Environnement | Ile-de-France | 20/10/2023
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Ile-de-France : l’appel d’offres du marché de l’eau potable du Sedif sur la sellette après des grosses fuites de documents confidentiels

Ile-de-France : l’appel d’offres du marché de l’eau potable du Sedif sur la sellette après des grosses fuites de documents confidentiels © Susanne Jutseler

4,3 milliards d’euros sur douze ans, tel est le mondant du marché de production d’eau potable lancé par le syndicat intercommunal Sedif il y a deux ans. Un appel d’offres stratégique pour les deux leaders et concurrents, Veolia et Suez. Depuis le printemps toutefois, une fuite de documents confidentiels de Suez en direction de Veolia sème confusion et suspicion. Explications.

Pour rappel du contexte, le Sedif, syndicat intercommunal des eaux d’Ile-de-France, gère l’eau potable de 133 communes de la région, représentant 4 millions d’habitants, soit le tiers de la population francilienne. Concrètement, le syndicat est responsable de la captation de l’eau (notamment dans le Seine et la Marne), de son traitement et de sa distribution via les canalisations. Le syndicat, dirigé depuis quarante ans par André Santini, maire d’Issy-les-Moulineaux, existe depuis 1923.

Et depuis toujours, il délègue cette mission au même opérateur, la société Veolia. Historiquement dénommé la Compagnie générale des eaux, le prestataire est devenu ensuite Vivendi Environnement avant de prendre le nom de Veolia. Seul le mode de gestion a changé, passant de régie intéressée à délégation de service public (DSP) en 2011. Ce mode délègue davantage à l’opérateur, lui conférant ainsi plus de risques mais aussi plus de marge de manœuvre et de gains potentiels. 

Si le Sedif travaille avec Veolia depuis un siècle, le syndicat remet néanmoins le marché en question régulièrement, conformément à la loi. C’est dans ce contexte qu’un appel d’offres a été lancé fin 2021 pour la période 2025 – 2037.

Fuite de documents de Suez vers Veolia

Depuis, des offres ont été déposées, suivies d’échanges importants entre les candidats et le Sedif. Le dossier est, en effet, très technique. La somme de documents est la hauteur des enjeux, se chiffrant en milliers de pages. Et, les informations, sont, bien sûr, ultra-confidentielles, car ultra-concurrentielles. Auparavant transportées par camions sécurisés, elles sont désormais partagées via des plateformes numériques sécurisées. Pour cet appel d’offres, c’est la société en charge de l’assistance à maîtrise d’ouvrage, Naldeo, qui pilote cette plate-forme et gère les accès des différents protagonistes.

C’est dans ce contexte que, selon des informations de Marianne, en juillet dernier, puis de nouvelles révélations de BFM Business ce 19 octobre, des documents de Suez ont été transmis à Veolia. Selon un rapport informatique cité par BFM Business, un opérateur de Naldeo a ainsi donné des droits d’accès à des documents de Suez à deux cadres de Veolia le 4 avril. Toujours selon BFM Business, l’informaticien a, ensuite, bien supprimé les accès le 5 avril au matin, mais, le 5 avril au soir, il a cette fois supprimé l’accès à des membres de Naldeo et du Sedif, et redonné l’accès aux deux cadres de Veolia. L’un d’eux a alors téléchargé 550 documents, émanant de Suez et de Veolia. De quoi semer un sacré doute sur les conditions équitables de l’appel d’offres.

Ce jeudi, la société Naldeo s’est inscrite en faux contre l’hypothèse d’un acte volontaire. “Le partage des documents a dysfonctionné”, a réagi Didier Carron, directeur de projets chez Naldeo Stratégies publiques. L’ingénieur cité “a 24 ans mais il a deux ans d’expérience, et il est très professionnel”, a-t-il dit à l’AFP. “L’erreur s’est répétée, des droits même ont été supprimés, c’était un dysfonctionnement de la plateforme”, a-t-il encore dit, ajoutant avoir fait faire un constat d’huissier le 6 avril.

Le Sedif va saisir le Tribunal administratif

Pour l’heure, le rapport effectué par le syndicat a conclu un dysfonctionnement informatique, et non du hacking. Le syndicat indique avoir ainsi adressé des courriers au cours de l’été à la société TransfertPro, qui fournit le logiciel informatique d’échange. Auprès de BFM Business, TransfertPro a toutefois rejeté toute responsabilité. “Notre solution fonctionne parfaitement, il n’y a aucune erreur de programmation”, a insisté son patron Amaury Behaghel.

Qui est responsable ? Y-a-t-il eu intention de fausser la concurrence ? Le Sedif a annoncé jeudi “solliciter le tribunal administratif” en référé, pour “connaître les causes et responsabilités inhérentes à l’incident informatique extérieur au Sedif”.

L’appel d’offres continue, mais sur la base des documents d’avant la fuite

Suite à cette énorme boulette, le processus d’appel d’offres a été suspendu plusieurs mois, jusqu’à ce que le président du Sedif, André Santini, ne propose de le relancer sur la base des offres intermédiaires remises par les groupes en novembre 2022. Pas de retour à la case départ donc, mais à une étape intermédiaire, avant la fuite des documents.

Selon un porte-parole du Sedif, cette décision s’appuie sur la jurisprudence de l’arrêt Transdev, qui fait référence à une autre affaire de marché public, dans les transports, en 2017. Alors que Transdev avait par erreur eu en main une clé USB contenant la proposition de Keolis, Lille, qui avait passé l’appel d’offres, avait finalement arrêté son choix en l’état des propositions à la veille de l’incident.

En dépit de ces difficultés, le calendrier d’attribution du marché reste le même, à savoir désignation du lauréat au 1er semestre 2024, pour un démarrage au 1er janvier 2025, indique le Sedif.

Entre-temps, le syndicat devra avoir répondu aux conclusions du Débat public, qui l’invite à mieux justifier son projet d’usines de traitement de l’eau à près d’un milliard d’euros. Cette réponse est attendue mi-novembre.

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