Né d’un projet fou de deux enseignantes habitantes de Saint-Denis, “le Wagon” rouvre ses portes. Après deux ans de restauration, son avenir reste en suspens mais la voiture projette son ouverture au public en 2025. Reportage.
Sur l’avenue Jean Moulin à Saint-Denis, “le Wagon” saute aux yeux. L’engin trône depuis trente ans derrière les grilles du parking du lycée Paul Eluard. A l’intérieur, deux expositions ont été installées pour accueillir les visiteurs des journées du patrimoine. C’est la troisième fois que le Wagon y participe. Au programme également, une conférence et des visites guidées.
“Transmettre autrement”
“Nous voulons en refaire un café-restaurant, mais aussi un espace qui puisse être comme aujourd’hui, amovible pour organiser des expositions, des conférences, des projections de films…“, explique Gaëlle Leroux, professeur à Deuil-la-Barre (Val d’Oise). Avec Fanny Capel qui enseigne justement au lycée Paul Eluard, elles se sont lancées dans cette aventure en 2020. Toutes deux sont professeures agrégées de français et vivent à Saint-Denis.
“Mais ne dites pas wagon, les cheminots me taperaient sur les droits ! C’est une voiture“, précise Gaëlle Leroux.
Acquise en 1992 auprès de la SNCF par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) de Seine-Saint-Denis, la voiture fait office de restaurant d’insertion. En 2009 toutefois, la PJJ a décidé d’en fermer les portes. “On voyait qu’il était abandonné, squatté et abîmé“, se rappelle Gaëlle Leroux. “Fanny rêvait d’en faire un club de lecture et de cinéma pour le lycée.”
L’objet revêt aussi valeur patrimoniale : conçue en 1966, c’est l’historique voiture-restaurant du Capitole, le premier train à grande vitesse français qui reliait Paris et Toulouse. Sur 42 exemplaires, c’est un des rares qui existent encore. Certains éléments sont encore d’époque comme des banquettes, les tables, les porte-bagages, les manivelles ou les porte-manteaux.
Le déclencheur : l’assassinat de Samuel Patty
Pour les deux profs, le véritable déclencheur a toutefois été l’assassinat de Samuel Patty. “Ça nous a fait nous interroger sur le rapport du monde enseignant et l’éducation en général avec les élèves et les parents. On s’est dit que quelque chose avait été loupé pour en arriver là. À ce moment-là, notre métier nous pesait.” À travers cette rénovation, les enseignantes souhaitent “transmettre la culture autrement, pour créer une autre relation avec les jeunes qui soit pas dans un rapport frontal de classe“, confie Gaëlle Leroux.
Une rénovation en attente faute de fondations
En janvier 2021, les complices créent leur association, Les dyonisiaques, qui acquiert la voiture à l’euro symbolique l’été suivant. Commence alors un travail titanesque. “Quand on l’a récupérée, tout était sale, il y avait des broussailles partout. On a tout nettoyé et enlevé tous les éléments qui n’étaient pas d’origine. On a remis l’eau et le chauffage, des wc et une alarme.”
Dès la rentrée 2021, elles ouvrent “le Wagon” à l’occasion des journées du patrimoine. La SNCF, et son pôle patrimoine les accompagne à travers un mécénat de compétence. En plus d’un soutien financier, elle les met en lien avec des associations de cheminots qui font les visites guidées et leur met à disposition son réseau de communication comme la plateforme “Affluences” pour réserver les visites lors des journées du patrimoine.
“Quand on a réalisé que le projet allait prendre plus de temps que prévu, on s’est dit qu’il fallait promouvoir le lieu pour le faire vivre. On a donc une programmation culturelle tous les ans. En juin 2022, on a fait notre inauguration suivie des Journées du patrimoines et d’une exposition de sculptures réalisés par des artistes du 6B et du Bateau-Lavoir“, indique Gaëlle Leroux.
Pour l’heure toutefois, le Wagon ne peut organiser que des événements ponctuels. Les travaux de rénovation sont encore loin d’être achevés. “Il faut changer les fenêtres car certaines sont brisées, rénover la caisse“, énumère l’enseignante. Le principal problème vient du terrain. “La région Ile-de-France, propriétaire du terrain, a confirmé l’année dernière qu’il y a un affaissement“, indique-t-elle. Une situation qui s’explique par l’absence de fondations et le poids de la voiture-restaurant qui pèse 50 tonnes. “Du coup, on est bloquées parce que tant qu’on n’a pas de fondations, on ne va pas commencer à rénover. Ça suppose de soulever la voiture et d’engager des travaux lourds.”
“Mélanger les pratiques professionnelles et amateurs“
En attendant, le Wagon a obtenu le label patrimoine d’intérêt régional et la programmation se poursuit de plus belle. Pour l’édition 2023 des journées du patrimoine, les visiteurs pourront voir les œuvres de Jean-Masly René, élève en section maroquinerie du lycée professionnel Frédéric Bartholdi et peintre autodidacte ainsi que les photographies des élèves de BTS du lycée Paul Eluard réalisées dans le cadre d’un projet avec la photographe dyonisienne Anna Rouker.
“On veut aussi mélanger les pratiques professionnelles et amateurs. Même si on n’est pas ici en tant que prof, on veut garder un lien fort avec les jeunes et faire rayonner la Seine-Saint-Denis.” Le tapis rouge, lui, a été installé l’année dernière pour une exposition mode et maroquinerie réalisée par des élèves du lycée Frédéric Bartholdi situé à quelques mètres. Ce sont aussi des élèves du BTS électronique de Paul Eluard qui ont réalisé une installation son et lumière pour l’inauguration. Pour l’occasion, des élèves l’Institut médico-éducatif des Moulins Gémeaux ont également aidé le graffeur Marko 93 à repeindre le Wagon qui arbore depuis la silouhette de Trombonne shorty, un musicien de jazz américain. Au volet restauration, l’association a conclu un partenariat avec le lycée Rabelais de Dugny qui a déjà préparé et servi deux repas en mai dernier.
“Il y a une véritable attente parce qu’il n’y a pas de commerces ou de cafés ici“
Malgré l’incertitude, les deux enseignantes s’accrochent. “Au départ, on n’avait pas vraiment conscience de l’aspect chronophage du projet. On a tout de suite été portées par un enthousiasme fort parce que toutes les portes se sont très vite ouvertes. Il y a toujours des gens qui viennent demander quand ça ouvre. Il y a une véritable attente parce qu’il n’y a pas de commerces ou de cafés ici alors que l’on n’est qu’à 300 mètres du centre-ville. Ça aussi du sens d’amener de la culture dans d’autres quartiers. Ici, ce n’est pas un lieu de convivialité. Pendant un temps, il y avait de la violence sur le parvis du lycée. Pourtant c’est un lieu de passage : il y a les lycées, des écoles, la piscine La Baleine, la CAF, le commissariat… On aimerait accueillir les familles, les femmes.”
Des visiteurs qui participent aussi, à l’instar de Binta, une élève de terminale du lycée Paul Eluard, venue voir avec une amie l’installation à la veille des journées du patrimoine. Elle a apporté son aide à l’association dès le départ du projet et gère maintenant son compte Instagram. “J’ai préféré venir ici que de rester en permanence au lycée. Au début, ça sentait mauvais, c’était sale. Maintenant, c’est beau et il y a des toilettes“, plaisante-t-elle. “C’est bien que cet endroit existe pour les jeunes. C’est calme et chaleureux. On pourra venir y manger et se poser pour lire. J’aime bien le mélange café-culture. Et c’est innovant de voir un wagon comme ça au milieu du trottoir !, ajoute-t-elle.
Forte de son succès, l’association a demandé à la SNCF de pouvoir augmenter la jauge de 15 à 20 visiteurs pour les journées du patrimoine. À la Toussaint, le Wagon accueillera une partie du festival hip-hop de Saint-Denis. L’ouverture publique, elle, est prévue en 2025.
N'envoyez que des photos que vous avez prises vous-même, ou libres de tout droit. Les photos sont publiées sous votre responsabilité.