Expropriations simplifiées, diagnostics d’office, actions contre les marchands de sommeil, aide aux propriétaires modestes… Mathieu Hanotin et Michèle Lutz, respectivement maires PS de Saint-Denis et LR de Mulhouse, ont présenté 24 propositions au ministre délégué au logement, Patrice Vergriete, pour lutter contre l’habitat indigne. Un projet de loi est attendu au premier trimestre 2024.
“Devant la gravité de certaines situations et le danger encouru par des occupants, la chaine de
traitement de l’habitat indigne doit être encore et toujours fluidifiée“, pointe en préambule le rapport de 138 pages présenté le 23 octobre par les deux élus chargés de faire des propositions sur le sujet. Car s’il “existe bien un important arsenal de procédures administratives et de dispositifs opérationnels et financiers (…), ils sont toujours, pour le moins, jugés longs et complexes par l’ensemble des acteurs.”
Plus d’un million de personnes concernées
Pour avoir une idée de l’ampleur du problème, entre 400 000 et 420 000 logements du parc privé sont estimés potentiellement indignes, dont la moitié sont occupés par leur propriétaire. D’un point de vue global, 1 123 000 personnes vivent dans des copropriétés en difficulté.
L’objectif de la mission des maires de Saint-Denis et de Mulhouse était donc d’améliorer les outils pour réagir, en s’appuyant sur l’expérience de leurs collectivités respectives. Mathieu Hanotin, qui est aussi président de l’établissement public territorial Plaine Commune, avait, du reste, déjà formalisé une première série de propositions, notamment en lien avec Marseille, et lancé un plan d’action à Saint-Denis, commune où un logement sur cinq est considéré comme dégradé.
Les 24 propositions s’articulent autour de quatre axes : renforcer la capacité à agir de la puissance publique sur le foncier, faciliter l’intervention des acteurs de l’habitat privé, améliorer l’accompagnement des habitants et durcir l’attitude pouvoirs publics face aux marchands de sommeil.
Permettre une expropriation foncière plus rapide
Alors que la durée d’intervention de la puissance publique pour maîtriser un bien et le remettre sur le marché est en moyenne de 9 à 10 ans, et peut aller jusqu’à 20 ans, les deux maires proposent de créer une procédure d’expropriation “lutte contre l’habitat indigne” de droit commun, dont l’utilité publique reposera uniquement sur le traitement de l’habitat indigne. Le propriétaire serait indemnisé de la valeur vénale de ses biens déduite des frais de travaux et de relogement.
Actuellement, la loi Vivien permet d’engager une expropriation lorsqu’il est constaté l’impossibilité à faire les travaux de résorption de l’insalubrité ou de mise en sécurité, pour des raisons techniques ou de coûts de travaux. Face à l’inaction des propriétaires, cette nouvelle loi élargirait les conditions de recours à cette procédure et sécuriserait l’interdiction définitive d’habiter un immeuble. Sur un plan opérationnel, la mise en place d’une méthode nationale de décote est préconisée pour l’évaluation des immeubles dégradés “qui permettrait d’objectiver la valeur de ces biens en fonction de leur dégradation et non seulement de la valeur du marché.”
Une autre recommandation pour faire évoluer la législation propose d’instaurer la possibilité de vendre à l’euro symbolique des biens confisqués par la justice à destination des collectivités locales. Celles-ci, “pourraient les rétrocéder à un opérateur dans un objectif de mixité sociale ou d’équipement public et de maîtrise du projet urbain.”
Des copropriétés plus autonomes
Mathieu Hanotin et Michèle Lutz proposent ensuite de “renforcer les moyens d’agir des copropriétaires, des syndics et des architectes de copropriété, mais aussi de monopropriétés, ainsi que des entreprises de travaux de réhabilitation et plus généralement de tous les professionnels du bâtiment, acteurs indispensables à la réhabilitation du parc privé.”
Au-delà de responsabiliser les copropriétés à réaliser un diagnostic technique global et complet de la situation de leur immeuble, les élus invitent à rendre celui-ci obligatoire. Dans ce nouveau cadre, la collectivité pourrait se substituer à l’obligation de diagnostic technique global en réalisant ce diagnostic d’office et aux frais de la copropriété. Les autorisations d’urbanisme seraient conditionnées à sa réalisation.
Les édiles préconisent aussi de tenir compte des difficultés de financement des travaux des propriétaires occupants modestes et très modestes. Ceci en améliorant les dispositifs de préfinancement des aides publiques et en facilitant le financement du reste à charge par la mise en place de prêts et d’avances adaptés aux capacités financières des propriétaires.
Améliorer l’hébergement et le relogement des victimes
Au volet de l’accompagnement des habitants, la mission sur la lutte contre l’habitat indigne propose d’introduire un pourcentage d’hébergements d’urgence à définir selon un dispositif similaire de la loi solidarité et de renouvellement urbain (SRU). La durée de prise en charge par le fonds d’aide au relogement d’urgence à la durée pourrait, quant à elle, être prolongée à la durée moyenne d’hébergement constatée de chaque territoire au regard des délais moyens de relogement.
Pour améliorer le droit des occupants, trois mesures sont proposées après les évacuations d’immeubles : l’instauration d’un droit au relogement pour les ménages ayant droit à l’hébergement dont la durée d’hébergement dépasse les 18 mois ; une amende équivalant à trois ans de loyer prévisionnel en cas de carence au relogement dans les zones tendues* ; et le renforcement du droit des occupants dans les zones tendues en portant l’indemnité à un montant égal à 12 mois de son nouveau loyer.
Des pouvoirs d’enquête judiciaire en habitat indigne
Face aux marchands de sommeil, la mesure phare consiste à “doter les inspecteurs de salubrité assermentés, ou les agents de police municipale assermentés et habilités, spécialement désignés, des mêmes prérogatives et obligations que celles attribuées aux officiers de police pour les enquêtes judiciaires en habitat indigne, sur réquisition du procureur de la République, inscrit dans le cadre du contrat local de sécurité à l’image des pouvoirs octroyés depuis 2020 aux inspecteurs de l’environnement“.
La mission préconise également de faciliter la procédure de saisie des lots et d’engager ces procédures de substitution en cas d’inaction du syndic.
Lors de la remise de ce rapport, Patrice Vergriete a indiqué qu’un texte de loi pourrait être adopté au premier trimestre 2024.
* 154 communes ont été incluses dans ces zones qui sont des zones d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants où les locataires et les futurs acquéreurs peinent à accéder à un logement, en raison des prix élevés).
N'envoyez que des photos que vous avez prises vous-même, ou libres de tout droit. Les photos sont publiées sous votre responsabilité.