Demande de droit d’asile, bilans médicaux, ordonnance d’échographie… Dans un café de La Courneuve, Mariam, visage vieilli par des mois de vie à la rue, trie fébrilement ses papiers rangés dans une pochette plastique. Sous sa robe ample se devine un ventre arrondi par cinq mois de grossesse.
Tandis que l’assistante sociale Anne-Sophie Daire appelle l’avocate chargée du suivi de sa demande d’asile, Virginie Le Cornec, la sage-femme, analyse ses derniers bilans médicaux effectués par la Protection maternelle et infantile.
L’exilée ivoirienne de 32 ans fait partie des 145 femmes enceintes ou avec enfant de moins d’un an en situation de mal-logement signalées au cours des 12 derniers mois à l’équipe mobile santé périnatalité de l’association Groupe SOS Solidarités en Seine-Saint Denis.
Anne-Sophie Daire et Virginie Le Cornec sillonnent le département depuis décembre 2022 pour offrir accès aux droits, soutien psychologique, vêtements, colis alimentaires et d’hygiène et consultations médicales aux femmes orientées par le 115 (numéro d’urgence pour les sans-abri) vers l’association.
Fuir l’excision
Mariam, ancienne victime de violences familiales et gynécologiques, a fui son pays d’origine et ses “rituels” – elle désigne ainsi l’excision – pour la France en avril dernier.
Le jour, elle est à la Marmite, un lieu d’accueil pour personnes sans-abri à Bondy. La nuit, elle dort dehors, à Aubervilliers, à quelques kilomètres de là, avec celui qu’elle présente comme “son mari”, lui aussi sans-abri.
“Les femmes à la rue sont particulièrement vulnérables. Il arrive qu’elles se mettent en couple pour s’assurer la protection d’un homme”, explique Anne-Sophie Daire.
Nomadisme médical
En 2023, le réseau Solipam (Solidarité Paris maman) a constaté une hausse des signalements de femmes enceintes ou avec enfants en bas âge effectués par le 115 notamment.
“En 2022, nous avions aidé 650 femmes en Ile-de-France. Mais ces chiffres ont été atteints dès le mois d’octobre 2023”, déplore Julia Lucas, assistante sociale au sein du réseau qui coordonne le suivi de grossesse et l’accès aux droits des femmes précaires.
“Nous suivons actuellement 195 femmes et/ou familles, et parmi elles, 52% sont à la rue ou en situation d’errance”, ajoute-t-elle.
A Paris, 10% des personnes sans-abri sont des femmes, selon les données de la Nuit de la solidarité 2023 (opération de comptage des personnes sans-abri réalisée sur une nuit et chapeautée par la mairie).
Depuis 2019, l’Agence régionale de santé (ARS) mesure chaque mardi le nombre de femmes sans-abri dans 27 des 45 maternités publiques d’Ile-de-France. A l’automne 2023, elles étaient 50, contre 15 en 2021, selon l’agence.
“Quand les femmes ne sont pas convenablement hébergées, elle se désinvestissent, malgré elles, de leur grossesse. Les risques pour la santé sont multiples: beaucoup de stress, du diabète gestationnel, des enfants nés prématurés…”, explique Mme Le Cornec.
Errance administrative et nomadisme médical font partie du quotidien de ces femmes précaires. Depuis le début de l’année, Véronique Boulinguez, sage-femme “volante” dépendant de la mairie de Paris, a reçu 249 femmes enceintes dans des accueils de jour parisiens.
“Mon travail perd de son sens. Je préconise le repos à une femme enceinte qui va repartir vivre à la rue en sortant de consultation”, témoigne la sage-femme de 63 ans.
Ce matin-là, elle assure ses consultations au sein de l’accueil de jour Emmaüs du 15e arrondissement. Devant sa porte, les familles se pressent. Parmi elles, une maman et son bébé de deux mois.
Il arrive qu’elle oriente aussi les femmes qu’elle rencontre vers le Centre de protection maternelle (CPM-Cité) de l’Hôtel-Dieu.
Situé au sixième étage de l’hôpital, le CPM-Cité assure le suivi des femmes enceintes sans Sécurité sociale ni logement depuis 2019. Il a suivi plus de 2 200 femmes depuis son ouverture.
Charlène, 32 ans, doudoune et bonnet enfoncé sur les oreilles, est mère d’une fillette de trois ans. Enceinte de cinq mois, elle est venue faire sa demande d’Aide médicale d’Etat. Ce soir, comme toutes les nuits depuis trois semaines, elle et sa fille dormiront dans une tente installée sous un pont du centre de la capitale. À la fin de l’entretien, elle demande, d’une voix angoissée : “Si j’accouche dans la rue, est-ce que le 115 va venir m’enlever mon enfant ?”
N'envoyez que des photos que vous avez prises vous-même, ou libres de tout droit. Les photos sont publiées sous votre responsabilité.