Vie des entreprises

Les artisans d’art au défi du marketing

78 professionnels étaient au rendez-vous de la 31ème édition du salon des artisans d’art du Val-de-Marne ce week-end, à la Chambre des métiers de Saint-Maur-des-Fossés. Une belle édition qui a rassemblé plus de 4 000 visiteurs malgré la pluie, se réjouit Vincent Diot, président de la CMA 94. L’occasion de découvrir des métiers passion, partagés généreusement avec parfois même des démonstrations sur place.

Certains sont des habitués, à l’instar de Fabien Coutier, coutelier venu du Puy Guillaume. Rompu aux foires et salons, cet artiste du laguiole, dont il explique la mécanique et les nuances de bois dans toutes leurs subtilités, ne laisse rien au hasard, de la mise en valeur de ses œuvres à l’éclairage. “La qualité de l’emplacement en fonction des flux des visiteurs fait toute la différence. Cela peut déterminer la réussite ou l’échec d’un salon”, prévient-il. Situé au bout de l’avant-dernier pavillon, il s’est signalé de loin via un grand kakemono affichant sa marque, et surtout sa mascotte, son ancien chien Alphonse, dont le museau et les grandes oreilles signent les créations. Petite trouvaille 2023, il a même glissé une lumière au dos, pour simuler un soleil couchant !

Dans le pavillon 2, Bernard Lemoine aussi est un habitué des salons. L’artiste nogentais propose des créations 100% recyclées à partir de structures de meubles de seconde main et de caractères d’imprimerie. Sur son stand : des tables et consoles mais aussi des plus petites réalisations pour les cadeaux de fin d’année.

À l’entrée du salon, Ophélie Talhas, céramiste de Champigny-sur-Marne, expose au contraire pour la première fois. L’occasion de se familiariser avec tous les détails devenus une formalité pour les habitués, comme s’adapter au cahier des charges de sécurité. Il faut ensuite donner vie à son espace et sélectionner un nombre forcément limité de créations. “J’ai choisi des pièces qui représentent vraiment mon travail”, témoigne-t-elle, devant une sélection de vases et de tables basses.

Des sélections difficiles pour les créateurs, car il faut donner à voir l’étendue de son savoir-faire tout en facilitant un minimum l’achat d’impulsion d’avant fêtes de Noël. Un défi délicat alors qu’une création artisanale faite à la main, localement, restera inévitablement plus chère qu’un produit manufacturé en Chine. Trouver le juste positionnement n’a donc rien d’évident.

Positionner son produit, identifier ses clients

“Identifier notre clientèle est ce qui a été le plus difficile”, témoigne Carine, qui avait lancé l’Atelier Kymuro pendant la crise sanitaire avec une associée, Audrey. Les deux amies ont décidé d’arrêter cette année, faute de revenus suffisants. C’est après un stage de maroquinerie, concluant de longues années de pratique amateur, que cette professionnelle de la formation s’était lancée à son compte, en plein confinement, à la faveur de premiers clients. “Nous avions le savoir-faire mais n’avions pas du tout pensé les prix, le positionnement… Il nous a fallu tout apprendre sur le tas!” Une expérience formidable, reconnaissent avec enthousiasme les deux associées, mais insuffisamment rémunératrice comme activité principale. Car difficile de vendre à leur prix ces belles pièces de maroquinerie, intemporelles et inusables. “C’est du cousu main, comme le proposent certaines marques de luxe, mais nous ne pouvons pas vendre au même prix.”

Certes, il y a des clients, notamment sur le salon de l’artisanat du Val-de-Marne, qui bénéficie d’un certain nombre de visiteurs aisés et en quête de qualité, mais il est difficile de trouver les canaux pour les cibler de manière récurrente. “En discutant avec d’autres exposants, nous avons compris que c’est dur pour beaucoup d’entre nous. Si l’on n’a pas une autre activité, des formations dans son atelier, par exemple, ou bien un mari qui gagne bien sa vie, c’est assez compliqué”, poursuit la maroquinière qui a retrouvé un emploi dans la formation. Pour l’Atelier Kymuro, ce salon était donc le dernier… jusqu’à nouvel ordre. Un arrêt, mais pas un échec. “Nous avons adoré cette expérience et ne regrettons rien !”

“L’artisanat d’art est souvent sur le fil du rasoir“

“L’artisanat d’art est souvent sur le fil du rasoir, entre pouvoir en vivre, en survivre, ou carrément arrêter”, reconnaît Vincent Diot, le président de la CMA 94. Manque de visibilité, difficulté à développer une approche commerciale… “On peut être un excellent artisan, très habile de ses mains, cela ne veut pas dire que l’on est un bon commercial ou un pro du marketing. Cela fait partie des sujets sur lesquels nous travaillons à la Chambre”, poursuit le président.

À cela s’ajoutent les difficultés conjoncturelles comme l’augmentation des coûts de l’énergie. “On a beaucoup parlé des boulangers, mais les céramistes aussi ont senti l’augmentation avec leurs fours”, cite Vincent Diot.

Près d’un millier d’artisans d’art en Val-de-Marne

Avec environ 900 artisans d’art, sur un peu plus de 30 000 artisans dans le département, les savoir-faire ne sont néanmoins pas en péril dans le Val-de-Marne. Ce n’est du reste pas le secteur qui souffre le plus. “Dans l’ensemble des entreprises d’artisanat, il y a plus de créations que de défaillances par rapport à l’an dernier, sauf dans le bâtiment”, pointe le patron de la CMA94.

L’élu note néanmoins la fragilité du secteur artisanal par la typologie d’entreprises. “Il y a beaucoup d’auto-entreprises qui restent comme telles, alors que, en principe, ces structures ne devraient être qu’un tremplin.”

Si vous avez loupé le salon d’artisanat et des métiers d’art de Saint-Maur ce week-end, vous pourrez retrouver une partie des exposants, et aussi de nouveaux, à celui qui se tiendra au pavillon Baltard de Nogent-sur-Marne, le week-end prochain, du 24 au 26 novembre. Sinon, rendez-vous dans le plateau briard puis de nouveau à Saint-Maur, à l’automne 2024. “Nous renouvelons chaque année 30% des exposants pour faire place aux jeunes créateurs”, indique Vincent Diot.

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