorsque je dois faire un choix entre ma santé mentale et mes études ?“, questionne Elsa Cheref, 16 ans, en première au lycée Condorcet.”Il est hors de question que je mène ma vie selon des critère de réussite autres que les miens“, affirme-t-elle. “Pour ma part, j’aurai réussi ma vie le jour où j’arrêterai de me poser cette question“, considère Linsey Makagnon, 21 ans, en première conduite de production horticole au lycée Jeanne Baret.
“Pour certaines personnes, la réussite n’est pas une option mais une nécessité“
Au terme de cette joute verbale, c’est Rania Biyen, 18 ans, qui remporte les faveurs du jury. “Sincèrement, je ne pensais pas que j’allais gagner mais je suis contente que mon discours ait plu parce qu’il montre que les gens trouvent que ce que j’ai à dire est important !”
L’élève de terminale du lycée Jean-Jaurès participait pour la deuxième fois au concours. Pour convaincre, elle a puisé dans son histoire personnelle, livrant à l’auditoire, ses difficultés après son départ du Burkina Faso à l’âge de 12 ans pour des raisons de santé. “J’ai rejoint mon père en France. J’ai laissé ma mère, ma sœur et mes amis là-bas. (…) Quand on m’a mise dans une classe normale, je me suis retrouvée encore plus seule. Je n’avais pas d’amis, je me faisais harceler, on se moquait de mes vêtements et de mon accent. Je me suis dit : je suis une femme, noire, étrangère, en France. Je dois travailler beaucoup plus que les autres pour la même chose. Vous voyez, c’est pour ça que je dois réussir. J’ai eu la chance de venir alors que ma mère est restée là-bas avec le terrorisme. Je dois réussir pour la protéger. Pour certaines personnes, la réussite n’est pas une option mais une nécessité.“
Depuis 2015, poursuit Rania Biyen, le Burkina Faso subit les attaques djihadistes et les coups d’état militaires. “Aujourd’hui, je veux devenir diplomate pour aider mon pays“, affirme-t-elle. “Mais je veux aussi dire que chacun à sa vision de la réussite et du bonheur personnel. Ce n’est pas parce qu’on a une vie dure qu’on n’a pas le droit de se plaindre.”
Rania Biyen a rejoint Mihaela Filipciuc et Assia Kachkach, élèves du lycée Jean-Jaurès et lauréates des éditions 2022 et 2020, ainsi que May de Sousa, élève du lycée Eugénie Cotton, gagnante de la première édition du concours en 2019.
“Ce soir, on a vu neuf personnes authentiques”
“C’est une magnifique promo avec des candidates qui ont parlé avec leur cœur, librement, à partir de leur propre vision de ce que doit être une parole forte. Et on est jamais aussi convaincant que lorsqu’on est authentique. Ce soir, on a vu neuf personnes authentiques“, les salue Clément Viktorovitch.
“Ça été difficile de décider parce que nous avons été extrêmement impressionnés et émus par l’art oratoire qui vient d’être développé“, a commenté Patrice Bessac, le maire de Montreuil. “Ce concours n’est pas un concours de caniche savant. La formation que nous dispensons n’est pas une formation au conformisme. Notre culture est la liberté. Ici on s’affirme…”
“Ce n’était pas vraiment un concours d’éloquence“, a relevé Marianne Doury, professeure en sciences du langage à l’université Paris Descartes et membre du jury, “dans la mesure où, réussir, dans la plupart des concours d’éloquence, c’est être capable de produire des discours propres sur des positions dont on a rien à faire. Ce soir, on a entendu des gens qui nous parlaient de ce en quoi il croyaient.“
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