Une grande fête populaire et un gros coup de pub pour un département qui n’avait pas 20 ans. Voilà ce que fut le Tour de France 1983 pour le Val-de-Marne, moyennant finances et chaud débat politique. Du prologue à la dernière étape, et surtout la deuxième, les stars cyclistes de l’époque, comme Laurent Fignon, ont sillonné le département dans tous les sens. En piste.
Le Tour de France et la banlieue parisienne, c’est de l’histoire ancienne. Déjà en 1903, c’est de l’auberge du Réveil Matin, à Montgeron, que s’élance la première Grande Boucle. Le Val-de-Marne n’est pas en reste avec des étapes à Nogent-sur-Marne (1963, 1979), Rungis (1971), Le Perreux-sur-Marne (1979), Créteil (1969), Fontenay-sous-Bois (1980, 1981 et 1982). Quant au bois de Vincennes, son très beau vélodrome, La Cipale, a accueilli l’arrivée du Tour de 1968 à 1974, avant qu’elle rejoigne les Champs-Élysées. Mais c’est surtout en 1983 que le Val-de-Marne tint le premier rôle dans cette manifestation sportive.
Tout commence en 1982, lorsque la Société du Tour de France boucle le financement de sa prochaine édition, en quête de collectivités prêtes à mettre au pot pour accueillir le tour. C’est un mordu de vélo, Louis Bayeurte, maire et conseiller général communiste de Fontenay-sous-Bois, qui se met sur le dossier.
163 km entre Nogent et Créteil !
Le programme est généreux. Une journée de présentation des coureurs, un prologue de 5,5 km à Fontenay et une première étape de Nogent-sur-Marne à Créteil. Alors que les deux communes ne sont séparées d’à peine 9 km, les organisateurs réussissent à concocter un parcours de 163 bornes ! Après un départ fictif devant la mairie de Nogent, le vrai démarrage s’effectue au Perreux-sur-Marne, avenue Ledru Rollin, direction pont de Bry-sur-Marne. Suivent Champigny-sur-Marne, Saint-Maur-des-Fossés, Chennevières-sur-Marne, Villiers-sur-Marne, Le Plessis-Trévise, La Queue-en-Brie, Noiseau, Sucy-en-Brie, Boissy-Saint-Léger, Limeil-Brévannes, Valenton, Villeneuve-Saint-Georges, Ablon-sur-Seine, Villeneuve-le-Roi, Orly, Thiais, Rungis, Fresnes, L’Haÿ-les-Roses, Cachan, Arcueil, Gentilly, Le Kremlin-Bicêtre, Villejuif, Thiais, Vitry-sur-Seine, Choisy-le-Roi, Ivry-sur-Seine, Charenton-le-Pont, Saint-Maurice, Joinville-le-Pont, Maisons-Alfort, Créteil, et de nouveau Limeil, Valenton etc. pour une nouvelle boucle avant d’arriver à Créteil, rue des Mèches. Au total, 35 communes voient défiler le tour, parfois deux fois. Seul le plateau briard est un peu oublié.
Prêts à se faire l’étape ?
Pour les cyclistes qui souhaitent se faire la première étape de 1983, ci-dessous le tracé détaillé, issu des Archives départementales du Val-de-Marne.
- De Nogent à Limeil : les 30 premiers kilomètres
- De Valenton à Vitry : du 31ᵉ au 74ᵉ km
- D’Ivry à L’Haÿ-les-Roses : du 75ᵉ au 116ᵉ km
- De Cachan à l’arrivée à Créteil
Chaud débat sur l’addition avec l’opposition
L’addition est à la hauteur de la communication : 2,9 millions de francs. Convertis en euros de 2022 en tenant compte de l’inflation, cela revient à environ 1 million €. Lors de la séance du conseil général du 21 juin 1982, la douloureuse fait tousser dans l’opposition. “Recevoir le Tour de France, c’est mettre en valeur notre département et ce que nous faisons depuis 14 ans, c’est offrir un grand moment d’animation à la population“, plaide Louis Bayeurte*. “C’est un projet somptuaire. Le montant correspond à l’ensemble des subventions accordées aux associations aidées par le département. Avec cet argent, nous pourrions envoyer les enfants des chômeurs en vacances ou aider les clubs du troisième âge“, réplique Robert-André Vivien*, député-maire et conseiller général RPR de Saint-Mandé.
*Les citations ci-dessus sont issues des enregistrements sonores des séances mis en ligne par les archives départementales du Val-de-Marne. Ecouter à partir de 1:43:53
Rediscuté la semaine suivante, après quelques amendements, précisant notamment que les villes n’auront pas à participer, le projet se heurte cette fois aux réserves du député-maire-conseiller général RPR de Nogent, Roland Nungesser**. Il rappelle avoir payé beaucoup moins cher pour le passage du tour dans sa commune quatre ans plus tôt. Il craint également une répartition de l’événement au détriment des fiefs de droite. “Nous ne pouvons pas voter des crédits ici et régler ça au bureau où ne siège pas l’opposition !“.
“[Être] ville de départ ou ville-étape, ce n’est pas la même chose que le programme proposé qui prévoit des manifestations en une. Par ailleurs, si l’on peut regretter ses aspects commerciaux et publicitaires, nous n’avons pas souvent l’occasion d’accueillir un événement aussi important et il faut relativiser son coût par rapport au budget de fonctionnement du département“, lui oppose Laurent Cathala**, à l’époque lui aussi député-maire-conseiller général de Créteil, pour le PS. “Vous raisonnez comme un banquier. C’est une discussion d’épicier“, tacle encore Gaston Viens**, maire-conseiller général d’Orly, qui fut historiquement le premier président du département.
**Les citations ci-dessus sont issues des enregistrements sonores des séances mis en ligne par les archives départementales du Val-de-Marne pour la séance du 28 juin. À écouter à partir de 48:35
Joker : la dernière étape partira d’Alfortville
La délibération étant votée. Le deal est signé le 7 septembre 1982, à l’hôtel du département, entre le président du département, Michel Germa (PCF), et le directeur de la société du Tour de France, Félix Lévitan. Le programme est réglé comme du papier à musique. La présentation des coureurs est prévue au Palais des Sports Maurice-Thorez à Vitry-sur-Seine, le 30 juin.
Le 1er juillet, le prologue du 70ᵉ Tour de France se disputera à Fontenay-sous-Bois pour un contre-la-montre de 5,5 km. À cette occasion, la ville inaugure son avenue Louison Bobet, en hommage au triple vainqueur du Tour, qui habite alors la commune.
L’étape valdemarnaise mythique se tiendra le vendredi 2 juillet.
Cerise sur le gâteau, Alfortville est finalement retenue comme ville de départ de la dernière étape, le 24 juillet. Et de quatre journées de Tour de France pour le Val-de-Marne !
Parcours monotone mais grande fête
Le jour J, ce parcours qui repasse plusieurs fois dans les mêmes villes de banlieue n’enchante pas tout le monde. “Le Tour dans un mouchoir de poche”, s’amuse le chroniqueur de l’Agence France-Presse. “Le département a confisqué le Tour pour le faire tournoyer sur ses terres deux journées entières“, ironise Le Figaro. À Libération, on estime que ce départ en Val-de-Marne n’a pas de grand intérêt sportif. “Les choses sérieuses débuteront ensuite“. Pour L’Humanité, c’est moins le parcours qui chagrine que l’absence pour blessure du champion Bernard Hinault. Mais c’est le futur vainqueur de ce Tour 1983, Laurent Fignon, qui fut pourtant licencié de l’US Créteil en 1980 et 1981, qui se lâche le plus, dans un entretien accordé au Républicain du Val-de-Marne. “Le parcours a été assez douloureux. Pour un Tour de France, c’est pas l’idéal. Les organisateurs auraient pu trouver autre chose. Heureusement qu’il n’a pas plu !“.
Voir aussi le détail du Tour 1983 sur Wikipédia
Après le Val-de-Marne, la Seine-Saint-Denis et les Hauts-de-Seine
En dépit des critiques et des contraintes d’organisation (coupures des RN4, RN6, interruption de lignes de bus, déplacement de marchés), le public local, lui, applaudit des deux mains. Et la foule se presse sur les trottoirs. Le Val-de-Marne fait parler de lui à l’international. L’année suivante, c’est la Seine-Saint-Denis qui signera un partenariat similaire avec la société du Tour de France. Depuis, les départements restent une manne pour le Tour. En 2022, ASO, son organisateur, a ainsi signé un contrat de partenariat de trois ans avec les Hauts-de-Seine, non pas pour accueillir des étapes mais pour s’afficher comme parrain du classement des meilleures équipes.
Le première photo a été prise au carrefour des Rigollots à la limite de Fontenay-sous-Bois et de Vincennes. Le cycliste et la Peugeot 505 arrivent de la rue Dalayrac et prennent l’avenue de la République.
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