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Histoire | Ile-de-France | 26/04/2023
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La dernière victoire du tirailleur sénégalais Yoro Diao, 95 ans, à Bondy

La dernière victoire du tirailleur sénégalais Yoro Diao, 95 ans, à Bondy

“C’est une victoire !” Ce vendredi, Yoro Diao, vétéran des guerres d’Indochine et d’Algérie au service de la France, retournera définitivement au Sénégal avec d’autres tirailleurs, après une longue bataille avec l’administration française. À 95 ans, il ne sera plus obligé de passer au moins six mois par an en France pour toucher sa retraite.

“Nous rentrons chez nous pour vivre avec nos petits-enfants” après “les affres de la guerre et de la vie !” Dans son studio, situé dans un foyer de Bondy, l’effervescence et le chamboulement du grand départ pour rentrer à Kaolack (centre du Sénégal) sont palpables. Le costume impeccable, couvert de ses nombreuses médailles militaires, il savoure l’instant. Trois valises s’entassent au sol, encombrant l’espace entre son lit et un bureau débordant de dossiers administratifs. 

Légion d’honneur : “C’est le président Hollande qui devait me décorer mais il n’avait pas le temps

Une autre a été coincée sous son lit, pleine de photos de famille et de “camarades” anciens combattants, “des souvenirs” qu’il regarde ému, dont la cérémonie où il a reçu la Légion d’honneur en 2017. “C’est le président Hollande qui devait me décorer mais il n’avait pas le temps, alors il a délégué le préfet…”, glisse-t-il avec malice.   Des pense-bêtes sont posés ça et là car sa mémoire lui joue des tours. Dans le stress, il a ainsi mis dans son container de déménagement son passeport rangé dans une veste…  

Le corps français des “Tirailleurs sénégalais”, créé sous le Second Empire (1852-1870) et dissous dans les années 1960, rassemblait des militaires des anciennes colonies d’Afrique. Le terme a fini par désigner l’ensemble des soldats d’Afrique qui se battaient sous le drapeau français. Ils ont participé aux deux Guerres mondiales et aux guerres de décolonisation. 

37 tirailleurs sénégalais en France

Selon l’Association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais, 37 tirailleurs – tous d’origine sénégalaise, et ayant servi principalement en Indochine et en Algérie – vivent en France. Parmi eux, un premier groupe – M. Diao et huit autres, âgés de 85 à 96 ans, – s’envolera vendredi pour le Sénégal.

Ce retour a été rendu possible grâce à une mesure dérogatoire décidée par le gouvernement français, qui leur permet de vivre en permanence dans leur pays d’origine, sans perdre leur allocation minimum vieillesse de 950 euros par mois. Une aide exceptionnelle de l’Etat finance leur déménagement, leur vol retour et leur réinstallation.

La bataille d’Aïssata Seck

Ces mesures sont les ultimes batailles menées par Aïssata Seck, 43 ans, petite-fille d’un tirailleur et présidente de l’Association. Cela fait dix ans qu’elle lutte pour ces “anciens”. “Choquée” par leurs conditions de vie et leurs difficultés souvent “humiliantes” dans leurs démarches administratives.  

“Il y a eu négligence” de l’Etat à leur égard, martèle la conseillère régionale d’Ile-de-France et conseillère municipale à Bondy, rappelant que la France n’a levé qu’en 2006 les mesures de gel qui bloquaient les pensions des anciens combattants coloniaux, contrairement à celles des anciens combattants français qui étaient revalorisées.

Elle lance en 2016 une pétition et l’ex-président François Hollande accorde aux tirailleurs la nationalité française en 2017. Puis le gouvernement d’Emmanuel Macron annonce début 2023 cette mesure dérogatoire pour leur allocation.  “J’ai rien lâché” pour rappeler leurs “sacrifices”, lâche l’élue.

Des années d’enfer

Engagé volontaire dans l’armée française par tradition familiale, Yoro Diao témoigne avoir “donné sa jeunesse à la France” et avoir été “touché au moral” par la perte au combat de compagnons d’armes. Comme celle de son grand ami Fernand Lotier, un soldat français tué à ses pieds en Indochine. “Il a pris une balle en pleine poitrine ; il m’a dit -Yoro je vais mourir !, j’ai dit – non Lotier quand même ! puis il m’a montré sa blessure… “

Yoro Diao raconte avec acuité l’enfer de cette guerre d’Indochine où il a passé trois ans à partir de 1951, dans des “pluies torrentielles”, et les “animaux charognards qui mangeaient la chair humaine”“C’était terrible… j’étais infirmier major, chef des brancardiers; (je transportais) les blessés sous le feu de l’ennemi; c’est la baraka, j’ai pas été blessé mais j’ai perdu beaucoup de camarades”, souffle-t-il. Puis il sera mobilisé pour la guerre d’Algérie, encore deux longues années. Alors, cette obligation de passer six mois par an en France, l’ancien soldat l’a vécue avec incompréhension et a souffert “d’isolement”, n’ayant pas les moyens pour faire venir sa famille.  

Sanctionné pour s’être rendu au chevet de sa femme mourante, deux fois dans l’année

Avec pudeur, il confie être meurtri de ne pas avoir été aux côtés de son épouse quand elle est décédée en 2017. “Je la perds comme ça, sans être présent… nous avons fait 40 ans de mariage, ça faisait mal !”. En 2015, il se rend au Sénégal deux fois (au lieu d’une fois réglementaire) pour s’occuper d’elle. Il est depuis 2016 sanctionné par l’administration française qui lui prélève 66 euros par mois, et lui réclame encore plus de 13 000 euros. “Par rapport à ma carrière militaire, c’est dur…”, lâche l’ex-brancardier.

Des mesures réparatrices qui ont mis trop de temps “pour coïncider avec la vie”

Selon lui, les dernières mesures gouvernementales arrivent ainsi “tard”. Cela a “mis trop de temps pour coïncider avec notre vie…”.  

Mais “mieux vaut tard que jamais”, concède-t-il, évoquant sa joie de revoir ses petits et arrière-petits-enfants. “Je vais bien vivre, je vais manger, je vais me promener dans le village”. 

“Le retour de leur dignité”

Aïssata Seck est “très contente” pour les neuf tirailleurs, qui “rentrent de manière sereine”. “C’est le retour de leur dignité”, lance-t-elle. 

par Lucie PEYTERMANN

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