Le Théâtre des Quartiers d’Ivry, qui fait partie des 38 centres dramatiques nationaux labellisés français, est en plein arbitrage financier pour parer à l’inflation. Le site d’Ivry-sur-Seine a décidé de réduire sa programmation mais aussi l’Atelier théâtral amateur, au grand dam des élèves, furieux.
Porté sur les fonts baptismaux en 1972 par Antoine Vitez et longtemps dirigée en binôme par Élisabeth Chailloux et Adel Hakim, le TQI (Théâtre des quartiers d’Ivry) a été labellisé Centre dramatique national depuis 2016, après 13 années de préfiguration, et occupe désormais la Manufacture des œillets. Dans cette ancienne fabrique aux volumes XXL, le centre dispose de plusieurs espaces et salles de spectacle dont l’une peut accueillir près de 400 personnes. Au-delà de sa mission de soutien à la création artistique, avec une maison d’auteurs et la production d’œuvres, le CDN accueille une vingtaine de spectacles par saison. Le centre dispose également d’un Atelier théâtral amateur.
Crise de direction, crise sanitaire, explosion de l’inflation…
Le théâtre a subi une grosse crise en 2019, après l’arrivée à sa direction de Jean-Pierre Baro qui a fait l’objet d’une plainte pour viol classée sans suite. Une crise qui a conduit à une chute de la fréquentation et des renoncements d’artistes à venir jouer, jusqu’au départ du directeur.
La situation s’est apaisée avec la nomination de Nasser Djemaï à la tête du théâtre, en octobre 2020. Une période en revanche marquée par la crise sanitaire. Alors que les salles ont pu retrouver leur jauge normale, c’est désormais l’inflation, notamment des coûts de l’énergie, qui plombe les budgets des salles de spectacle. Un phénomène national. “Le coût des fluides a été multiplié par 2,5 et représente aujourd’hui un budget de 200 000 euros”, illustre le directeur, Nasser Djemaï, joint au téléphone. Et l’énergie n’est pas le seul poste à plomber l’ardoise “Tout a augmenté : la conception des décors, les nuitées d’hôtel, les transports, les matériaux, le coût du travail… Le problème est systémique”, détaille le directeur. Point positif en revanche, la fréquentation est de nouveau au rendez-vous, “en augmentation surtout depuis janvier 2023”, indique Nasser Djemaï.
Plan de réduction des coûts de 30%
L’heure est donc aux arbitrages financiers. Après avoir envisagé plusieurs scénarios, dont la suspension pure et simple de son Atelier théâtral amateur, le CDN a réparti ses coupes budgétaires en rognant environ 30% sur tous les postes. Côté programmation, le CDN va réduire d’un tiers le nombre de ses spectacles. “Nous réduisons aussi la coproduction pour les artistes et l’accueil du public. La Maison d’auteurs, qui est au cœur du projet, a également dû diminuer le nombre de ses sessions de travail”, détaille le directeur.
Concernant l’Atelier théâtral amateur, les cours adultes passeront de 33 séances à 24 et démarreront début novembre. Les cours enfants passeront de 30 séances à 24. Ils débuteront dès la mi-octobre mais leur restitution s’effectuera en mai. “Les spectacles de fin d’année prendront la forme de « restitutions du travail mené à l’année» ouvertes au public, sur le plateau de la Fabrique, avec une présence technique plus légère”, propose le théâtre.
“Nous devons agir pour éviter de fragiliser encore plus la situation du TQI. C’est notre priorité. Nos efforts se concentrent sur la mission première d’un Centre dramatique national, celle du soutien à la création et à la production. Malgré tout, nous avons fait le choix d’une saison prochaine avec moins de spectacles. Nous avons également décidé d’assurer le maintien de l’Atelier Théâtral avec une évolution de son activité, qui correspond à nos capacités actuelles”, motive le directeur, Nasser Djemaï, dans un courrier aux élèves et artistes de l’atelier adressé le 11 mai dernier.
Les élèves furieux mettent en avant les subventions touchées par le théâtre
Un courrier qui fait suite à une réunion houleuse qui s’est tenue le 9 mai. “Malgré la qualité des échanges que nous avons eus avec vous, nous tenons à signaler, que nous avons reçu les prises de paroles d’un petit nombre, au minimum comme déplacées voire injurieuses. Nous le regrettons. Cependant, nous comprenons l’émotion à l’annonce de cette évolution nécessaire, et nous préférons rester pour la suite de nos échanges sur le dialogue constructif et respectueux porté par la majorité”, regrette le directeur du théâtre dans sa missive.
De leur côté, Le collectif et l’Association des élèves de l’Atelier théâtral d’Ivry ont réagi par courrier pour dénoncer la diminution du volume horaire de respectivement 20% et 27% pour les enfants et adultes. Pour les élèves, cette baisse n’est pas justifiée au vu du subventionnement du théâtre par la ville, au titre de ces activités.
“Vous nous avez annoncé que les charges annuelles de l’Atelier théâtral étaient entre 90 000 € et 100 000 € et qu’elles avaient généré un déficit de 45 000 € que vous devez combler « de votre poche » car vous considérez que le budget de l’Atelier ne doit fonctionner qu’avec « ses recettes propres », c’est-à-dire les
cotisations des élèves amateurs. Or, nous nous inscrivons en faux contre une telle déclaration, car le CDN est subventionné par la municipalité pour soutenir la création, assurer la régie de l’Atelier théâtral et apporter une éducation artistique aux habitants. L’Atelier théâtral fait partie de l’offre culturelle de la Mairie d’Ivry, au même titre que les ateliers danse, musique et arts plastiques, insistent les élèves qui estiment que le TQI ne peut décider seul du sort de l’Atelier théâtral. “Si vous liez le devenir de l’Atelier à la conjoncture économique, comment pouvez-vous nous assurer que ces premières réductions ne sont pas simplement le premier pas vers une disparition totale ?”, s’inquiètent-ils. “L’économie que vous comptez faire sur les Ateliers est dérisoire par rapport à la subvention conséquente que vous accorde la ville d’Ivry. Ce rognage s’avèrera non seulement inutile, mais il brisera le lien qui est en train de se renouer entre les Ivryens et leur théâtre”, estiment les élèves qui refusent par ailleurs que leur spectacle de fin d’année soit organisé “au rabais”.
Financièrement, le TQI est soutenu à la fois par le ministère de la Culture (1,5 million € en 2022), la ville d’Ivry (740 659 € en 2023) et le conseil départemental (563 000 € en 2023).
“La subvention de la ville concourt au fonctionnement global du CDN dont la mission est de soutenir la création. Il n’y a pas de fléchage pour l’atelier théâtral, rappelle Nasser Djemaï. Notre souhait n’est absolument pas de supprimer l’Atelier théâtral, qui fait partie de l’histoire du territoire, mais de l’adapter à la situation. Il faut aussi se mettre à la place des artistes qui ne peuvent pas mettre en place leur projet.”
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