A genoux dans la terre, sécateurs en main, les étudiants achèvent leur toute première récolte de chou kale… à l’orée du bois de Vincennes. Ces récents reconvertis, anciens cadres ou profs, se sont lancés dans l’agriculture urbaine, mus par des convictions écologiques.
L’école Du Breuil, dix hectares de jardin aux portes de Paris, délivre depuis 2020 un rare Brevet professionnel responsable d’entreprise agricole (BPREA) centré sur l’agriculture urbaine et péri-urbaine.
Jeunes diplômés, anciens cadres ou professeurs de lycée… “Nos recrues n’ont en général aucune attache dans le monde agricole. Elles veulent se réorienter vers un métier qui a du sens, en l’occurrence une agriculture respectueuse de l’environnement”, explique Romain de Swarte, responsable pédagogique du BPREA.
Une ferme entre les barres d’immeubles et la forêt de Bondy
Christèle, 53 ans, ex-prof originaire de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), voudrait ouvrir une ferme entre les barres d’immeubles et la forêt de Bondy, où elle initierait les scolaires au développement durable. Charlotte Alaux, 32 ans, a quitté une grande maison d’édition pour se lancer dans la production de fleurs comestibles. Mathieu Moureu, 32 ans aussi, voudrait exploiter les “nombreux terrains en friche” de Clamart, dans les Hauts-de-Seine, sa ville d’origine.
Dans les serres de l’école, une cinquantaine d’étudiants apprend chaque année à faire pousser cresson, carottes, laitues, fraises et oignons sur de menues parcelles d’un mètre sur quatre.
Dans le jardin, en partie ouvert au public, où se croisent apprentis fermiers en salopette et promeneurs, ils récoltent cet hiver épinards, courges et choux kale.
“Ces derniers temps, on voit des aberrations écologiques toute la journée. On finit par avoir l’impression de ne plus pouvoir agir. J’ai voulu faire quelque chose à mon petit niveau, dans le secteur de l’alimentation”, explique Laura Bessis, ancienne communicante de 30 ans, ciré jaune sur le dos et tarière à la main.
Du bout de cette longue tige de métal, elle prélève un échantillon de terre du potager, qu’elle fera ensuite analyser en laboratoire afin de vérifier que le sol n’est pas trop pollué pour être cultivé.
“En ville, on peut trouver des traces de métaux lourds dans les sols, notamment à cause des constructions alentour. Ici par exemple, il y a dans certaines parcelles des résidus de mâchefer (matériau de construction, NDLR), alors on vérifie dès qu’on en cultive une nouvelle“, explique Arnaud Duplat, formateur et jardinier-chef de l’école Du Breuil
Fondée en 1867 par le préfet Haussman pour instruire les jardiniers de Paris, l’école d’horticulture ambitionne aujourd’hui de former une “nouvelle génération d’agriculteurs” capable de repenser “le modèle agricole des villes et leur dépendance alimentaire”, raconte Romain de Swarte.
En France, le nombre de fermes maraichères urbaines a doublé ces dix dernières années, affirme Christine Aubry, ingénieure à l’institut AgroParisTech et enseignante du BPREA.
D’après la chercheuse, la crise sanitaire a notamment dopé les ventes de fruits et légumes via les Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) à des urbains de plus en plus “méfiants du système alimentaire actuel” et friands de produits dont ils connaissent la provenance.
L’agriculture urbaine ne contribue pas encore à réduire la précarité alimentaire
Mais l’espace disponible étant limité en ville et proche banlieue, ces produits locaux restent rares, et donc chers. “Pour le moment, c’est un système considéré comme assez élitiste. L’agriculture urbaine ne contribue pas encore à réduire la précarité alimentaire. Mais cela pourrait changer dans les prochaines années, si elle continue à se développer et que les fermes sont davantage subventionnées”, affirme Christine Aubry.
En attendant, les futurs maraichers de l’école Du Breuil misent sur la pédagogie et le “lien social”, prévoyant tous d’accueillir chez eux public scolaire et curieux.
“Au milieu des champs de betterave, c’est sûr qu’on ne croise pas grand monde. En ville c’est différent, les gens viennent poser des questions sur ce qui est cultivé, les produits utilisés”, pose Arnaud Duplat. Et sourit, pointant un célèbre désherbant chimique: “A priori, pas du Roundup.”
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